Pierre-Olivier Bernard : Le private equity s’est considérablement développé en France depuis le début des années 2000 et le sujet de la fiscalité des management packages s’est posé depuis lors. Je rappelle que l’investissement du management est constitué pour partie par la souscription ou l’acquisition de titres ayant le même profil de risques et de gains que l’investisseur financier que l’on appelle le pari passu, et pour une autre partie par la souscription ou l’acquisition voire l’attribution de titres offrant une possibilité mais pas la garantie d’une rétrocession de plus-value qui décorrèle le multiple de l’investissement du manager de l’investisseur financier. C’est cette rétrocession de plus-value qu’on appelle le management package qui est au cœur des discussions.
Dès 1995, l’administration fiscale avait publié une instruction prévoyant que toute personne, en relation d’affaires avec une entreprise, qui se voit attribuer ou céder des titres dans des conditions préférentielles, peut se voir requalifier le gain réalisé dans ce contexte dans la catégorie correspondante, c’est-à-dire en traitement et salaires, BNC ou avantage occulte. À l’aune de cette instruction, nous avions anticipé le risque fiscal que pouvaient présenter les management packages et tout le débat s’est cristallisé sur le point de savoir si le manager avait payé le juste prix en contrepartie de ce management package.
Dès le début des années 2000, l’administration fiscale s’est mise à contester le différentiel de multiple et la nature fiscale des gains ainsi réalisés. Il s’agissait alors pour le manager d’expliquer qu’il avait payé le juste prix, qui avait d’ailleurs fait l’objet d’une évaluation par un tiers indépendant, dont la contrepartie ne pouvait être qu’un gain en plus-value. En réponse, l’administration fiscale considérait que ces instruments, dont seuls les managers pouvaient souscrire ou acquérir en dehors des dispositifs d’actionnariat salarié, étaient liés au contrat de travail, représentaient un mécanisme incitatif à la performance professionnelle et donc constituaient une rémunération. L’enjeu était un peu différent selon que les titres étaient placés en PEA ou hors PEA, et la notion d’abus de droit était alors au centre des débats.
État des lieux du marché jusqu’au vote de la loi de finances
Les débats ont évolué peu à peu et ont conduit notamment aux premiers arrêts du Conseil d’État, avec notamment la publication de l’arrêt Gaillochet et d’un début de législation conduisant à édicter l’inéligibilité des instruments de rétrocession de plus-value – de type ADP et BSA – du PEA à compter du premier janvier 2014.
Alexis Dupont : C’est à cette même époque que l’administration fiscale avait publié une note qualifiant les management packages de « schémas abusifs » et incitant les managers à venir négocier avec elle.
Pierre-Olivier Bernard : Tout à fait. Elle présumait ainsi que les dirigeants sous LBO avaient pu commettre une forme d’illégalité fiscale en bénéficiant d’un management package ce qui n’est évidemment pas le cas.
Par la suite, avec l’arrêt Barrière de 2019, la Cour de cassation a déplacé le débat, qui était alors purement fiscal, sur le plan social en se basant sur un article du code de la sécurité sociale prévoyant que tout avantage acquis à l’occasion d’un contrat de travail relève du traitement et salaire. Cet arrêt constitue un vrai basculement car on ne se pose plus la question du juste prix ou la condition préférentielle. La Cour de cassation expliquait que l’assiette des cotisations devait être évaluée à la date de disponibilité du titre, mais elle a ensuite précisé sa jurisprudence pour que la plus-value constitue cette assiette. La position de la Haute cour judiciaire était donc différente du débat établi entre le contribuable et l’administration fiscale.
Dès lors, la question posée en 2021 au Conseil d’État était, en synthèse, de savoir s’agissant principalement de BSA en l’espèce, si le seul fait de n’être souscrits que par des salariés et conservés par eux tant qu’ils restaient salariés de l’entreprise, constituait un avantage ? Ou à l’inverse si le salarié a pu, s’agissant de ces mêmes instruments, agir en investisseur capitalistique ? Le Conseil d’État a conclu par le maintient du principe que les gains issus de ces BSA restaient qualifiables de plus-values. Mais à la sortie, l’administration fiscale peut requalifier en traitements et salaires ces mêmes gains dès lors qu’elle démontre que les conditions de réalisation de ces gains sont davantage rattachables à la qualité de salarié qu’à celle d’investisseur capitalistique. S’est alors ouvert un nouveau débat : celui de la casquette d’investisseur du dirigeant.
