à s’ériger, les entreprises et les investisseurs vont devoir adapter à grande vitesse leur stratégie pour les prochaines années. Avec des conséquences inévitables sur le marché du M&A. Les explications de Jérôme Herbet, associé de Winston & Strawn
Depuis les élections présidentielles américaines, les marchés Outre-Atlantique ont subi un sévère ralentissement. En cause, les politiques de l’administration Trump concernant notamment les droits de douane, dont une partie est déjà rentrée en vigueur. Comment réagissent les acteurs américains et européens du M&A ?
Les bourses américaines ont réagi le 4 mars aux annonces de l’administration Trump en matière douanière, mais également en matière de défense, qu’il s’agisse de la position exprimée à l’égard de l’Ukraine (et de l’OTAN plus largement), ou encore des velléités concernant le Groënland, qui est un territoire Danois. Sur un mois, selon les données de Bloomberg, le Nasdaq a perdu 6,5 % et le DJIA 4,77 %. Les marchés européens ont également chuté le 4 mars, mais semblent se tenir relativement mieux sur la durée.
S’agissant du marché du M&A stratégique, il est fortement impacté aux États-Unis par les annonces gouvernementales. En 2024, on avait déjà observé un effet expectatif, conséquence du résultat des élections présidentielles. Mais la reprise, début 2025, se fait toujours attendre car la situation n’est pas plus rassurante. Selon les données de Dealogic, 1.603 transactions seulement ont été signées au sein des États américains en janvier et février 2025, ce qui représente le plus faible niveau sur la période depuis 2009 et une chute de 19 % en nombre sur un an et de 29 % en valeur à 248,78 mds$.
En Europe, le marché était déjà mou avant l’élection présidentielle américaine. La probabilité qu’il reparte dans le contexte actuel me semble faible, puisque les différentes annonces, peu lisibles, du président Trump n’ont pour effet que de renforcer l’attentisme des entreprises. L’environnement global n’est pas très porteur.
Le large cap est en effet ralenti en France depuis plusieurs mois. Mais qu’en est-il du midcap ?
Le marché du midcap est souvent moins exposé, du fait d’une internationalisation moins forte des entreprises. Moins internationales, elles opèrent sur des marchés plus régionaux, et sont donc en situation de demeurer actives sur leurs marchés locaux.
Dans ce climat économique et géopolitique compliqué, les opérations de M&A sont tout de même plus longues à se dénouer. Quelles options existent pour sécuriser les négociations ?
Il n’y a pas de recette miracle, mais on observe que les processus intermédiés évoluent, car il est plus difficile de boucler les opérations. Les délais s’allongent pour la réalisation des vérifications diligentes, et certains banquiers militent en faveur de ce rallongement pour parvenir à une meilleure négociation sur les fondamentaux des opérations. Plus un process est transparent, plus un acheteur a le temps de se faire une idée précise de la situation de la cible, moins il sera fondé à demander et obtenir des garanties étendues.
Dans les pays anglo-saxons, l’assurance de garantie de passif est assez répandue. Elle se développe en France, mais je ne pense pas qu’elle permette vraiment de sécuriser davantage les négociations dans le contexte actuel. Il est vrai que les fonds notamment, mais également certains acteurs stratégiques qui souhaitent préserver leurs bilans de passifs potentiels, s’y intéressent de plus en plus car la nature des produits proposés évolue et couvre des champs plus larges comme l’environnement et le risque fiscal.
L’élection de Trump et la dérégulation annoncée ne pourrait-elle pas créer de nouvelles opportunités pour les entreprises françaises qui souhaiteraient se développer aux US ?
Il est en effet probable que, pour contourner les droits de douane que l’administration Trump pourrait être tentée d’imposer aux produits européens, certaines entreprises européennes décident de s’implanter aux États-Unis ou d’y développer leurs activités. Certains grands noms de l’industrie du luxe ont déjà indiqué qu’ils entendaient développer leurs métiers d’excellence aux États-Unis et leurs capacités de production. La proximité affichée des entrepreneurs à la tête de ces entreprises avec le président Trump lui-même n’est peut-être pas étrangère à la démarche, mais il s’agit aussi de décisions rationnelles dans un contexte de renforcement des droits de douane.
D’autres groupes européens, comme Holcim, font le choix de filialiser leurs activités américaines pour ensuite les introduire à la Bourse de New York. Mais il convient d’avoir une base d’activité suffisamment forte localement pour que cette stratégie économique soit justifiée, ce qui est par exemple le cas des métiers du ciment.
