A l’heure où
le private equity peine à sortir de sa traversée du désert,
les family offices constituent une alternative de plus en plus crédible pour les dirigeants d’entreprise souhaitant ouvrir leur capital ou remodeler leur tour de table. Selon le neuvième baromètre Opinion Way de l’association française du Family Office (AFFO) publié en avril dernier, ces investisseurs s’inscrivent
à contrecycle de la frilosité des acteurs du capital investissement qui ont levé le pied depuis deux ans. En 2023, selon les résultats de l’enquête, 52 % des familles ont accru leurs investissements en France et à l’étranger, soit une hausse de 11 points par rapport à 2022. Et dans les allocations des FO, le capital investissement prend une part croissante, détrônant les autres classes d’actifs. Ainsi, pour l’année 2023, le private equity arrive en tête, suivi des actions cotées et de l’immobilier d’investissement. « Malgré un net ralentissement des retours des fonds de PE vers leurs souscripteurs en 2023, cette classe d’actifs continue à susciter un intérêt croissant auprès des FO avec un intérêt encore plus flagrant pour l’investissement en direct, signe d’une certaine maîtrise et de la volonté de continuer à épauler les entrepreneurs », commentait Frederick Crot, président de l’AFFO, en marge de la publication du baromètre. Le private equity représente ainsi 23 % des investissements des familles en 2023 en hausse de 2 % par rapport à l’année précédente. Mais surtout, ce que révèle ce baromètre, c’est que pour la première fois, la part de l’investissement direct dans les entreprises (12 %) a dépassé celle des souscriptions en tant que LP dans les fonds (11 %).
Foisonnement des FO
Les family offices ont ainsi évolué au fil des années de l’investissement indirect au co-investissement puis aux incursions de plus en plus offensives sur le terrain des opérations de LBO classiques. Dans le foisonnement de ces acteurs globalement peu connus du grand public, fuyant les médias pour certains, et même les grand-messes et salons professionnels car n’ayant pas besoin de lever des fonds, certaines stratégies sont peu lisibles passant de la start-up qui a tapé dans l’œil de l’ex-entrepreneur qui s’ennuie, à des LBO dans les secteurs de services prisés par les « usual suspects » du private equity ou par les investissements patrimoniaux dans le luxe et l’immobilier.
Mais d’autres n’ont rien à envier aux acteurs historiques du capital investissement, avec des machines de guerre pour le sourcing des deals et des équipes professionnelles souvent débauchées chez les fonds institutionnels. Allier l’agilité d’un single family office et le professionnalisme d’un fonds de private equity, c’est justement le projet de Philippe Poletti en lançant en septembre dernier son FO « PolEquity », doté d’une première enveloppe de 120 M€ pour investir dans des PME dans les secteurs de la santé, du bien-être, des services responsables et de l’industrie & environnement propres. Un peu plus d’un an après son départ officiel d’Ardian, l’ex-DG France du géant de l’investissement mondial place la structuration de son family office sous le signe d’un retour aux sources du métier d’investisseur, délesté des contraintes de levée de fonds et à rebours de la mutation des acteurs historiques en asset managers multi-stratégies.
De quoi conforter le positionnement de la plupart des grands FO qui mettent en avant leur ADN familial pour séduire des entrepreneurs encore méfiants face à l’univers de la finance. Même si dans les faits, il est difficile de vraiment distinguer les approches des uns et des autres. On retrouve les family offices désormais sur tous les segments, du large cap au small, et dans toutes les configurations, que ce soit en pool avec des investisseurs de private equity classique ou en solo sur des sujets parfois proches de leur ADN sectoriel originel. C’est typiquement le cas de Téthys Invest, la structure d’investissement de la famille Meyers-Bettencourt qui a tout aussi bien participé au remaniement de l’actionnariat du numéro deux français des cliniques Elsan aux côtés de KKR et d’Ardian pour une valorisation de 3,3 mds€
à l’été 2020, partagé le tour de table de Galileo avec le fonds de pension canadien CPPIB, le véhicule de long terme du britannique Montagu et Bpifrance lors du LBO secondaire du numéro un européen de l’enseignement supérieur privé en mars 2020 valorisé quelque 2,3 mds€,
ou encore investi dans l’ouverture de capital minoritaire de la marque de mode « digital native » Sézane en septembre 2022. Idem pour la holding de la famille Dentressangle qui vient de mener ce printemps la transmission de sa gouvernance du patriarche Norbert Dentressangle à ses deux enfants, Pierre-Henri Dentressangle et Marine Drumain Dentressangle. Avec plus de 3 milliards d’actifs sous gestion, la structure d’investissement de l’entrepreneur Norbert Dentressangle, qui a fait sa fortune dans les transports routiers avant de vendre le groupe éponyme à XPO en 2015, est actionnaire majoritaire d’une dizaine d’entreprises, dont le loueur Kiloutou, l’ESN Tessi, le fabricant d’implants Marle ou encore l’entreprise de dispositifs dentaires Acteon.