La loi de finances pour 2025 ne vient pas clarifier ce point. Elle prévoit que le gain net issu de titres souscrits ou acquis – donc payants – par des salariés ou des dirigeants, ou attribués – par actions gratuites ou équivalent – à ces mêmes personnes qui ont un contrat de travail avec la société émettrice, doit être considéré comme un traitement et salaire dès lors qu’ils viennent en contrepartie du contrat de travail. Elle considère donc que le dirigeant peut être salarié de son entreprise mais que le gain qu’il obtient n’est pas forcément la contrepartie de son contrat de travail. On retourne donc dans le débat de 2021, avec une différence importante car on ne sait pas si le gain net intègre le pari passu. Le texte tel que rédigé laisse penser que le gain doit avoir une nature de salaire, tout comme l’exception selon laquelle lorsque le multiple réalisé par le manager est inférieur ou égal à trois fois le multiple projet (performance financière de l’entreprise), la plus-value de cession est imposable selon le régime des plus-values de cession de valeurs mobilières. S’agit-il d’une plus-value en nature ou d’un régime de plus-value qui s’applique à cette quote-part ? Et comment permettre les réinvestissements en sursis / report d’imposition au cœur de l’alignement d’intérêt ?
Bertrand Hermant : Les conclusions du rapporteur du Conseil d’État étaient intéressantes car elles constataient qu’un instrument existe pour octroyer un avantage aux salariés : les outils gratuits (actions gratuites, stock-options et BSPCE). Ils bénéficient d’un régime légal, fiscal et social, sécurisé. Mais dès lors que l’on en sort et que le gain est lié au contrat de travail, il doit être requalifié en salaire.
Durant les quatre dernières années, les pratiques ont évolué conduisant à privilégier les outils légaux qui ne rentrent pas dans le champ d’application de la jurisprudence de 2021. Malheureusement le texte de la loi de finances semble considérer que les outils gratuits sont également concernés, au même titre que les outils payants.
Alexis Dupont : La portée de la jurisprudence du Conseil d’État a parfois été sous-estimée. Ces trois arrêts ont été rendus en formation plénière, avec des argumentaires très construits et détaillés. On était loin du cas d’espèce comme on a pu l’entendre. Cette jurisprudence a d’ailleurs trouvé à s’appliquer de manière fréquente dans un certain nombre de contrôles, notamment l’année dernière, avec des montants importants en jeu et avec, parfois, des menaces de poursuites pénales à la clé.
S’agissant des instruments gratuits, ils étaient en effet exclus de l’analyse de la Haute juridiction en tant que « régimes nommés ». Mais au fond, le fait de distinguer un gain d’acquisition et un gain de sortie, ouvrait mécaniquement la voie pour l’administration fiscale à requalifier les instruments une fois acquis.
Bertrand Hermant : La disposition sur les management packages introduite dans la loi de finances pour 2025 est apparue au cours des débats devant le Sénat, sous le gouvernement Barnier. Le texte a été repris par le nouveau gouvernement puis modifié devant la Commission mixte paritaire et a été voté sans véritable discussion. Le 15 février dernier, lors de l’entrée en vigueur du texte, le marché s’est retrouvé totalement interloqué.
Les dispositions de la loi de finances pour 2025
Alexis Dupont : Il convient d’abord de rappeler que l’outil des management packages est fondamental en ce qu’il permet un alignement d’intérêt essentiel avec le fonds investisseur et se justifie économiquement par l’asymétrie d’informations entre les dirigeants et l’investisseur. Il n’y aurait pas de LBO sans management package. D’autres pays européens ont d’ailleurs connu des débats sur la qualification du gain, aux Pays-Bas, en Suisse, en Italie ou encore en Belgique, avec parfois des approches finalement assez similaires à celle-ci.
Force est de constater que ce débat français est aussi l’histoire d’une collision entre vision économique et vision juridique. France Invest a passé de nombreuses années à plaider auprès des pouvoirs publics pour une sécurisation, avec des arguments sur la prise de risque, le juste prix payé, mais ces argumentations économiques se sont souvent heurtées à une approche fondée sur une vision de droit qui s’est traduite progressivement dans la jurisprudence, puis dans ce texte.
Cette loi de finances pour 2025, qui est certes perfectible et nécessite des clarifications administratives, a tout de même le mérite, pour ceux qui se considéraient en risque dans le monde antérieur, de basculer dans un environnement bien plus sécurisé. Les commentaires administratifs apporteront sans doute des réponses à bon nombre de points d’interrogations.