Dans un contexte de défiance de l’administration de Trump à l’égard de l’Europe, dans quelle mesure le marché français est-il aujourd’hui attractif pour des investisseurs américains ?
Le pessimisme gagne les investisseurs américains, comme le révèle le récent baromètre AmCham-Bain & Cie : le NPS (Net Promoter Score) du pays en tant que destination d’investissement pour une entreprise américaine subit un recul de 22 points par rapport à 2023 et 45 % des investisseurs américains anticipent une évolution négative du contexte économique en France dans les deux à trois prochaines années.
Le prochain rapport des Conseillers du commerce extérieur de la France sur l’attractivité du pays ne devrait pas donner un constat différent.
Pensez-vous que les fonds américains vont continuer à investir sur le Vieux Continent ?
Les fonds de private equity ont une stratégie d’investissement souvent opportuniste, avec un horizon d’investissement assez court. Il est rare qu’ils privilégient les stratégies de « buy and hold » mais, pour augmenter la valeur de leurs participations, ils favorisent souvent la croissance externe. Donc on peut espérer que les fonds d’investissement américains qui disposent de liquidités à placer vont continuer à regarder des cibles européennes et notamment françaises. Tout dépendra des domaines d’activités. Mais si les relations continuent de se tendre avec le président Trump, peut-être que les Européens décideront de réagir en renforçant encore leur contrôle des investissements étrangers, notamment américains.
Le champ d’application du contrôle des investisseurs étrangers a déjà été considérablement élargi en France. Constitue-t-il un frein pour ces investisseurs à l’heure actuelle ?
Le renforcement du contrôle des investissements étrangers s’observe à l’échelle européenne, pas uniquement en France. Les États-Unis disposent d’une réglementation identique (le CFIUS – Committee on Foreign Investment in the United States) et les investisseurs américains ne sont donc pas spécialement surpris par l’actuel cadre européen et français en particulier. Le président Trump a d’ailleurs récemment annoncé qu’il allait donner consigne à son administration pour que les États qui ne seraient pas partenaires des États-Unis aient plus de difficultés à passer le CFIUS.
En France, un plus grand nombre d’opérations fait l’objet d’une notification au titre du contrôle des investissements étrangers. Ainsi quelque 309 demandes ont été déposées en 2023, dont 255 ont fait l’objet d’une décision. Tous les dossiers ne sont donc pas éligibles au contrôle. En 2023, 135 opérations d’investissements étrangers dans des sociétés françaises ont été autorisées et parmi elles, 44 % des autorisations rendues ont été soumises à des conditions. En creux, cela signifie que 120 opérations n’ont pas été autorisées.
Dans le dossier Opella, on a même vu le ministre de l’Économie et des Finances intervenir, avant le Minefi, pour poser ses conditions. Comment les étrangers jugent-ils cette intervention étatique ?
C’est l’essence même du contrôle des investissements étrangers : il s’agit d’un contrôle de l’État sur les opérations qu’il estime relever de la protection des intérêts nationaux. Bien sûr, la politique a toute sa place dans ce contrôle. Il n’est donc pas étonnant d’observer une prise de parole du ministre, en parallèle de l’instruction du dossier par les services de l’État. Dans le dossier Opella, le ministre a donc fait part de ses conditions : le maintien de la R&D en France, de la production, de l’emploi. Ce sont des annonces politiques. Et derrière, le Minefi instruit sur la base de critères de lecture qui ne sont parfois pas publics. Sur les grands dossiers avec des emplois en jeu ou certains aspects liés à la souveraineté, la parole politique s’est toujours fait entendre. Rappelons les dossiers Alstom / General Electric en 2014, ou encore Couche-Tard / Carrefour en 2021.
Si l’on regarde les chiffres publiés par Bercy, en 2023, 21,5 % des autorisations concernaient des activités sensibles par nature (défense et sécurité, notamment), 63,7 % concernaient des infrastructures, biens ou services considérés comme essentiels (énergie, réseaux, sécurité publique ou alimentaire, par exemple), et 14,8 % concernaient des domaines mixtes, relevant des deux premières catégories (par exemple, fabrication de pièces aéronautiques pour les domaines civils et militaires). Encore une fois, les États-Unis disposent d’une réglementation équivalente, donc cette intervention étatique au nom de la protection d’intérêts nationaux, ne surprend pas.