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Les start-up, accélérateurs de transition énergétique pour les grands groupes

Engagés dans une stratégie de décarbonation de leurs activités, les groupes ciblent de plus en plus des start-up afin d’accélérer leur transition environnementale. Si ces alliances prennent généralement la forme de prises de participation minoritaire, elles reposent également parfois sur des acquisitions. Aussi complexes soient-ils, de tels rapprochements sont appelés à essaimer.

Positionner l’entreprise comme un acteur de premier plan dans la conception et la fourniture de solutions digitales intégrées pour le secteur de l’énergie décarbonée. Désireuse de tendre vers cet objectif, la société française d’ingénierie Technip Energies compte pleinement exploiter la carte de la croissance externe pour ce faire. En juin dernier, ce spin-off du groupe parapétrolier TechnipFMC a ainsi mis la main sur SEED Energy, une start-up opérant dans les services digitaux pour les systèmes d’énergies renouvelables innovants et multi-technologies. Quelques mois plus tôt, il était déjà entré au capital de X1 Wind, une autre start-up évoluant quant à elle dans le secteur des énergies renouvelables. Deux ans et demi après avoir sa création et les débuts de sa cotation sur Euronext Paris, Technip Energies ne devrait pas s’arrêter là, à en croire ses dirigeants.

Des motivations diverses

Alors que la plupart des grands groupes ont pris, au cours des dernières années, de nombreux engagements pour accélérer leur transition et atteindre la neutralité carbone à horizon 2050, voire 2030, cette entreprise n’est pas la seule dans ce cas. « Chaque année, Legrand procède à cinq ou six acquisitions, témoigne Franck Lemery, directeur financier du groupe. En règle générale, nous nous positionnons sur des cibles matures, qui disposent de solides positions sur leurs marchés. Mais si leur rachat peut nous permettre de gagner du temps dans notre trajectoire de décarbonation, il nous arrive aussi, parfois, de nous intéresser à des start-up ». C’est dans ce cadre que le spécialiste mondial des infrastructures électriques et numériques du bâtiment a récemment bouclé l’acquisition de Netatmo (Internet des objets) en 2018, en France, et celle d’Ecotap (fournisseur de solutions de recharge de véhicules électriques) en 2021, aux Pays-Bas. D’après plusieurs banquiers d’affaires, l’investissement dans des jeunes pousses innovantes fait désormais partie des voies explorées par beaucoup. « Réduction plus rapide des émissions de gaz à effet de serre, acquisition d’une innovation de rupture, intégration d’acteurs (sous-traitants ou fournisseurs) pour sécuriser la chaîne d’approvisionnement : les motivations des acquéreurs sont diverses », observe Julien Laurent, energy transition and climate tech M&A advisor chez Aurignac Finance.

Des valorisations problématiques

Des marques d’intérêt jusqu’au passage à l’acte, il y a cependant un pas que certains hésitent à franchir. « Pour bon nombre de grands groupes, le fait d’acquérir une start-up ne fait pas sens dans la mesure où les injections futures de capitaux nécessaires à la poursuite de son développement tendent à rendre l’opération dilutive, constate Franck Portais, managing partner d’Alantra France et co-chairman de l’activité banque d’investissement du groupe Alantra. Ils sont d’autant plus réticents à l’envisager que les jeunes pousses qui évoluent dans le domaine de la transition énergétique affichent actuellement des niveaux de valorisation élevés, largement décorrélés de ceux des sociétés matures ». De fait, la plupart des start-up « vertes » qui officient dans le domaine de la transition environnementale voient, compte tenu de perspectives commerciales favorablement orientées, leur capitalisation se maintenir à des multiples historiquement élevés, à rebours de start-up d’autres secteurs. « Dans le cadre des approches M&A, il est fréquent que le projet achoppe en raison d’un désaccord sur le prix », reconnaît Julien Laurent.

De nombreuses déconvenues

Ces caractéristiques peuvent d’autant plus apparaître comme des freins qu’un nombre significatif de mariages entre grands groupes et jeunes pousses – quel que soit leur domaine d’activité – ont, dans un passé récent, vite tourné au divorce (BPCE avec Fidor, La Poste avec Stuart…). Dans son étude « Corporate Venture Capital et startups : comment prolonger le coup de foudre ? » publiée en juin 2022, le Boston Consulting Group prévenait en effet que de telles unions se révélaient être des succès dans seulement… 35 % des cas ! C’est donc pour s’épargner d’onéreuses déconvenues, mais aussi pour démultiplier leur force de frappe, que les sociétés matures privilégient le plus souvent des prises de participation minoritaires, soit en direct, soit via un véhicule interne dédié au capital-risque. Dans ce registre, Engie vient par exemple d’investir dans TreaTech, une start-up produisant du biogaz grâce à la gazéification hydrothermale, tandis que EDF a fait de même chez Masteos, une start-up qui propose une solution visant notamment à accompagner les propriétaires dans la réalisation de leurs travaux de rénovation énergétique. Pour sa part, Vallourec est devenu l’an dernier actionnaire de GreenFire Energy, une start-up américaine développant des systèmes de géothermie en circuit fermé. ArcelorMittal enchaîne également ce type de transactions, au même titre qu’une large partie des membres du SBF 120. « La dynamique en matière d’impact investing a été très soutenue en France lors du premier semestre, notamment sur les segments « énergie » (45-8, Beem, Purecontrol…) et « Deep Tech » (Woodoo, BeFC…), à tel point que les levées pourraient, après une année 2022 record (environ 3,5 mds€), dépasser la barre des 2 mds€ en 2023 (hors Verkor), prévient Philippe Rodriguez, founding partner d’Avolta. Autre fait notable, les corporates se sont montrés actifs aux côtés des fonds d’investissement ».

Des start-up dos au mur

Qu’il s’agisse d’investissements minoritaires ou de rachats, les professionnels du M&A s’attendent à une amplification du phénomène. Déjà, la stratégie offensive des acquéreurs dans ce domaine devrait contribuer à l’alimenter. « Les tickets minoritaires investis au cours des derniers mois sont, dans certains cas, un moyen de préparer les acquisitions de demain », confirme Philippe Rodriguez. Mais cette perspective résulterait aussi d’une plus grande ouverture, bien que contrainte, de la part de certains dirigeants de start-up. Car en dépit d’un environnement toujours globalement porteur pour les jeunes acteurs de la transition, « les liquidités se sont quelque peu asséchées dans le marché, si bien que des start-up en quête de cash n’ont pas d’autre option, sous peine de faire faillite, que d’envisager une cession », relève un professionnel. Une opportunité qu’ont tout intérêt à saisir les grands groupes, mais aussi les ETI et les PME de taille significative, qui affichent encore un retard important en termes de transition. De fait, seules 11 % d’entre elles en Europe ont déployé à ce jour un plan de décarbonation structuré, d’après la première édition d’un baromètre publié mi-septembre par le BCG et Argos Wityu. Or le temps presse. Comme ne cessent de le marteler les experts du Giec et le secrétaire général de l’ONU, l’« urgence climatique » a d’ores et déjà laissé place à l’« effondrement climatique ».

 

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