Plutôt que de développer en interne un service, un produit ou une technologie d’une part, ou de racheter sur le marché une entreprise existante d’autre part, un nombre croissant de sociétés choisissent de s’associer à une structure spécialisée dans la conception de jeunes pousses afin de créer, à partir d’une page blanche, une start-up répondant à des besoins spécifiques. Avec, à la clé, divers bénéfices.
Afin d’étendre sa toile sur le lucratif marché du e-commerce et, plus spécifiquement, sur le segment des paiements effectués sur les plateformes de commerce en ligne, BNP Paribas a annoncé fin 2023 le lancement d’une nouvelle offre. Fournie par une fintech, celle-ci vise à proposer à ses clients des solutions « clé en main » pour leur permettre de gérer de façon sécurisée les transactions réalisées sur leur site, puis de redistribuer facilement les fonds collectés vers les vendeurs tiers concernés. « Au sein de BNP Paribas, il nous manquait une plateforme technologique, en capacité de traiter les flux des plateformes telles que les marketplaces », indique Neil Pein, responsable des paiements et fintechs de BNP Paribas. Pour ce faire, l’établissement bancaire a opté pour une démarche originale : la création d’une entreprise dédiée en partant d’une page blanche, en partenariat avec un « start-up studio ».
Un concept protéiforme apparu en 2007
Apparu à Berlin en 2007 avec l’arrivée du studio Rocket Internet, ce concept désigne une structure dont la raison d’être consiste à concevoir des start-up à la chaîne. À la différence d’incubateurs et d’accélérateurs, qui vont accompagner une jeune pousse existante pour l’aider à se développer, les start-up studios partent de zéro en commençant par identifier un besoin de marché, avant d’élaborer un projet. Si son potentiel commercial vient à se confirmer à l’issue d’un travail d’évaluation, des équipes sont ensuite recrutées dans l’objectif de le développer. Alors que plus d’une cinquantaine de structures spécialisées et généralistes revendiquent aujourd’hui le statut de start-up studio en France (Hexa, Factory 319, Imagination Machine, Sparkling Partners, Mobility Founders…), certaines ont fait le choix de travailler main dans la main avec des entreprises matures, à l’instar de 321founded avec qui BNP Paribas a justement collaboré, voire sont l’émanation directe de corporates, à l’image d’Urban Odyssey (Icade), La Fabrique by CA (Crédit Agricole) ou encore Kamet (AXA).
Face à une impasse
Avant de s’engager dans cette voie, BNP Paribas en avait exploré d’autres, plus classiques. La première aurait consisté à développer, en interne, la plateforme technologique souhaitée. « Mais cette option aurait pris du temps, alors que je souhaitais avancer vite », précise Neil Pein. La seconde, qui reposait sur une acquisition, a également vite été écartée. « Après une revue des actifs disponibles sur le marché, nous avons constaté qu’aucun ne répondait à nos attentes, soit en raison de valorisations élevées pour un service non rentable, soit parce que leur intégration aurait nécessité un trop lourd travail de mise aux normes sur les plans de la conformité et de la sécurité IT », complète-t-il. C’est donc après s’être rapproché de 321founded et avoir réfléchi sur ce que serait l’actif idoine que la fintech a vu le jour, au bout de quelques mois.
Le cas de BNP Paribas est loin d’être isolé. Filiale du groupe ADP (Aéroports de Paris), Hub One a elle aussi décidé de travailler avec un studio, en l’occurrence Alacrité France. « En interne, la bande passante reste limitée. Dans ce cadre, le fait de mobiliser des collaborateurs sur une idée prometteuse mais à l’issue incertaine peut se révéler contre-productif, en venant in fine affecter l’activité du quotidien », explique Olivier Mellina-Gottardo, secrétaire général de l’opérateur de technologies digitales pour les entreprises. La démarche de Hub One est un peu différente car celle-ci est devenue, aux côtés d’autres acteurs publics et privés, actionnaire d’Alacrité France, qui développe ainsi divers projets de front. Pour sa part, la foncière Icade a fondé son propre studio en 2019, Urban Odyssey, avec l’intention de faire émerger des solutions dont elle avait besoin, mais qu’elle ne trouvait pas sur le marché. « Il arrivait que des start-up nous approchent, à des fins de partenariat commercial ou de rachat, mais la plupart d’entre elles étaient soit à un stade de développement trop peu avancé, soit trop avancé, avec un produit ou un modèle déjà figé qui ne correspondait pas exactement à ce que nous recherchions », témoigne Nicolas Bellego, directeur de l’Innovation d’Icade et directeur d’Urban Odyssey. Dans la liste des entreprises qui ont œuvré avec un studio, on retrouve également le PMU (création du fantasy game Stables) et le cabinet AugustDebouzy (création d’Angelaw, solution SaaS sur l’ensemble du processus contractuel).
