Les régimes de régulation des investissements étrangers ont pris une grande ampleur
dans la plupart des pays du monde. Qu’il s’agisse d’un deal M&A ou de capital
investissement, le spectre du contrôle ex ante s’est élargi dans les opérations. Explications
par Faustine Viala, associée en droit de la concurrence/antitrust et investissements
étrangers, et Fabrice Veverka, associé corporate/M&A, cabinet Willkie Farr & Gallagher.
Quel bilan faites-vous du contrôle des investissements étrangers en France et dans le monde ?
Faustine Viala : Le contrôle des investissements étrangers en France a évolué en dix ans, s’agissant tant du champ du niveau d’investissements contrôlés que des secteurs concernés. Entre 2017 et 2021, les statistiques démontrent une augmentation continue du nombre de notifications au titre de ce contrôle. Mais depuis, force est de constater une certaine stabilisation. Dans la pratique, un peu plus de 50 % des opérations sont hors champ, et un peu plus de 10 % sont autorisées sous conditions – ce qui n’est tout de même pas significatif. L’évolution a surtout été remarquable dans le reste du monde.
Fabrice Veverka : La réglementation a en effet évolué dans de nombreuses juridictions de l’OCDE, ou même au sein des pays dans lesquels l’environnement réglementaire est structurellement moins développé. Dans certaines opérations, des autorisations doivent désormais être obtenues dans des pays qui ne sont concernés que de manière très marginale. Dès lors, les risques d’exécution liés à cette thématique deviennent parfois très importants.
Faustine Viala : Depuis cinq ans, les régimes de contrôle des investissements étrangers ont pullulé dans la plupart des États. Le Royaume-Uni, notamment, a considérablement renforcé ses procédures depuis le Brexit et nous impose de notifier des réorganisations internes ou des investissements sur des entreprises qui n’ont qu’une activité très mineure dans le territoire. C’est également le cas dans les pays membres de l’Union Européenne, où il faut multiplier les procédures administratives.
Il y a tout de même une volonté d’uniformisation en Europe…
Faustine Viala : Dans 24 États européens, il existe un régime d’investissements étrangers qui évolue à intervalles réguliers. Quatre autres sont en cours de mise en place. Nous avons par exemple été confrontés récemment au système suédois à l’occasion d’une opération M&A initiée par un acquéreur français sur une cible française qui détenait une filiale en Suède. Nous avons dû notifier selon un nouveau régime FDI et notre dossier est automatiquement passé en phase 2, car le service de contrôle était débordé du fait des incertitudes quant aux modalités d’application de la récente évolution réglementaire locale.
Le règlement européen de 2019 sur le régime des investissements étrangers, entré en vigueur en 2020, a vocation à harmoniser ces différents régimes. La Commission européenne informe ainsi tous les États membres des notifications qu’elle reçoit, charge à eux de se prononcer sur l’opération. Un projet de règlement 2024 propose d’aller encore plus loin dans l’uniformisation et propose de limiter les investissements réalisés par des investisseurs non contrôlés par un européen qui passeraient par les quatre pays n’ayant pas encore de régime adapté.
Fabrice Veverka : Si le régime des contrôles va vers une harmonisation en Europe, ce n’est pas le cas de tous les autres pays du monde. Les opérations transfrontalières sont soumises à divers contrôles selon les éléments d’extranéité existants, qui sont de plus en plus difficiles à anticiper et qui rendent la réalisation des deals plus incertaine. Les entreprises se retrouvent dès lors avec des risques d’exécution qui sont la conséquence d’une volonté politique de juridictions qui, parfois, ne sont même pas réellement concernées par l’opération.
Quel est l’impact sur les deals M&A et de private equity de l’élargissement du champ du contrôle ?
Faustine Viala : Le champ d’application a été considérablement élargi en France et en Europe depuis la pandémie. L’abaissement du seuil de contrôle des investissements étrangers à 10 % des droits de vote dans les sociétés cotées sur un marché réglementé a été pérennisé depuis 2023 en France. En Espagne, ce seuil est de 10 %, voire de 5 % quand il s’agit du secteur de la défense. L’Italie, la Suède, le Danemark et l’Autriche ont ce même seuil à 10 %.
