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Lise Charmel : les dessous d’un retournement sur mesure

Victime d’une cyber-attaque en novembre 2019, le fleuron lyonnais de la lingerie haut de gamme s’est placé en redressement judiciaire à la veille de la crise sanitaire, et mené une restructuration corsetée pour en ressortir la silhouette affinée, mais l’ossature robuste.

Dentelles de calais, broderies italiennes, guipures raffinées, soieries sensuelles et matières nobles sont toujours la marque de fabrique de Lise Charmel. Malgré les difficultés qui ont failli la réduire en lambeaux il y a cinq ans, la maison lyonnaise n’a rien sacrifié de son élégance couture, atout de séduction de la griffe de lingerie haut de gamme depuis cinquante ans. « Nous sommes restés fidèles à notre ADN de grande exigence esthétique et de qualité pour un prix qui n’a pas bougé malgré l’inflation, car nous conservons la maîtrise de tous les maillons de notre chaîne de production », glisse Olivier Piquet, président du directoire de Lise Charmel, pointant implicitement certaines marques de lingerie qui ont perdu leur âme dans la sous-traitance. L’entreprise familiale au rayonnement international, a presque retrouvé son niveau de chiffre d’affaires pré-covid en dépassant les 50 M€ en 2023 et table sur une croissance en 2024.

Une cyberattaque à 10millions d’impact

Née dans les années 50 dans les quartiers de la soie à Lyon, berceau de la corseterie française, Lise Charmel a véritablement pris son essor en 1975, à partir du rachat d’un petit atelier de la Croix-Rousse par Jacques Daumal, toujours propriétaire du capital avec sa famille. Avec le groupe Chantelle et Simone Pérèle, Lise Charmel fait donc partie des rares PME françaises de lingerie restées indépendantes, Aubade étant passé sous pavillon suisse lors de son rachat par le groupe coté Calida en 2005 et Lejaby ayant été balloté de main en main jusqu’à sa troisième reprise à la barre en 2024 par un duo franco-indonésien. Car malgré le rayonnement à l’international des marques françaises, le marché de la lingerie a été bouleversé par les changements d’habitude de consommation et une érosion constante depuis les années 2000 où il pesait 2,5 mds€ en France contre 2 mds aujourd’hui. Le segment du haut de gamme, quoique plus préservé, a tout de même été atteint par le ralentissement global des ventes, aggravé par le mouvement des « gilets jaunes » en 2018. Mais alors que Lise Charmel, confrontée à des difficultés de trésorerie, s’apprêtait à renégocier en amiable avec ses créanciers dans le cadre d’un mandat ad hoc, la survenue d’une cyberattaque dans la nuit du 7 au 8 novembre 2019 l’a précipité dans un cataclysme sans commune mesure avec ses petits soucis de cash. « Production, création, logistique, boutiques, plus rien ne fonctionnait… pas même le téléphone », se rappelle encore avec effroi Olivier Piquet. La PME lyonnaise a fait les frais de sa stratégie de digitalisation avancée car tout le système a été paralysé pendant près d’un mois. Il faudra environ six mois pour rétablir l’ensemble des données et retrouver un fonctionnement normal, mais le préjudice à la veille des fêtes a été estimé à plus de 10 M€ pour un chiffre d’affaires global d’une soixantaine de millions.

85 % de « write-off »