Cécile Gilliet : Ce texte législatif est sans doute perfectible, mais constitue tout de même une avancée car il confère une sécurité fiscale qui n’est pas négligeable. Il apporte une sorte de franchise aux managers jusqu’à trois fois le multiple projet, et tout ce qui existe dans la jurisprudence reste applicable. Donc si un manager considère que l’intégralité de sa plus-value de cession ne relève pas du régime fiscal du salaire, il peut toujours défendre sa position vis-à-vis de l’administration fiscale en s’attachant à démontrer l’absence des marqueurs mis en exergue par la jurisprudence de 2021.
Bertrand Hermant : Je suis d’accord. La sécurité juridique est importante au regard de ce que nous venons de vivre durant quatre ans, avec des négociations parfois excessives et l’arme pénale brandit par l’administration à chaque réunion. On n’en serait pas là si le texte avait été voté à l’époque. Désormais, nous allons pouvoir négocier plus sereinement.
Gonzague Chaussois : Il me semble tout de même compliqué d’expliquer aux managers de faire fi du texte, de prendre leur casquette d’actionnaire et de foncer.
Cécile Gilliet : Ce n’est pas ce que je dis. Le marché a dû faire preuve de créativité face aux marqueurs de la jurisprudence de 2021. Désormais, on pourra sans doute poursuivre nos pratiques en essayant de distendre le lien entre l’investissement du manager et sa casquette de salarié, tout en bénéficiant du régime légal jusqu’à un montant, non négligeable, de trois fois le multiple projet. Je ne crois pas au retour systématique des bad leavers.
Gonzague Chaussois : Je sens néanmoins dans les structurations actuelles de packages, qu’une large partie du marché prévoit de rester dans le champ du texte, même sur le pari passu, pour casser le multiple du ratchet et être sous le plafond légal. Je vois également des discussions visant à réintroduire des clauses de bad leavers, à indexer les packages sur des variables opérationnelles, telles que le chiffre d’affaires ou encore l’EBITDA.
De multiples zones d’interrogation demeurent dans le texte législatif entré en vigueur. Bien sûr des publications du Bofip viendront clarifier certains éléments essentiels. Mais d’autres points nous semblent problématiques, sur lesquels le service des impôts ne pourra aller à l’encontre de la loi. Par exemple s’agissant des BSA : si le manager exerce son BSA à 1 € et que l’action en vaut 3, la différence entre les deux constitue un avantage. Or le texte considère que le gain éligible à la plus-value s’entend hors avantage. Donc par définition l’avantage de 2 € constitue du salaire et ne rentre pas dans le champ de plafonnement à la flat tax. Si l’esprit de la loi était juste d’embarquer les BSPCE, les stock-options et les AGA, le texte tel qu’il est rédigé concerne toutes les souscriptions de titres à un prix inférieur à leur valeur de marché.
J’ajoute également des incertitudes sur l’interprétation du calcul du multiple projet. Par exemple, si des obligations sont souscrites à 1 € et valorisées 1,60 € avec la capitalisation des intérêts, est ce que le calcul du multiple doit avoir pour dénominateur 1 € ou 1,60 € ? Le texte précise en effet que les dettes nées après le closing sont réputées être nées dès l’origine. Or un intérêt PIK n’est rien d’autre comptablement qu’une dette qui augmente au fur et à mesure. Il faudrait donc l’intégrer dès le début !
Pierre-Olivier Bernard : Tous les calculs des flux ne sont en effet pas bien encadrés par cette loi et vont poser des questions sur ceux dont on tient compte. Je pense par exemple au cas d’une distribution intermédiaire de dividendes.
Cécile Gilliet : Cette loi n’a-t-elle pas le mérite de poser des principes, qu’il faudra ensuite préciser dans le détail ou adapter aux situations particulières ?
Pierre-Olivier Bernard Il y avait besoin d’une loi pour le volet social du débat. À partir du moment où la Cour de cassation s’était prononcée sur un article du code de la sécurité sociale, on ne pouvait la contredire qu’en changeant le texte.
Le débat sur la contrepartie du contrat de travail permet de rebasculer sur la jurisprudence du Conseil d’État et ainsi d’éviter le régime légal. Aujourd’hui, nous devons être pragmatiques : dans le cas d’une opération de refinancement nécessitant une restructuration capitalistique par voie d’apports, on considère qu’il ne s’agit pas d’une contrepartie du contrat de travail. Si l’on veut faire un MBO avec un maximum de réinvestissement des managers, c’est bien une dynamique d’investisseurs capitalistiques qui est mise en œuvre.