Ceci a des conséquences sur les deals de M&A bien sûr, mais aussi sur les dossiers de capital investissement s’agissant du niveau de détention des LP’s. Le régime de contrôle concerne en effet également les investissements indirects. C’est la chaine de détention économique qui intéresse les autorités en matière de FDI, et non la chaine de contrôle comme dans les autorisations de concentration. Il faut donc y être attentifs, notamment lors de la structuration d’un fonds de continuation. Dans leurs investissements aussi les fonds n’échappent pas à ces procédures de contrôle, car c’est un atout pour la cible à la revente de savoir si elle entre ou pas dans le champ d’examen du contrôle des investissements étrangers, Minefi ou autres régimes.
Fabrice Veverka : Sur des deals M&A, des sujets peuvent également se poser en fonction de la nationalité des actionnaires de l’investisseur, ou bien lorsque la cible détient une participation résiduelle, voire parfois anecdotique, dans une juridiction extrêmement rigoureuse en matière de FDI.
Ces procédures sont-elles un frein pour les investisseurs ?
Fabrice Veverka : Je ne le pense pas car peu d’opérations sont avortées pour des raisons de FDI. Mais ces questions doivent être anticipées car elles peuvent ralentir ou complexifier la conclusion du deal, ce qui n’est pas sans conséquence.
Faustine Viala : J’ajoute que le contrôle français est assez efficace et pragmatique si on le compare à celui d’autres juridictions. Même s’ils ne publient pas leurs décisions, les services du Minefi réalisent des rapports réguliers qui permettent d’avoir une idée assez précise de leur doctrine.
Fabrice Veverka : Les services français sont assez ouverts au dialogue, ce qui est très appréciable pour les investisseurs. En Grande-Bretagne, la situation est différente, le champ d’application est très large et c’est une « black box » totale durant plusieurs semaines. Mais l’administration indique une date à laquelle la décision sera rendue, qu’elle respecte scrupuleusement, ce qui apporte donc de la prévisibilité. Le sujet est donc à apprécier juridiction par juridiction.
Faustine Viala : En Suède par exemple, la nouveauté du régime applicable a considérablement complexifié les rapports entre les parties notifiantes et l’autorité de régulation durant plusieurs mois et dans une très grande majorité de dossiers, les réponses ont été très longues à obtenir. Il nous est arrivé de nous orienter vers une structuration différente de la structure initiale du deal au niveau local pour nous permettre de le « closer » dans les délais attendus par les parties.
Avez-vous perçu une évolution des conditions imposées par les autorités, notamment en France ? Le cas Opella, notamment, est assez original à ce titre…
Faustine Viala : Dans le cas de la vente d’Opella au fonds américain CD&R, les conditions imposées par le ministère de l’Economie et des Finances vont au-delà de celles qui sont généralement imposées dans le cadre du contrôle des investissements étrangers en France. En effet, l’accord tripartite qui a été signé entre CD&R, Sanofi et l’État français visant à enjoindre à l’acquéreur un certain nombre d’exigences ne s’est pas strictement fait dans le cadre de la procédure de contrôle des investissements étrangers mais en amont de celle-ci, et surtout s’est accompagné d’un investissement de l’État au capital de Sanofi via la BPI. Aussi, l’État français – investisseur et régulateur - oblige notamment l’acquéreur à maintenir les sites de production en France et l’emploi, durant un certain nombre d’années, sous menace de sanction. Les conditions imposées en l’espèce vont au-delà de ce que l’on voit généralement dans les dossiers gérés uniquement via la procédure de contrôle des investissements étrangers. C’est un accord contractuel, très politique, qui ne préjuge pas d’une évolution des pratiques du Minefi.
Fabrice Veverka : Lorsque cette communication a été faite sur le dossier Opella, CD&R venait tout juste d’entrer en négociations exclusives. Il ne devait même pas encore avoir formellement notifié aux autorités. Le Minefi va sans doute reprendre les conditions communiquées ces dernières semaines par Bercy dans son autorisation, mais habituellement le montant des sanctions en jeu n’est jamais autant détaillé (ndlr. jusqu’à 40 M€ de pénalité en cas d’arrêt de la production avant 5 ans, et 100 000 € de pénalité par emploi supprimé par licenciement économique contraint).
Si une entreprise prend des engagements à l’égard du Minefi et qu’elle ne les respecte pas, la réglementation prévoit potentiellement un retour au statu quo ante aux frais de la partie notifiante, ainsi que des injonctions financières. Dans les faits, le Minefi a donc un pouvoir de sanction important, mais tient évidemment compte des implications économiques et politiques qui résulterait de son utilisation. Le dossier Alstom/General Electric a laissé des traces et, désormais, le ministère de l’Economie n’hésite pas à s’exposer en amont sur les dossiers visibles.