Le placement sous procédure de redressement judiciaire était donc inéluctable en février 2020… quelques jours avant la fermeture des commerces pour le premier confinement de la pandémie de Covid-19. De quoi en faire une proie idéale pour les prédateurs qui rôdent autour des tribunaux de commerce pour une reprise à la barre à un euro symbolique. « Il a fallu faire comprendre à l’écosystème qu’une stratégie de retournement était possible et orienter les discussions vers un write-off de la dette pour bâtir un plan alternatif au plan de cession et dissuader les vautours qui tournaient autour de Lise Charmel », confie le dirigeant de la PME familiale, qui a réussi à souder ses équipes dans un élan combattif autour d’un projet de restructuration viable, sans le financement d’un PGE auquel les entreprises en difficultés n’étaient pas éligibles. « Tous nos cadres sont restés dans l’entreprise », assure le président de Lise Charmel. Entouré d’une armada de conseils, affublé d’un duo d’administrateurs judiciaires et d’un binôme de mandataires, l’expert-comptable arrivé aux manettes de l’entreprise familiale en 2009 a réussi à négocier un write-off de 85 % des 23 M€ de dette bancaire. Un effort des créanciers d’autant plus remarquable qu’il s’est fait sans exiger de changement de gouvernance ni d’actionnariat. « Nous avons des partenaires bancaires de longue date et on a toujours été transparents avec eux sur notre activité. La période d’observation a été longue mais nous avons montré pendant un an des résultats positifs, grâce aux marchés qui ont été maintenus malgré la crise sanitaire », retrace Olivier Piquet. Il aura donc fallu près de 18 mois de période d’observation pour convaincre le tribunal de commerce de la viabilité d’un plan de continuation alors que tout le monde annonçait la mort de Lise Charmel et son rachat par un acteur étranger. En septembre 2021, les 8 plans de continuation des sociétés du groupe sont ainsi arrêtés par le tribunal de commerce de Lyon. « Tout l’écosystème a joué le jeu à l’exception de la compagnie d’assurance qui, 5 ans après, n’a toujours pas nommé d’expert pour évaluer le préjudice », dénonce le président de Lise Charmel, qui a notamment promis à ses partenaires bancaires de leur reverser une partie de l’indemnisation de l’assureur dans le cadre d’une clause d’« excess cash flow ».

Périmètre ajusté

Si l’épreuve du redressement judiciaire n’est jamais une option prise de gaieté de cœur, cette phase a tout de même permis à Lise Charmel de mettre en place des mesures de restructuration rapides et efficaces qui auraient été autrement plus coûteuses et chronophages dans des conditions in bonis. « Nous avons réalisé en six mois ce qui nous aurait pris deux ans en période normale où il faut coller au respect des covenants bancaires et des contraintes sociales », témoigne Olivier Piquet, qui a engagé dès 2020 des actions de réduction de coût et de refonte de stratégie de marque, dont la dilution en cinq griffes faussait la lisibilité et engendrait des dépenses marketing et logistiques disproportionnées. La PME s’est donc recentrée sur ses deux marques phares Lise Charmel et Antigel, sans sacrifier la profondeur de gamme que permettaient les trois autres labels : Eprise (bonnets pour poitrines généreuses), Antinea (formes spéciales) et Epure (confort des matières coton-elasthane). L’ajustement est également passé par la fermeture de sept boutiques en France et cinq en Allemagne, sur un total de 600 points de vente en France et 1.400 à l’étranger. Enfin, les deux sites de production les moins performants ont été fermés, et les ateliers réorganisés pour optimiser la production. Au total, près de 6 M€ d’économie annuelle sont réalisées. « Cette cure nous a permis de retrouver de la marge pour autofinancer nos investissements et prouver à nos partenaires qu’ils ont eu raison de nous faire confiance », revendique Olivier Piquet. Le programme ciselé avec un doigté de dentelière a permis à Lise Charmel de sauvegarder l’essentiel de son périmètre de 800 collaborateurs, plus de 2000 points de vente à travers le monde, et une dizaine de boutiques en propre.

Avec plus de 50 M€ de chiffre d’affaires l’année dernière, un passif assaini et une rentabilité atteinte, la PME française peut aborder sereinement les remous d’un marché encore loin d’avoir retrouvé son rythme de croisière. Car les grandes marques de lingerie continuent à souffrir d’une conjoncture difficile, à l’instar d’Aubade dont l’activité est en berne d’après les comptes publiés par son actionnaire suisse coté Calida, et l’italien La Perla, en proie à des difficultés majeures qui l’ont conduit à la barre du tribunal en attendant que le ministère des Entreprises et du Made in Italy (Mimit) tranche parmi les seize offres de reprise annoncées début février. Loin de céder à la morosité ambiante, Lise Charmel veut miser plus que jamais sur le raffinement du luxe à la française pour séduire une nouvelle clientèle dans une débauche de soieries et de dentelles.

 

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