Passer de l’autre côté du miroir
D’autres acteurs du midmarket mêlent l’horizon long terme d’une structure evergreen, l’ADN entrepreneurial du family office, et l’approche financière
de professionnels aguerris du LBO comme le français HLD, le belge Cobepa, le family office de la famille Bemberg Quilvest ou encore le luxembourgeois Luxempart. A ces investisseurs upper-mid cap s’ajoute une myriade de structures plus jeunes fondées par des entrepreneurs, souvent passés par la case LBO qui les a enrichis et leur a donné les moyens de passer de l’autre côté du miroir. Car les belles histoires créent des liens indéfectibles entre investisseurs et entrepreneurs. C’est ce qu’a prouvé un associé d’Andera, Alexandre Foulon, en quittant la plateforme de private equity en 2022 pour diriger le family office Kresk créé par le dirigeant d’une de ses anciennes participations. En 2006, Andera (Edrip à l’époque) et Initiative & Finance soutenaient le MBI d’une petite PME de cosmétique anti-âge aux 4 M€ de revenus dont l’entrepreneur visionnaire Didier Tabary avait perçu le potentiel : Filorga. 13 ans et un LBO avec HLD plus tard, le petit laboratoire s’est transformé en poule aux œufs d’or et a été revendu 1,5 md€ (30 fois son Ebitda !) à Colgate-Palmolive. Le family office de l’entrepreneur se retrouve lesté par la même occasion de quelque 700 M€ de plus-value et d’un portefeuille de quatre marques cosmétiques sorties du giron de Filorga : Fillmed SVR, Le Couvent et Lazartigue. Avec près d’1 md€ d’actifs sous gestion, Kresk Développement comprend un pôle de non coté doté d’une activité de fonds de fonds, de co-investissement et de 250 M€ alloués à de l’investissement direct dans le lower-mid market. En deux ans, le FO a pris des participations dans une demi-douzaine de PME de secteurs variés allant du spécialiste parisien de la pâtisserie haut de gamme Michalak au cabinet de conseil en transformation opérationnelle de la supply chain Citwell et tout récemment à la société de vidéosurveillance et des services de sécurité ITQ. Des domaines bien éloignés de la cosmétique mais le profil de l’entrepreneur à succès est souvent un facteur différenciant pour convaincre d’autres entrepreneurs, surtout dans un LBO primaire. « Le leadership inspirant et l’expérience de Didier Tabary, fondateur de Kresk, sont des atouts stratégiques majeurs, nous offrant une vision claire pour consolider notre position sur le marché national et renforcer notre présence à l’international », témoignait ainsi le dirigeant-fondateur d’ITQ, Joseph Levy, au moment de l’entrée de Kresk à son capital début octobre. Enfin, s’ils peuvent être perçus par les fonds institutionnels comme des concurrents redoutables sur les process très disputés, les FO sont accueillis comme des messies pour assurer des sorties grippées depuis deux ans. Ce fut ainsi le cas de la cession par Equistone du spécialiste lot-et-garonnais de location de nacelles Acces Industries valorisé quelque 400 M€ au printemps dernier par le family office Delmas Investissements et Participations (DIP). Quatre ans après son entrée dans le portefeuille du fonds paneuropéen, le loueur de nacelles élévatrices et de matériel de manutention aux 140 M€ de chiffre d’affaires clôt ainsi le cycle de trois LBO en passant sous le contrôle d’actionnaire plus long terme. En plus de son ancrage local à Bordeaux, proche du siège d’Acces Industrie, le nouveau propriétaire apporte également un prisme sectoriel puisque le holding du groupe familial Delmas investit dans l’énergie, la manutention, la logistique et l’immobilier, et connaît bien le métier de sa nouvelle participation.