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Management de transition : entre fantasmes et réalité

Encore méconnu et sujet à des idées reçues éloignées de la pratique du métier,
le management de transition est parfois utilisé comme dernier recours
pour redresser la barre d’une entreprise en difficultés.

Exit le « cow boy »
adepte des plans sociaux sanguinolents
.

L’image du manager de transition des années 2000 incarné par des figures charismatiques comme Patrick Puy qui a mené le démantèlement du groupe de retail Vivarte après avoir été au chevet de Moulinex, Spir ou Kidiliz aurait fait long feu. Avec une réputation bien moins sulfureuse, Arnaud Marion fait aussi partie de ces « urgentistes » emblématiques du milieu du restructuring français. L’artisan du retournement du volailler Doux, connu aussi pour la restructuration des pianos Pleyel et de Vélib’, vient d’être nommé à la présidence du groupe d’Ehpad Colisée, affecté par les difficultés du secteur depuis le scandale Orpea. Ces managers de transition au nom illustre sont l’arbre qui cache toute une forêt d’hommes de l’ombre (rarement des femmes) habitués à fréquenter les tristes salles d’audience des tribunaux de commerce et familiers des arcanes du CIRI pour sauver des PME et ETI en difficultés.

Ni super-héros
ni mercenaire

Et ils ne seront pas de trop pour affronter la nouvelle vague de restructuring qui s’annonce, bien au-delà de l’effet rattrapage post-covid, comme le laissent craindre les statistiques de défaillance publiées mi-octobre par Altares faisant état d’un record de 66 000 défauts sur 12 mois glissés. « Le principal signal d’alarme concerne la situation des PME de + 50 salariés dont les ouvertures de procédures bondissent de 47 %, entraînant de lourdes conséquences sur le front de l’emploi (52 000 emplois menacés) », pointe le rapport d’Altares. « Après une longue accalmie, nous commençons à avoir à nouveau des demandes de managers de transition liées à la mise en place de PSE », indique Lionel Gouget, associé du pôle restructuring de Valtus, le numéro un du management de transition en France, qui couvre un large spectre de missions de l’intervention en amont en cas de sous-performance à la gestion de la liquidation quand il n’y a plus de chance de sauver l’entreprise. Entre les deux bouts du spectre, le champ des possibles est très large de la mise en place d’un PSE à la prise de mandat social en passant par le pilotage d’entreprises en procédures amiables ou collectives et l’accompagnement d’un repreneur dans le cadre de l’intégration d’une entreprise reprise à la barre. Dans tous les cas, le recours à un manager de transition est motivé par le besoin d’un dirigeant aguerri, ayant déjà pratiqué l’écosystème du restructuring et sachant à la fois actionner des leviers de retournement tout en assurant la gestion d’un quotidien sous contraintes. « La crise ne s’apprend pas à l’école. Beaucoup de dirigeants d’entreprises excellents dans le développement de leur business se retrouvent désarmés en cas de difficultés et ne veulent pas prendre la charge morale de cette période humainement très difficile », explique Lionel Gouget. De là à croire que le manager de transition est un excellent fusible pour endosser les avanies de la crise en épargnant l’image du patron, il ne faut pas non plus croire au miracle. « Le manager de transition n’est ni un «super-héros» des temps modernes, ni un mercenaire qui vient faire le ménage dans l’entreprise », corrige Adrien Jocteur Monrozier, associé co-fondateur du cabinet de management de transition lyonnais Inside Management, qui lutte contre une image d’Epinal véhiculée par les médias et entretenue par certains cabinets de management de transition. « Cette image n’est pas totalement due au hasard. La crise économique des années 2008-09 a eu pour effet des réductions de coûts et d’effectifs au sein de beaucoup d’entreprises. Cette recherche de rentabilité, qui pouvait prendre la forme de PSE, était parfois confiée à un intervenant extérieur. S’en est suivi un relais médiatique assez sévère, en insistant sur l’image du manager de transition « coupeur de têtes », sous l’impulsion de certaines centrales syndicales », explique l’associé d’Inside Management.