Des stratégies différentes…
En procédant de la sorte, chacune de ces entreprises peut poursuivre des objectifs différents. « Notre ambition consiste à créer des start-up dont l’activité est ouverte à l’ensemble des acteurs de marché, sur des enjeux bien spécifiques, et pas uniquement à Icade, évoque par exemple Nicolas Bellego. Cette logique de filière s’inscrit dans une volonté de permettre aux start-up que nous faisons émerger, et dont nous sommes convaincus de la pertinence, d’avoir accès à un marché suffisamment large pour se développer, atteindre leur rentabilité, et par là même de faire croître leur valorisation. » À ce titre, Urban Odyssey est systématiquement minoritaire au capital. « Nous ne nous interdisons certes pas d’acquérir une start-up à terme, mais ce n’est clairement pas l’objectif de départ », indique le dirigeant. Pour sa part, BNP Paribas a vocation à être l’unique utilisateur de la solution développée et, si tout se passe bien, à intégrer la fintech. L’actionnariat des start-up se partage entre le corporate, le studio et l’entrepreneur à la tête du projet.
…mais des bénéfices communs
Malgré quelques déceptions inhérentes à de tels processus d’innovation, cette stratégie de développement hybride apporte le plus souvent satisfaction. « Avec cette stratégie, nous évitons les écueils de certaines formes d’intrapreneuriat, qui rendent difficiles un accès à un marché plus large – dont le fait de pouvoir adresser la concurrence du corporate en question –, mais également les limites du rachat de start-up plus établies, dont la méconnaissance peut facilement conduire à de mauvaises surprises au moment de l’intégration », apprécie Nicolas Bellego. En outre, l’alliance entre professionnels du monde des start-up et corporates tendrait à maximiser le succès du projet, notamment par rapport aux investissements directs dans des jeunes pousses. « Par le biais de cette collaboration, l’entreprise amène non seulement son savoir-faire et ses connaissances métiers, mais aussi un volume significatif d’utilisateurs de la solution, ce qui contribue in fine à conforter les perspectives de développement de l’entité créée », relève Neil Pein, dont l’analyse est corroborée par Patrick Amiel, co-fondateur de 321founded : « Pour une jeune pousse, la conquête de grands comptes prend généralement beaucoup de temps. Mais si celle-ci est développée avec l’appui d’un grand compte, elle peut immédiatement profiter de son réseau et, ainsi, passer rapidement au rang de scale-up potentielle. »
Des émules
À cela s’ajoute, enfin, un dernier atout d’ordre RH. « Le fait de développer une start-up en partant d’une page blanche nous permet également d’attirer des talents qui n’auraient pas forcément rejoint BNP Paribas de prime abord, et qui auront vocation à intégrer le groupe d’ici quelques années. » Autant d’atouts qui contribuent à emporter l’adhésion des intéressés. « Il s’agit d’une solution très utile dès lors qu’elle s’inscrit au sein d’une large palette d’outils dédiés à l’innovation », estime Olivier Mellina-Gottardo. Dans ce contexte, le recours aux corporates start-up studios pourrait s’intensifier dans les mois qui viennent à en croire les professionnels. « Notre démarche suscite de plus en plus de convoitises, notamment au sein de sociétés du CAC 40 », assure Patrick Amiel. À lui seul, 321founded entend créer cette année cinq start-up en partenariat avec de grands corporates.