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LES PME S’OUVRENT AUX ACQUÉREURS ÉTRANGERS

Dans un contexte d’attrition du marché du M&A, les industriels étrangers sont à l’offensive sur le rachat de PME et ETI françaises, profitant du retrait des fonds LBO et surfant sur des mouvements de consolidation au niveau européen.

DANS LES STATISTIQUES à la baisse du M&A en 2022, certaines tendances peuvent passer inaperçues car sous les radars des médias focalisés sur les grandes manoeuvres de rapprochement et les fusions à plusieurs milliards. Ainsi, les opérations de rachat de PME françaises par des industriels étrangers, et notamment européens, n’ont jamais été aussi florissantes. Certes, en valeur, les acquisitions de cibles françaises ont subi un coup de semonce à 79 Mds$ en 2022, en baisse de 46 % par rapport à 2021, d’après les chiffres de Refinitiv. En revanche, le nombre d’opérations a augmenté de 3 %, preuve de la résistance du segment du small cap dont le flux d’opérations ne s’est pas tari. En affinant l’analyse, ce sont surtout les transactions domestiques qui se sont effondrées de 61 % tandis que les acquisitions d’entreprises françaises par les acquéreurs étrangers n’ont subi qu’une baisse de 17 %. Surtout, le nombre d’« inbound deals » a, lui, augmenté de 5 %, une croissance record depuis 1980… En 2022, les transactions réalisées par des acquéreurs étrangers ont ainsi largement détrôné celles suscitées par des acheteurs locaux. « Le contexte est aujourd’hui nettement plus favorable aux acquéreurs industriels étrangers qui ne se font plus souffler les cibles par des fonds plus rapides, plus offrants et mieux introduits dans l’écosystème local », affirme Thierry Chetrit, co-fondateur et dirigeant de Clairfield International, boutique M&A spécialisée dans les opérations cross-border.

Éviter le concurrent frontal

On peut ainsi citer l’exemple de PMS Industrie, leader français du marché de niche des accessoires de levage et d’arrimage, avec des revenus de moins de 30 M€, qui est passé début 2023 dans le giron du groupe néerlandais Unitex. Le process, mené par la banque d’affaires Oaklins, était ouvert à la fois à des financiers et des industriels et c’est finalement le scénario cross-border qui l’a emporté. « PMS Industrie a suscité beaucoup d’intérêt de la part de plusieurs fonds de private equity et des spécialistes d’accessoires de levage européen, grâce à leur position de leader en France, a commenté Ghislain de Feydeau, directeur chez Oaklins France, à l’annonce de l’opération. Les complémentarités et les synergies sont telles qu’Unitex s’est rapidement révélé comme étant le repreneur le plus naturel et le mieux positionné pour accroitre le leadership de PMS en Europe et au Moyen Orient. » Pour cette opération, l’acquéreur a même fait preuve d’une souplesse de structuration peu usuelle chez des acquéreurs industriels, surtout étrangers, en rachetant les parts d’un dirigeant sortant, Patrick Desforet, tout en permettant à son associé, Frédéric Bianchi, de conserver une participation minoritaire ainsi que la direction opérationnelle. « Depuis 2004 et la reprise de PMS Industrie, nous avons mis toute notre énergie à développer notre entreprise et lui donner une place centrale dans le groupe international que nous avons construit pendant 20 ans, déclaraient les deux dirigeants. Dans le cadre d’une transmission partielle de notre groupe, nous ne pouvions pas imaginer d’autres objectifs que d’en assurer la pérennité et la promesse d’un fort développement. » Aux mains de sa famille fondatrice depuis sa création en 1992, l’entreprise spécialisée dans l’installation et la maintenance de systèmes d’ouvertures automatiques Copas Systèmes a également privilégié en janvier la voie de la reprise par le groupe suisse Gilgen Doors Systems. Principal fournisseur de Copas Systèmes en portes automatiques, l’ETI helvétique aux 200 M€ de chiffre d’affaires scelle grâce à cette acquisition un partenariat commercial débuté il y a plus de 27 ans avec la PME française de 25 M de revenus. Ainsi, le sujet du rachat par un partenaire étranger est de moins en moins tabou dans le cadre d’intégrations verticales ou de consolidations horizontales entre voisins européens. « L’adossement à un acquéreur étranger n’est plus synonyme de grand saut vers l’inconnu pour les PME familiales », confirme Thierry Chetrit, chez Clairfield. « La piste du rachat par un stratégique international permet d’ouvrir le champ des possibles surtout quand l’entreprise n’est pas éligible à un LBO et qu’elle ne souhaite pas fusionner avec un concurrent frontal sur le marché domestique », poursuit le banquier d’affaires, qui a récemment conseillé l’éditeur d’une suite logicielle de contrôle d’accès et de supervision de sûreté Alcea lors de son adossement au groupe coté suédois Assa Aboy et Camshop, spécialiste des solutions de vidéosurveillance au groupe hollandais SmartSD.

