Détenue à 100 % par ses collaborateurs, la société d’ingénierie et de conseil dans le domaine de la construction Ingérop vient de boucler une dizaine d’acquisitions en l’espace de deux ans. Une stratégie offensive qui lui permet de se renforcer sur des marchés de niche et d’accélérer son développement à l’international, où elle réalise désormais environ un tiers de son chiffre d’affaires.
Ingérop passe la vitesse supérieure sur le front de la croissance externe.
À la suite de son rachat par une quarantaine de cadres au début des années 2000, le groupe d’ingénierie et de conseil en mobilité durable, transition énergétique et cadre de vie – alors filiale de GTM, qui venait d’être repris par Vinci – avait commencé par procéder à deux acquisitions en 2004, avant d’en réaliser près d’une vingtaine au cours des quinze années qui ont suivi, tant en France qu’à l’étranger (Allemagne, Royaume-Uni, Chili…). Contrainte de mettre sa stratégie de M&A en pause au plus fort de la crise sanitaire de Covid-19, la société a rapidement repris sa marche en avant. Ou plutôt son sprint.
Une contribution d’un quart à la croissance récente
Car après deux nouvelles emplettes en 2021, elle a en effet bouclé l’an dernier les reprises d’Acterra et de Mazet & Associés en France, celles de Bau + Plan et d’IBF Ingenieure en Allemagne, et enfin celle d’Aspect Engineering PTY en Australie –
le tout en accroissant sa participation dans HPM au Maroc. En 2023, six nouvelles transactions sont encore venues compléter son édifice. Fin octobre, Ingérop finalisait ainsi le rachat de l’activité « ingénierie de sûreté et sécurité » du groupe Risk and Co, placé en redressement judiciaire. Peu avant, l’ETI française (316 M€ de chiffre d’affaires en 2022, environ 3 000 collaborateurs) avait mis la main sur l’Atelier des Territoires, tout juste après s’être renforcée en Europe avec les acquisitions de SGI Suisse, de T&RS Engineering Limited au Royaume-Uni, de la société espagnole Leedeo Engineering et de RRI en Allemagne. « Nous avons pour habitude d’acquérir des acteurs de niche, qui comptent le plus souvent entre 10 et 60 collaborateurs et dont le coût oscille entre quelques centaines de milliers d’euros et quelques millions d’euros », précise Yves Metz, président d’Ingérop. Effectuée outre-Rhin fin 2018, sa plus importante opération de croissance externe affichait une valorisation avoisinant 10 M€. De taille petite ou moyenne, donc, ces opérations, qui ont jusqu’à présent toutes été financées en cash avec sa trésorerie, n’en ont pas moins un impact notable sur le développement récent d’Ingérop. « Depuis trois ans, notre chiffre d’affaires a augmenté de moitié, passant de 246 M€ en 2020 à un montant d’environ 370 M€ attendu pour l’exercice 2023.
Or près d’un quart de cette croissance résulte de nos acquisitions », informe Yves Metz.
Trois objectifs principaux
Les objectifs définis par le groupe dans son plan stratégique actuel, Vision 2027, ne sont pas étrangers à ce coup d’accélérateur donnée à la croissance externe. De fait, celle-ci a une incidence directe sur trois des sept grands axes de Vision 2027. Le premier concerne l’écologie, « domaine dans lequel les acquisitions ciblées, à l’instar de celles de l’Atelier des Territoires (bureau d’études spécialisé dans l’aménagement du territoire, l’environnement et l’urbanisme) et de Bau + Plan (spécialiste de l’hydraulique et de l’électromécanique des ouvrages fluviaux), contribuent à faire d’Ingérop un acteur majeur du développement durable », soutient Yves Metz. Le deuxième axe repose sur le déploiement de nouveaux services, tandis que le troisième consiste en l’internationalisation croissante de l’activité du groupe, dont il vise un accroissement de 80 % sur la période 2019-2027. D’ores et déjà devenu un acteur de premier plan en Allemagne, au Royaume-Uni, en Suisse, en Espagne et en Australie, Ingérop regorge d’ambitions sur de nouvelles zones géographiques, notamment le Canada et la Scandinavie.
Des relations souvent préexistantes
Pour identifier ses différents projets d’acquisition, l’ETI, qui ne dispose pas en interne d’équipe dédiée au M&A, s’appuie essentiellement sur trois canaux : le ciblage de candidats sur la base de l’objectif recherché, la participation à un processus d’acquisition concurrentiel initié par une banque d’affaires et, configuration la plus fréquente, la prise de contact en direct avec les dirigeants-actionnaires d’entreprises qu’Ingérop connait déjà… et apprécie. « Dans notre secteur, nous vendons de la matière grise, rappelle Yves Metz. Dès lors, pour qu’une acquisition soit concluante, il est impératif que les équipes reprises restent, ce qui implique que nous partagions les mêmes valeurs ». Lorsque la transaction va à son terme, la société d’ingénierie et de conseil a pour habitude de conserver les cadres-actionnaires cédants au capital durant une durée de trois à cinq ans. Dans un souci de les « incentiver », l’intégration d’une clause de complément de prix, dite « earn-out », peut aussi faire partie des options retenues.
Un atout en termes
de rétention des talents
Même si la direction d’Ingérop reconnait quelques échecs dans sa politique de M&A, comme au Portugal il y a une quinzaine d’années où le groupe avait « sans doute voulu acheter trop gros, trop vite » selon Yves Metz, elle en dresse un bilan très positif, y compris sur un plan RH. « Afin d’attirer et de retenir des talents, le fait de pouvoir proposer aux collaborateurs de la mobilité interne, notamment à l’international, constitue indéniablement un plus », insiste le dirigeant. En phase très active de recrutement (310 embauches en CDI en 2022, presque autant en 2023), l’ETI n’hésite d’ailleurs pas à actionner ce levier, comme l’illustrent les deux récents mouvements de salariés britannique et suisse au sein de la filiale australienne.
Loin d’être rassasié, Ingérop n’entend pas lever le pied sur le front des acquisitions. « Nous avons en ce moment quatre à cinq dossiers dans le « pipe », chacun à des stades de maturité divers », prévient Yves Metz, qui a bon espoir qu’au moins d’entre eux aboutisse courant 2024.