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Ouvrir son capital : l’extension du champ des possibles

Entre les classiques fonds LBO majoritaires, les investisseurs minoritaires aux horizons divers, les family offices à la culture industrielle et les structures hybrides, le casting des actionnaires financiers s’est substantiellement élargi pour les fondateurs et dirigeants d’entreprises attractives.

Pour son cinquième LBO annoncé fin octobre avec une valorisation tutoyant 1,5 md€, le sous-traitant pharmaceutique Unither n’est pas passé du portefeuille d’Ardian à celui d’un autre "usual suspect" du LBO tricolore ou anglo-saxon. Son président Eric Goupil a opté pour un attelage hybride composé d’un fonds souverain singapourien, GIC, et du véhicule minoritaire du spécialiste du LBO d’origine scandinave IK Partners, aux côtés des deux français Keensight et Parquest, déjà actionnaires lors des tours précédents. Quelques semaines plus tôt, le spécialiste des aménagements paysagers urbains à partir de terres inertes ECT a troqué le fonds de LBO parisien Chequers Capital, son actionnaire majoritaire depuis 2017, contre le duo belge formé par la Compagnie Nationale à Portefeuille (CNP) et Sienna Private Equity, filiale du holding coté GBL, deux structures d’investissement de la « galaxie Albert Frère ». La preuve que dans un contexte où le robinet de la dette est fermé pour les opérations du haut du mid-market, les alternatives au pur LBO plain vanilla existent avec un large spectre d’acteurs allant du fonds souverain au family office en passant par une multitude de structures evergreen à l’ADN composite. 

Porosité entre les acteurs

Sur le cœur du mid-market, segment de loin le plus actif et le plus encombré, le choix est encore bien plus large et la porosité entre les acteurs du minoritaire et les investisseurs majoritaires s’est accrue. Que ce soit les captives bancaires toujours appréciées pour une première ouverture de capital non intrusive par les entreprises familiales, les investisseurs sectoriels, les plateformes multi-stratégies, les fonds sponsorless ou encore les structures evergreen cotées et les family offices, les dirigeants de pépites convoitées n’ont que l’embarras du choix et peuvent même se permettre de composer un pool diversifié avec différentes typologies d’acteurs. Ce casting plus élargi, qui aurait été synonyme d’usine à gaz auparavant, est devenu monnaie courante et élargit le champ des possibles pour des managers qui auraient tendance à préférer un pouvoir dilué auprès d’un consortium de fonds minoritaires qu’un majoritaire omnipotent. « Tous les dirigeants ne sont pas en position de force pour choisir leur futur actionnaire financier, rappelle Frédéric Jannin, fondateur du cabinet de conseil aux managers Oloryn Partners. Mais les managers qui en sont à leur troisième ou quatrième LBO jouent un rôle déterminant dans le choix du scénario capitalistique et du profil du partenaire du prochain cycle ». Si la prise de contrôle du capital par un premier cercle de cadres au bout du troisième ou quatrième LBO est devenue une pratique courante, cette configuration n’a rien de systématique pour autant. « Les arbitrages des dirigeants se font en fonction de leur situation patrimoniale, de leur âge, de leur appétence au risque mais également du projet industriel qu’ils portent pour l’entreprise et de la capacité du nouvel actionnaire à l’accompagner », résume Frédéric Jannin, qui a accompagné plus d’une centaine d’équipes dirigeantes ces quinze dernières années, dont l’illustre sixième LBO de Cerba Healthcare valorisé 4,5 mds€ par EQT en 2021. Rôdés aux opérations capitalistiques et conseillés par une armada d’experts, les managers étudient au peigne fin les caractéristiques de leurs futurs actionnaires : la taille du fonds pour remettre au pot aux prochains build-up, la couverture géographique si l’entreprise projette de conquérir des zones spécifiques, la culture "hands on" ou peu intrusive, le réseau et l’entregent dans les secteurs sensibles et bien sûr l’horizon d’investissement, argument de différenciation majeur pour les structures evergreen…