La fronde des managers sous LBO
Benjamin Fremaux : Je suis président du groupe IDEX, qui a été racheté en 2018 par le fonds Antin Infrastructure Partners. J’ai débuté, il y a 20 ans, ma carrière au ministère de l’Économie en tant que conseiller fiscal du ministre de l’époque. J’ai pu constater un marché des professionnels de l’investissement qui était alors déjà structuré, notamment grâce à France Invest qui s’appelait alors l’AFIC. Les managers, eux, sont historiquement très peu structurés. Il n’y a pas d’équivalent France Invest pour eux. C’est pourquoi nous avons créé l’ALESI, l’alliance des entrepreneurs salariés et investisseurs pour porter une voix différente de celle des fonds.
Je ne perçois en effet pas tout à fait le texte de la même façon qu’un investisseur actionnaire purement financier. Certes, la réforme peut convenir au LBO de performance moyenne et il y en a un certain nombre aujourd’hui pour les raisons économiques que l’on connaît. Mais il ne répond pas à l’objectif économique du LBO qui est d’inciter les managers à aller chercher la performance maximale. Le problème principal vient du fait que l’administration fiscale connaît assez peu les mécanismes du LBO. Il faut refaire systématiquement de la pédagogie sur les mécanismes d’incitation des managers, les montages associés et en quoi est ils sont bénéfiques pour le pays.
Les dirigeants et salariés sous LBO ne sont pas des spécialistes des risques fiscaux associés à ces mécanismes. Aujourd’hui, les équilibres trouvés entre les sponsors et les équipes dirigeantes sont de facto rompus, particulièrement pour les LBO performants. Le marché sous-estime l’angoisse des entrepreneurs et des nombreux salariés qui ont investis dans ces manpack. Et nous reprochons aux fonds de ne pas chercher à obtenir un régime bien plus favorable aux équipes de management. Il ne faut pas se contenter du minimum.
Bien sûr, le nouveau régime est protecteur pour les LBO qui font peu de performance et qui restent sous l’ombrelle de trois fois le multiple projet. Notre objectif au sein de l’ALESI est de pouvoir obtenir à court-terme une réécriture du Bofi avec un maximum d’explications sur les multiples sujets laissés en question par le texte. Nous avons des discussions en ce sens, aux côtés de France Invest notamment, avec les services de Bercy. Nous y retournerons le 7 avril prochain.
Mais notre combat va plus loin : il est d’obtenir un régime spécifique qui reconnaisse la valeur économique des managements packages des équipes dirigeantes et des salariés investisseurs. Il doit être similaire à celui qui bénéficie au salarié investisseur de GP. Trouvons le dispositif qui permettra, à terme, de simplifier les débats. Ce combat n’a, jusqu’à présent, jamais été mené par les uns et par les autres.
Cécile Gilliet : En tout état de cause, je ne crois pas que la loi soit moins favorable aux managers que la situation préalable.
Benjamin Fremaux : Contrairement à ce qui a été dit, le texte de loi est passé en toute discrétion en Commission mixte paritaire parce que, politiquement, les autorités n’assument pas la valeur macroéconomique de ces instruments. Personne ne souhaite défendre l’entrepreneur investisseur haut et fort et on a voulu régler ce risque fiscal par une mesure, qui a été concertée avec certains acteurs, mais qui a surtout été sciemment prévue pour éviter le débat au Parlement. Cette méthode a permis d’obtenir un régime minimum, mais pas de voter une vraie réforme qui règle définitivement le problème.
Bertrand Hermant : S’il y avait eu des débats, au regard du contexte politique actuel, êtes-vous certain que cette loi ait été votée ? Lors d’un débat public, le management package aurait été perçu comme un cadeau du Parlement aux personnes aisées. À l’heure actuelle, le texte a le mérite d’améliorer l’insécurité fiscale préalable.
Gonzague Chaussois : Par rapport à la situation précédente, le texte pose des problèmes quant à sa clarté, sa compréhension et son application. Nul ne peut dire comment il sera mis en œuvre. Les salariés qui se voient attribuer des actions gratuites, vont-ils devoir appeler leur directeur financier pour qu’il calcule la valorisation de leur multiple ?
