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« LES ENTREPRENEURS RECHERCHENT DE LA FLEXIBILITÉ »

Corollaire d’un environnement macro-économique empreint d’incertitudes et d’attentes divergentes entre les vendeurs et les acheteurs en matière de valorisation, l’activité du marché du private equity continue de s’inscrire en recul. Nicola Di Giovanni, associé chez Skadden, et Frédéric Chiche, partner chez Capza et co-dirigeant de l’équipe Capza Flex Equity Mid-Market, commentent les tendances du début d’année et la manière dont les fonds s’adaptent.

Après une année 2021 exceptionnelle pour le marché français du private equity, l’activité s’est inscrite, l’an dernier, en recul sensible sur le front des investissements. Qu’en a-t-il été durant ce premier semestre ?

Frédéric Chiche : Alors que le marché M&A dans son ensemble a reculé en valeur de plus de 40 % au cours du premier trimestre par rapport à son pic du premier semestre 2021, l’industrie du private equity n’a pas échappé à cette tendance. Dans un contexte toujours marqué par une inflation élevée, le coût du financement qui s’est fortement renchéri depuis un an (augmentation de moitié pour l’unitranche et doublement pour la dette bancaire) – ce qui induit notamment une réduction mécanique du levier implicite pour une opération de LBO – et une visibilité réduite sur les résultats et les plans d’affaires dans de nombreux secteurs, la valeur totale des transactions a logiquement reflué, bien que le volume se soit maintenu, drivé par les transactions de plus petites tailles et les opérations de buy and build.

Nicola Di Giovanni : Selon les tailles des deals, la dynamique n’est toutefois pas homogène. Ainsi, cette baisse a essentiellement affecté le segment large cap, les segments small et lowermid cap restant quant à eux actifs. Corroborant ce constat, l’Argos Index du premier trimestre 2023 relève d’ailleurs que l’activité M&A midmarket en Europe est restée conforme à ses niveaux de 2021 et 2022 en volume, tirée par les transactions de plus petite taille.

Ce même indice met également en lumière une poursuite du mouvement de correction des valorisations des PME européennes non cotées, dont le niveau médian est passé d’un plus haut de 11,6 fois l’Ebitda en 2021 à 9,7 fois en début d’année…

Frédéric Chiche : Cette baisse des valorisations médianes masque en réalité des évolutions très contrastées. Dans les faits, nous observons une nette polarisation dans les décisions d’investissement, avec d’un côté des investisseurs qui continuent de se positionner sur des actifs aux multiples de valorisation significatifs car bénéficiant de fondamentaux solides et d’une bonne visibilité sur leurs cash flows (santé, logiciels…), et d’un autre côté ceux qui réduisent la voilure en jetant leur dévolu sur des entreprises de plus petite taille et/ou dont la valorisation est plus faible. Là encore, les conclusions de l’Argos Index du premier trimestre le confirment : la part des multiples inférieurs à 7 fois l’Ebitda et ceux supérieurs à 15 fois l’Ebitda a progressé, au point de représenter 38 % des transactions midmarket en Europe. Toutefois, nous n’observons pas encore de baisse très significative des valorisations, mais une adéquation de plus en plus difficile opérée entre les prétentions des vendeurs et les prix offerts par les acheteurs.

Nicola Di Giovanni : Bien que la plupart des projets aillent à leur terme, il peut être observé, sur certaines opérations, un phénomène de contraction du multiple, compte tenu notamment du coût de la dette. Ce phénomène, quoique non généralisé, pourrait par ailleurs encourager le take-to-private, comme cela s’est observé aux États-Unis durant le premier trimestre 2023. Cette contraction reste toutefois réservée à certains secteurs ou à certains types d’actifs.

Dans ce contexte, comment s’adaptent les fonds ?

Nicola Di Giovanni : Plutôt que de vendre à un prix qu’ils jugent trop bas, beaucoup préfèrent « travailler » leur portefeuille. Ce faisant, ils cherchent non seulement à optimiser la structure de financement de leurs participations afin de limiter l’impact de la hausse des taux d’intérêt, par exemple, mais aussi, et surtout, à accélérer la croissance de ces dernières via du build-up. Pour autant, et comme cela a été déjà évoqué précédemment, la plupart des fonds restent également offensifs en termes d’investissement sur le mid-market. Dans leur démarche de flight-to-quality, certains acceptent pour les actifs les plus solides de payer la prime demandée par le vendeur. Lorsqu’un désaccord existe sur la valorisation, l’intégration dans les contrats juridiques de clauses de complément de prix devient plus fréquente. Enfin, quelques projets de transactions ont aussi avorté au cours des dernières semaines, la faute à un décalage persistant sur le prix attendu et proposé. Quelle que soit l’issue finale, face à un environnement actuel toujours empreint de fortes incertitudes macroéconomiques et géopolitiques, les processus d’acquisition ont tendance aujourd’hui à être plus longs, et les due diligences plus approfondies pour bien comprendre l’actif et appréhender les risques.