Montée en puissance des family offices

Ainsi des family offices ont évolué au fil des années de l’investissement indirect au co-investissement, puis aux incursions de plus en plus offensives sur le terrain des opérations de LBO classiques. C’est typiquement le cas de Téthys Invest, la structure d’investissement de la famille Meyers-Bettencourt qui a tout aussi bien participé au remaniement de l’actionnariat du numéro deux français des cliniques Elsan aux côtés de KKR et d’Ardian pour une valorisation de 3,3 mds€ à l’été 2020, partagé le tour de table de Galileo avec le fonds de pension canadien CPPIB, le véhicule de long terme du britannique Montagu et Bpifrance lors du LBO secondaire du numéro un européen de l’enseignement supérieur privé en mars 2020 valorisé quelque 2,3 md€, ou encore mené en solo la nouvelle ouverture de capital minoritaire de la marque de mode "digital native" Sézane en septembre dernier. 

Idem pour la holding de la famille Dentressangle qui vient d’annoncer l’entrée dans un nouveau cycle d’investissements, après la cession du groupe Ifop à LFPI en juillet dernier et renforce à cet effet son équipe private equity dotée d’une dizaine de collaborateurs. Avec plus de 5 mds€ d’actifs sous gestion, la structure d’investissement de l’entrepreneur Norbert Dentressangle, qui a fait sa fortune dans les transports routiers avant de vendre le groupe éponyme à XPO en 2015, est actionnaire majoritaire d’une douzaine d’entreprises, dont le loueur Kiloutou, l’ESN Tessi ou encore l’entreprise de dispositifs dentaires Acteon.

D’autres acteurs du mid-market mêlent l’horizon long terme d’une structure evergreen, l’ADN entrepreneurial du family office, et l’approche financière de professionnels aguerris du LBO comme le français HLD, le belge Cobepa, le family office de la famille Bemberg Quilvest ou encore le luxembourgeois Luxempart. Ce dernier se définit comme un acteur atypique dans le paysage du private equity européen : la holding cotée contrôlée par trois familles dont les fondateurs de l’assureur luxembourgeois Le Foyer, dispose d’une force de frappe de plus de 2 mds€ dont les trois-quarts sont affectés à l’investissement direct. « Nous misons des tickets entre 50 et 100 M€ avec une approche de long terme et une flexibilité dans nos prises de participation qui peuvent être minoritaires ou majoritaires, avec ou sans effet de levier », résume Olaf Kordes, managing director de Luxempart, qui estime que cet horizon long terme et cette souplesse sont des critères différenciants auprès des dirigeants d’ETI, lassés de l’accélération du rythme de rotation des actifs chez les fonds de LBO classiques. « C’est particulièrement le cas pour des dirigeants qui approchent de la soixantaine et qui aimeraient réaliser une dernière opération de sept à huit ans pour faire franchir à l’entreprise un nouveau palier avant de passer la main », poursuit Olaf Kordes.

Ce fut ainsi le cas d’Evariste, groupe spécialisé dans l’entretien des espaces verts, qui a remplacé fin 2021 son actionnaire minoritaire Montefiore par Luxempart. Ce dernier a misé un ticket en fonds propres de 87 M€ pour financer la dynamique de consolidation du groupe fédérant plus de 90 entreprises totalisant 4 000 employés tout en permettant à Raphaël Mucci, fils du fondateur de l’ETI familiale, de garder le contrôle du capital. « L’horizon long terme n’est pas un argument qui fonctionne avec tous les dirigeants. Certains sont certes usés par les LBO à répétition, mais d’autres apprécient de cristalliser leur management package tous les trois ans et n’ont absolument pas envie de rester liés au même actionnaire pendant une décennie », explique Frédéric Jannin (Oloryn Partners), qui négocie pour ses clients des clauses de liquidité intermédiaire dans les opérations avec les actionnaires long terme comme les family offices.

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