Cécile Gilliet : La situation précédente n’était pas non plus très claire. On ne savait pas si le sweet était couvert ou pas, notamment. J’entends que le texte est perfectible. Il y aura toujours des questions, mais la pratique va progressivement apporter des éléments de réponse. Je rappelle que même si le niveau de trois fois le multiple projet évoqué ne paraît pas assez haut aux managers, il y a tout de même assez peu de deals qui l’atteignent à l’heure actuelle.
Alexis Dupont : Nous partageons totalement votre position sur le rôle fondamental des dirigeants dans les opérations de LBO et de l’importance de régler enfin la fiscalité des managements packages. Nous encourageons donc les managers dans la défense de leur position. Il faut néanmoins réaliser à quel point le mot même de management package a mauvaise réputation dans la sphère publique qui y voit des schémas abusifs. Nous le regrettons mais il faut tenir compte de cette dissonance de perception entre la sphère publique et la vision privée et économique qui est la nôtre.
Benjamin Fremaux : Assumez vos succès à nos côtés ! Il y a eu de magnifiques success stories et aventures entrepreneuriales qui n’ont été permises que par la relution des équipes managériales. Si les investisseurs n’expliquent pas aux pouvoirs publics comment fonctionne ce montage LBO et pourquoi le report est indispensable en cas de réinvestissement, nous n’y parviendrons pas. Les responsables au sein de l’État semblaient découvrir le sujet lors de nos derniers échanges.
Alexis Dupont : Je ne crois vraiment pas, l’administration comprend au contraire très bien les montages, nous avons surtout une différence d’appréciation. Nous avons d’ailleurs nous-même expliqué au mois de janvier à l’administration combien il était important pour les équipes de management de bénéficier d’un sursis d’imposition entre opérations. Pour autant, la loi ne le permet toujours pas.
Il convient cependant d’insister sur le fait qu’il y a tout de même beaucoup de montages qui resteront sous le multiple de trois précédemment évoqué.
Benjamin Fremaux : Mais ce n’étaient pas ces cas-là qui étaient redressés !
Alexis Dupont : Je ne suis pas convaincu que cette projection serait restée juste bien longtemps.
Bertrand Hermant : J’ai pour ma part déjà connu quelques cas.
Alexis Dupont : Il faut être lucide sur le fait que la probabilité de redressement était en train de s’orienter à la hausse à grande vitesse sur l’ensemble du spectre.
Pierre-Olivier Bernard : Avant 2012, la DNVSF redressait uniquement les LBO primaires dans lesquels le montant de l’investissement était réduit et pour lesquels elle s’interrogeait sur la situation d’investisseur capitalistique et le risque pris. En revanche, elle vérifiait moins les LBO secondaires ou tertiaires. Depuis, cette approche a changé, ces mêmes opérations secondaires et tertiaires sont rentrées dans le champ du contrôle. Certaines équipes de managers ont vu leur package requalifié deux ou trois fois.
Benjamin Fremaux : Concrètement, aujourd’hui, le blended – c’est-à-dire la prise en compte de tous les outils – est nécessaire pour faire passer le maximum de LBO sous le cap.
Autre point indispensable : le réinvestissement et le report. Si ces aventures entrepreneuriales doivent continuer sur la durée, il faut régler ce problème. Aujourd’hui, la DLF nous explique qu’elle va calculer l’impôt deal par deal, quand bien même il y aurait un report. Elle commence tout juste à comprendre les points de blocage : que se passe-t-il par exemple quand on réinvestit une part de « salaire » dans le deal suivant et qu’il y a moins-value ensuite ? Le manager doit-il réinvestir l’argent qu’il devra au fisc ? Rien n’est moins sûr.
S’ajoute également les sujets plus secondaires sur les PEA, les donations, etc.
Alexis Dupont : C’est là que l’on peut regretter un texte où, par défaut, le gain est du traitement et salaire et, par exception, de la plus-value. Sans doute aurait-il fallu le rédiger dans l’autre sens. Par ailleurs, il a bien été indiqué par l’administration que les instruments seraient appréciés globalement de façon « blended ».
Benjamin Fremaux : Les notes que nous produisons pour la DLF sont communiquées en amont à France Invest. Nous travaillons ensemble et portons les mêmes messages. Sauf qu’à l’heure actuelle, c’est le management qui paye 59 % d’impôts, pas l’actionnaire, ni l’entreprise.
Cécile Gilliet : L’entreprise paye tout de même désormais 10 % de plus sur le forfait social des actions gratuites à l’entrée.