Frédéric Chiche : Certains fonds, dont Capza, proposent également de nouvelles typologies de transactions, de type « flex equity », qui permettent dans le contexte actuel de faire converger les attentes de valorisation et les objectifs des acheteurs, pour profiter des opportunités actuelles de buy and build notamment.

Qu’en est-il pour les équipes de Capza Flex Mid Market ?

Frédéric Chiche : Au sein de cette expertise et de ses deux fonds associés – le deuxième est en passe de boucler un premier closing entre 900 M€ et 1 Mds€ –, nous accompagnons des ETIs affichant un Ebitda supérieur à 20 M€, avec des tickets compris entre 50 et 200 M€. Il s’agit d’investissements majoritaires ou minoritaires de référence, réalisés à travers une large palette d’instruments flexibles (actions ordinaires ou de préférence, obligations convertibles) qui nous permet d’offrir une solution sur mesure, notamment à des familles et des pools d’investisseurs/ managers importants. Notre actualité s’inscrit parfaitement dans le panorama que vient de dresser Nicola. Avec une quinzaine d’opérations de build-up réalisées par nos participations depuis deux ans environ, nous gérons d’abord de manière très active notre portefeuille afin d’accompagner les dirigeants concernés dans leurs projets de développement. En parallèle, nous poursuivons activement nos investissements, comme l’illustre celui que nous avons sécurisé fin mai dans le domaine des softwares.

La compétition à laquelle se livrent les fonds pour mettre la main sur ce type d’actifs reste intense. Quels arguments mettez-vous en avant pour parvenir à vos fins ?

Frédéric Chiche : Deux éléments principaux nous distinguent. Tout d’abord notre approche, qui vise à proposer une histoire différente à l’entrepreneur, avec une solution ad hoc sur mesure, consiste à offrir aux dirigeants d’ETI une palette de solutions élargies pour structurer l’opération, soit pour profiter du contexte pour accélérer leur stratégie de consolidation, soit pour se reluer au capital s’ils le souhaitent. Ensuite, nous sommes l’un des premiers fonds de LBO mid-market à assumer une approche forte et pragmatique sur l’ESG. Nous pensons qu’au sein des secteurs « traditionnels » il y a une prime aux entreprises qui se positionneront intelligemment sur les enjeux de durabilité et particulièrement sur la décarbonation en ligne avec les accords de Paris. C’est donc un objectif que nous nous sommes fixés sur le portefeuille, que nous intégrons dans la documentation de nos transactions, les incentives des équipes dirigeantes et qui impacte notre carried interest.

Quels avantages cette approche présente-t-elle ?

Nicola Di Giovanni : Historiquement proposé par des acteurs anglo-saxons, sans présence locale, le « flex equity », qui prend la forme d’actions de préférence, fait l’objet d’un engouement croissant. Pour les fonds, cet outil présente l’avantage de garantir une performance, même dans le scénario où le sous-jacent ne serait pas performant. Côté entrepreneurs, il permet de financer la croissance de leur société avec, à la clé, une dilution maîtrisée. Cette stratégie se révèle particulièrement adaptée pour les entreprises familiales ou pour les fondateurs, hésitant à franchir le pas de l’entrée d’un investisseur majoritaire.

Frédéric Chiche : Cette approche, que nous venons à nouveau de décliner sur notre dernière opération, consiste à offrir aux dirigeants d’ETI une palette de solutions élargies pour structurer l’opération, soit pour profiter du contexte actuel pour accélérer leur stratégie de consolidation, soit pour se reluer au capital s’ils le souhaitent. Pour nos investisseurs, cette stratégie permet à la fois de bénéficier d’une protection à la baisse structurelle et significative, tout en offrant une exposition réelle à la capacité de croissance des sous-jacents et à l’upside de la performance.

Comment voyez-vous l’activité du midmarket évoluer durant le second semestre ?

Frédéric Chiche : Même si l’incertitude du moment reste complexe à pricer, les fondamentaux économiques tendent à s’améliorer. Tandis que la croissance résiste, l’inflation semble en effet avoir touché un plafond et les taux d’intérêt se stabilisent. Du reste, de nombreux dirigeants sont conscients de la nécessité de continuer à investir, et se tiennent prêts à le faire. Tous ces facteurs devraient soutenir l’activité.

Nicola Di Giovanni : Je partage cette vision, d’autant que nous assistons depuis plusieurs semaines à un enrichissement du deal flows, avec des dossiers dont la qualité va croissant et pour lesquels des solutions de financement alternatives à la dette bancaire existent – je pense notamment à la dette unitranche. En outre, les récentes levées de taille significative (Permira, Ardian…) ont été couronnées de succès, ce qui confirme l’attrait intact des LP’s pour la classe d’actifs du private equity.

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