Un marché en croissance mais encore de niche

Mais entre la fin des années 2000 et aujourd’hui, le marché du management de transition a beaucoup évolué et pris ses galons sur de missions d’executive management loin du spectre d’intervention du restrucuting. Évalué à 800 M€ en 2023 d’après la dernière étude Xerfi commandée par la fédération des acteurs du management de transition, France Transition, le secteur a vu son chiffre d’affaires progresser de plus de 16% par an entre 2019 et 2023. « Cette croissance a été en grande partie permise par la démocratisation du marché, qui s’étend désormais à tous les secteurs. La demande augmente à la fois de la part des primo-demandes comme au niveau du réachat. Les fortes tensions sur le marché du travail ont stimulé les besoins en missions de management relais, les plus recherchées aujourd’hui », détaille ainsi l’étude. Parallèlement, les faibles barrières à l’entrée et la hausse de la demande ont créé des vocations chez de nombreux nouveaux acteurs puisque France Transition en identifie 150 en 2023 contre 90 en 2019. Le marché reste toutefois très concentré, 78% de l’activité étant trustée par les 10 premiers cabinets. Pour autant, la « démocratisation » du marché du management de transition est encore loin de le rendre totalement lisible aux yeux de la plupart des dirigeants de PME et ETI. « Le métier a été inventé par les Scandinaves et les pays du Nord sont bien plus aculturés à ce type de missions qu’en France et globalement au sud de l’Europe », souligne Frédéric Dosjoub, associé du cabinet IMT Partners.

« Supplément d’âme »

Autant dire qu’en France, c’est souvent en dernier recours qu’on envisage, la mort dans l’âme, de faire appel à un management de transition pour une entreprise en difficulté. « La culture du déni des dirigeants français retarde la consultation de notre cabinet juste avant la procédure amiable et parfois quand elle est déjà enclenchée », confirme Frédéric Dosjoub, qui voit affluer ces derniers temps de dossiers nécessitant des restructurations de dettes avec des leviers de LBO devenus insoutenables
et/ou des PGE impossibles à rembourser à cause de la dégradation de l’activité. Ainsi, l’expertise financière avec un prisme de la gestion du cash dans un contexte de trésorerie exsangue est un prérequis pour les managers de transition du restructuring, souvent d’anciens DAF. A ce « must-have » peuvent s’ajouter également des compétences opérationnelles ou industrielles spécifiques au secteur. « Les CRO (chief restructuring officer) sont des couteaux suisses passés par plusieurs directions mais avec un fort tropisme financier », résume l’associé d’IMT Partners. « Pour des missions de restructuring, on choisit souvent des profils d’anciens DG qui ont l’habitude de gérer l’opérationnel en tant de crise et la relation avec les actionnaires quand ce sont des fonds de private equity qui ont besoin de reportings réguliers pour évaluer la situation », ajoute Adrien Jocteur Monrozier, associé d’Inside Management. Sans oublier la casquette DRH car dans pratiquement toutes les restructurations, il y a des fermetures de sites, ou des réductions d’effectif à mener. C’est certainement toujours la partie la plus humainement difficile, même pour des dirigeants qui ont dû le pratiquer plusieurs fois. De quoi se poser des questions sur le côté masochiste de ceux qui en font une profession récurrente. « Le restructuring est un environnement très particulier avec des montées d’adrénaline et des enjeux humains très forts. Tout le monde n’est pas taillé pour ça, mais une fois qu’on l’a vécu la première fois, souvent par hasard, et qu’on a frôlé de près la terrible spirale des 3D (Dépôt de bilan, Divorce, Dépression), on a tendance à y revenir régulièrement car on a découvert sa vocation de « pompier » et qu’on maitrise l’écosystème. C’est aussi gratifiant de voir l’impact concret de ses décisions dans une temporalité accélérée », témoigne Lionel Gouget, qui est « tombé » dans le restructuring au sein du groupe Hersant où il était CFO de 2005 à 2013, puis a récidivé chez Nextiraone en 2016 puis en tant que directeur général finances de 5àSec de 2018 à 2020 avant son passage sous le contrôle de ses créanciers. C’est aussi pour ce « supplément d’âme »
du restructuring commun à beaucoup d’intervenants du secteur, soudés dans les moments éprouvants autour du sauvetage d’entreprises et d’emplois, que le manager de transition préfère de loin la métaphore du « médecin urgentiste » à celle du « coupeur de têtes ».

 

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