Encore à ses prémices, le recours à l’intelligence artificielle commence à faire ses preuves dans les processus de fusion-acquisition, essentiellement lors des phases d’identification d’acheteurs et vendeurs et, surtout, de due diligence. Face aux inconnues et aux risques qui entourent cette technologie, une certaaine prudence persiste toutefois parmi les banquiers d’affaires.
Sera-t-il encore utile, dans un avenir proche, de recourir à des conseils M&A et des avocats spécialisés en droit des affaires pour mener à bien des opérations de fusions-acquisitions ? Volontiers provocatrice, cette interrogation n’est pas infondée pour autant. Car comme c’est déjà le cas pour de nombreux métiers ou domaines d’activité, l’univers du M&A n’échappe pas à la déferlante ChatGPT et consorts. Et même si le recours à l’intelligence artificielle (IA) générative n’en est qu’à ses débuts, ses bouleversements s’annoncent d’ores et déjà majeurs.
Optimiser
le matchmaking
À en croire les praticiens, de nombreuses conditions sont réunies, il faut dire, pour que l’IA puisse pleinement exprimer ses facultés. « L’usage de la data est de plus en plus important pour tout l’écosystème, à toutes les étapes d’un deal M&A. Dans ce contexte, énormément de diligences, de recherches sectorielles et d’appréciation d’entreprises peuvent faire l’objet d’une certaine automatisation, de manière à pouvoir rapidement se forger un premier avis quant à la pertinence d’un projet de transaction », a ainsi soutenu David Salabi, associé fondateur de Cambon Partners (spécialiste des opérations M&A mid-sized pour les entreprises en croissance sur le marché français), lors d’une conférence récente sur le sujet organisée par la société Alvo. Fondée il y a un an, cette dernière a déployé sur le marché français une plateforme digitale visant à réunir, en un lieu unique, l’ensemble des acteurs de la transmission d’entreprise.
Ciblant les opérations allant jusqu’à 15 M€ de valorisation, Alvo vient justement de développer une solution d’IA reposant sur un modèle d’apprentissage automatique capable de générer du texte à partir d’autres textes ou d’autres données (Large Language Model, ou LLM). Son objectif consiste à faciliter encore plus le rapprochement entre les vendeurs et les candidats à la reprise. « Lorsque les fonds d’investissement ne se manifestent pas, le principal écueil du segment smallcap porte sur les difficultés à réunir l’offre et la demande », rappelle Thomas Colin, cofondateur et COO d’Alvo. De fait, la moitié des 60 000 entreprises à céder chaque année en France disparaîtraient selon Bercy, faute d’avoir pu trouver un repreneur ! « En prenant en compte des historiques de deals M&A avec un vaste ensemble de données (adresses, secteurs d’activité…), puis en croisant cette abondance d’informations avec les aspirations des utilisateurs de la plateforme, notre algorithme va parvenir à identifier, très rapidement, les meilleures contreparties possibles », poursuit-il. Co-fondateur du cabinet de conseil en M&A Ekem Partners, Eric Tirlemont considère également que l’IA peut se révéler « intéressante pour la recherche de cible » ou celle d’un acquéreur. Depuis quelques années, un nombre toujours croissant de banquiers d’affaires l’utilisent d’ailleurs à cette fin, plusieurs éditeurs ayant développé des solutions de ce type, à l’image de Sealk. D’après un rapport du cabinet Accenture, les outils automatisés de filtrage des cibles à base d’IA pourraient ainsi réduire de 50 à 60 % le temps consacré à cette tâche par rapport aux méthodes traditionnelles.
La rédaction
d’info-mémo largement automatisée
Les avantages de l’IA générative ne s’arrêteraient toutefois pas là. En amont de la prise de contact entre les parties, puis une fois l’entrée en relation nouée, cette technologie continuerait en effet de générer des gains de temps considérables. La première phase concernée est celle relative à l’élaboration de documents clés, tels que l’info-mémo qui va présenter aux candidats-acquéreurs l’actif à vendre. « Ce type de documents étant assez standardisé, il est possible d’en automatiser une partie de la rédaction, assure Thomas Colin. Dans cette logique, l’IA, qui peut par exemple rédiger une présentation synthétique de l’entreprise à partir de son URL, est susceptible d’alléger la charge de travail manuelle de 30 % environ ». Mais c’est surtout sur les fronts des due diligences que l’IA s’avérerait précieuse, de par sa capacité à extraire et à traiter instantanément une grande volumétrie de données, qu’elles soient structurées ou non, et quels que soient leurs formats (écrit, audio, vidéo), leur langue de rédaction ou les unités (kilogrammes, tonnes, litres…) et devises retenues. En plus de produire des analyses détaillées sur la santé financière de la cible, ainsi que sur ses forces et faiblesses, « elle peut déceler parmi les milliers de contrats logés dans la data room l’un d’eux dont les clauses apparaissent étranges », illustre ainsi Thomas Colin. De quoi ainsi attirer l’attention du repreneur potentiel et l’aider à mieux cibler ses tâches de vérification. Divers outils d’IA proposent aujourd’hui ce type de service dans le monde, à l’instar de ceux développés par Intralinks, DealRoom, Ansarada, ThoughtRiver, Kira Systems ou encore Datasite.
Des décisions potentiellement biaisées
Au-delà de conforter, le cas échéant, une entreprise dans sa décision pour donner une suite favorable à son projet de croissance externe, ces due diligences assistées par l’IA peuvent également porter leurs fruits au moment de l’intégration. Pour illustrer ce point, un cabinet de consulting raconte que l’un de ses clients, qui avait pu identifier grâce à l’IA les fournisseurs pesant le plus dans la base de coûts de l’entité qu’il envisageait de racheter, était parvenu à dégager d’importantes synergies quelques semaines seulement après le closing de l’acquisition en entamant, sans tarder, des renégociations tarifaires avec les partenaires commerciaux concernés.
Si d’aucuns parmi les professionnels du M&A reconnaissent les multiples bienfaits de l’IA dans leur domaine, beaucoup préfèrent cependant l’exploiter, à ce stade, avec parcimonie. « Dans la mesure où nous ne maîtrisons absolument pas les algorithmes, nous ne sommes pas à l’abri d’interprétations biaisées, voire erronées, de la part de l’IA, soutient-on au sein d’une banque d’affaires française de premier plan. Dans ce cadre, la technologie peut aider à la marge nos équipes pour certaines tâches chronophages et sans grande valeur ajoutée, mais l’humain reste, et restera, au cœur des process ». Un constat qui ne va pas empêcher cet établissement d’accroître les investissements liés à l’IA pour son département M&A l’an prochain. Une chose est sûre, il ne sera pas le seul.