Benjamin Fremaux : Je ne crois pas que l’administration fiscale voit une divergence dans le message qui est porté. En revanche, la manière de le porter est différente. L’ALESI est portée par des primo investisseurs, des entrepreneurs, mais également par des dirigeants comme Eric Maumy qui est l’exemple du LBO réussi avec relution de son équipe de management. Nous incarnons, un peu plus, le message qui sera, sans doute mieux compris.
Pierre-Olivier Bernard : Ce risque fiscal est clairement vécu par les managers, et ce à juste titre, comme infondé, leur démarche d’investisseur capitalistique étant le plus souvent réelle.
Gonzague Chaussois : Comment appréhender 2027, si ce débat sur le multiple de trois n’est plus dans l’ère du temps et qu’il tombe à deux ? Cette rédaction de la loi de finances me semble complexe. On aurait pu reprendre par exemple certaines propositions déjà évoquées comme celle selon laquelle dès qu’un instrument est payé à sa juste valeur, son gain est intégralement traité en plus-value.
Benjamin Fremaux : Rappelons tout de même que le carried interest est un régime fiscal très favorable aux dirigeants des fonds et n’a jamais été remis en cause. Les managers veulent évidemment le même type de système sécurisé juridiquement.
Cécile Gilliet : Certaines conditions du carried interest ne fonctionnent pas pour les managers, par exemple la détention des titres pendant 5 ans.
Benjamin Fremaux : Nous devrions pourtant travailler dans ce sens, car la solution se trouve dans un régime dédié qui fonctionne.
Alexis Dupont : Il n’y a bien sûr aucun intérêt à ce que les parties prenantes d’un même écosystème ne parlent pas d’une même voix puisque nous sommes alignés pour faire primer l’intérêt collectif, et ce n’est d’ailleurs pas le cas. En revanche il ne faut pas mettre sur le même plan deux régimes qui ne sont pas comparables.
Le point essentiel de ce débat n’est pas tant une question de qualification juridique mais plutôt un sujet de niveau de taxation du travail en France. Si le travail était taxé au même niveau que les plus-values, cette table ronde n’aurait pas lieu d’être.
Benjamin Fremaux : Je ne suis pas d’accord. Le GP investit dans l’entreprise et récupère une plus-value parce que le LP partage son gain. Le schéma est parfaitement comparable.
Alexis Dupont : Ce qui est comparable c’est la construction intellectuelle : il y a 16 ans, la réforme Arthuis a défini une ligne de partage entre le monde de la plus-value et celui du traitement et salaire pour les équipes d’investissement. Les conditions sont d’ailleurs définies de façon très stricte. Au fond, c’est le même exercice qui vient d’être fait pour les managers.
Benjamin Fremaux : Il est beaucoup moins risqué qu’un entrepreneur qui investit toute son patrimoine dans un seul actif non liquide.
Pierre-Olivier Bernard : Le carried présente tout de même l’intérêt d’être dans une situation fiscale claire. On objective l’investissement à risque moyennant le régime de plus-value, ce qui est un avantage car il n’y a pas de contestation possible. La philosophie est d’intégrer le gain réalisé par le dirigeant dans un cadre légal sain et clair.
Alexis Dupont : Je suggère d’attendre la publication du Bofip avant de juger la clarté du dispositif. Mais selon moi, la comparaison entre les deux régimes n’est pas adaptée. Je rappelle en passant que le régime français du carried interest est le plus sévère au niveau européen. Sa fiscalité est portée à 79 % lorsque les règles Arthuis ne sont pas respectées. Quant à imaginer un nouveau régime, de type BSPCE pour entreprise de plus de 15 ans, c’est une idée intéressante : j’espère que l’association ALESI y parviendra.
Gonzague Chaussois : À l’heure actuelle, dans certains dossiers, en appliquant la loi, les managers en moins-value seront taxés en salaire. S’ils réalisent une perte sur toutes les AO et que le deal fait un tiers de la performance annoncée, il ne leur restera que leurs ADP de taux. Or tous les intérêts des ADP de taux sont traités en salaire, car le plafond correspondra à un multiple de 1/3 x 3 = 1.
Pierre-Olivier Bernard : Ce débat me rappelle un peu celui que nous avons eu au moment de la fronde des pigeons en 2012.
Cécile Gilliet : Pour conclure, je crois qu’il faut tous se satisfaire de cet alignement d’intérêts entre managers et investisseurs. Nous sommes ravis que les managers veuillent porter le débat et nous sommes tous unis pour obtenir le régime le plus satisfaisants pour tous.
Benjamin Fremaux : Il n’est en effet jamais trop tard pour bien faire !