Sensibilité patriotique

« Cette ouverture culturelle aux acquéreurs étrangers est toutefois contrebalancée par une sensibilité « patriotique » qui pousse les cédants à s’assurer de la pérennité de la structure dans l’hexagone en se renseignant notamment sur le track-record d’acquisitions tricolores du courtisan étranger quand il a déjà fait plusieurs emplettes en France », détaille Thierry Chetrit. Ce fut ainsi le cas du fondateur de l’éditeur de logiciels de sécurité Alcea, Pascal Lenglart, qui a choisi de céder son entreprise de 20 M€ de chiffre d’affaires au groupe coté suédois Assa Aboy, après s’être renseigné sur le devenir des entreprises françaises déjà intégrées par le leader mondial des solutions de sécurité et d’accès.

De son côté, Philippe Eyraud a privilégié la piste de l’ETI allemande GMM Pfaudler pour lui confier les rênes de Mixel, spécialiste des agitateurs industriels aux 15 M de revenus. « Plus que la nationalité de l’acquéreur, ce qui m’importait le plus, c’était de trouver un porte-avions industriel pour propulser le développement international de mon entreprise », témoigne le dirigeant, craignant avant tout que l’édifice qu’il a patiemment construit en 33 ans ne soit broyé dans le giron d’un grand groupe. Basé à Dardilly dans la banlieue lyonnaise, Mixel conçoit, fabrique et distribue des agitateurs industriels sur mesure, destinés principalement aux secteurs de l’environnement (traitement des eaux et effluents urbains et industriels), de la chimie (fine, verte, pétrochimie, etc.), du biogaz (méthaniseurs) et de la pharmacie. L’entreprise opère sur un marché d’ultra-niche où cohabitent des filiales de groupes industriels diversifiés comme AxFlow (appartenant au conglomérat suédois Axel Johnson), Milton Roy (filiale du groupe irlandais Ingersoll Rand) et des PME familiales. Outre son site de production en région lyonnaise, Mixel dispose depuis près 17 ans d’une entité industrielle et commerciale en Chine, qui lui a permis de devenir un acteur important sur les marchés asiatique et indo-pacifique et de réaliser plus de 60 % de son chiffre d’affaires à l’international. Sauf que le contexte géopolitique avec la guerre en Ukraine et les craintes de l’invasion de Taïwan par la Chine ont quelque peu refroidi les ardeurs de fonds d’investissement initialement intéressés par la pépite industrielle.

Restait la piste des concurrents locaux, vite évacuée par le dirigeant. « Si j’avais choisi un repreneur français, la réalisation de synergies se serait traduite par le sacrifice d’au moins 30 % des effectifs de Mixel, justifie Philippe Eyraud. Alors qu’en devenant la seule implantation française de GMM Pfauder, mes soixante salariés deviennent un maillon fort de développement de leur nouveau propriétaire qui compte plutôt doubler les effectifs de Mixel dans cinq ans. » Une promesse rassurante, même si sa concrétisation n’est pas à l’abri de virages stratégiques, qu’elle provienne d’un acquéreur étranger ou franco-français…

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