Dans une volonté de renforcer l’efficacité des organes de gouvernance et la pertinence de leurs actions, les conseils d’administration ou de surveillance d’entreprises cotées sont invités à débattre de leur fonctionnement chaque année et à procéder à une évaluation formalisée tous les trois ans. Une pratique vertueuse qui tend à se diffuser dans la sphère privée.
Le sujet n’est certes pas nouveau, mais il a le vent en poupe dans un contexte où la pression réglementaire va croissant et où les enjeux ESG deviennent, pour les entreprises, de plus en plus prégnants. Preuve en est, l’Autorité des marchés financiers (AMF) y a consacré près de la moitié de son rapport 2023 sur le gouvernement d’entreprise des sociétés cotées. Conformément au code Afep-Medef, le conseil de ces dernières doit « procéder à l’évaluation de sa capacité à répondre aux attentes des actionnaires qui lui ont donné mandat d’administrer la société, en passant en revue périodiquement sa composition, son organisation et son fonctionnement ». Cet audit est censé se dérouler en deux temps. D’abord, une fois par an, le conseil d’administration ou de surveillance doit débattre de son fonctionnement. Ces discussions doivent ensuite être complétées, a minima tous les trois ans, d’une évaluation dite « formalisée ». Adapté aux entreprises cotées de taille moyenne, le code Middlenext recommande pour sa part au président du conseil d’inviter les membres à s’exprimer chaque année sur le fonctionnement de l’organe, des comités éventuels, ainsi que sur la préparation de ses travaux.
Trois objectifs ciblés
Cette évaluation est qualifiée d’« essentielle » par le Haut Comité de gouvernement d’entreprise (HCGE). De fait, elle vise trois objectifs déterminants dans la conduite de la stratégie d’un groupe et l’atteinte de ses engagements, financiers comme extra-financiers. Comme le stipule l’article 11.2 du code Afep-Medef, il est question de faire le point sur les modalités de fonctionnement du conseil, de vérifier que les questions importantes sont convenablement préparées et débattues et, enfin, d’apprécier la contribution effective de chaque administrateur aux travaux du conseil. « Cet exercice constitue surtout pour un conseil l’occasion de s’interroger sur la pertinence de l’organisation qu’il a mise en place, retient Sylvie Le Damany, co-présidente de la commission juridique de l’Institut français des administrateurs (IFA). Car, davantage que la création de comités, il importe que chacun d’entre eux dispose d’un rôle et de prérogatives précis d’une part, et que l’ensemble fonctionne de façon harmonieuse d’autre part. » Co-présidente elle aussi de la commission juridique de l’IFA, Marie-Annick Darmaillac y voit un autre intérêt. « Outre l’efficacité du conseil, la mission d’évaluation a pour objectif, à travers les discussions avec chaque administrateur, d’aider à déterminer les compétences supplémentaires dont l’organe de gouvernance aurait besoin pour mener à bien la stratégie de l’entreprise et lui permettre d’atteindre les objectifs qu’elle s’est fixés. »
Diverses thématiques explorées
Face à l’entrée en vigueur récente et à venir d’un arsenal de nouveaux textes liés notamment à la responsabilité environnementale (taxonomie européenne, directive CSRD sur le reporting de durabilité…) et sociale (devoir de vigilance…), la composition des conseils s’impose en effet depuis quelques années déjà comme l’un des thèmes centraux de ces revues. À ses côtés figurent d’autres thématiques telles que le respect des obligations légales et la qualité des relations entre le conseil et le comité de direction. Comme le signale le spécialiste de l’évaluation et du pilotage de la gouvernance d’entreprise Ethics & Boards, la capacité du conseil à prendre en considération les questions stratégiques, en s’assurant que ses membres disposent d’une information et d’une formation adéquate – par exemple sur les sujets de RSE/ESG, de transformation digitale/risques cyber ou de ressources humaines –, est également au cœur des interrogations. « Cette revue constitue enfin un excellent outil d’accompagnement en vue, notamment, de définir un plan de succession », considère Pascal Durand-Barthez, associé de la structure indépendante de conseil Associés en Gouvernance. Mais plus que les axes d’analyse définis, l’intérêt de l’exercice dépendra de la façon avec laquelle la mission est pilotée en interne. « Il importe que l’évaluation ne soit pas appréhendée par la présidence du conseil comme un simple exercice de conformité, mais comme une démarche à même d’apporter une réelle valeur ajoutée au niveau de la gouvernance », insiste Florence Priouret, membre du bureau de la commission juridique de l’IFA.
Des marges d’amélioration…
Si ses tenants et aboutissants varient d’une entreprise à l’autre, le processus d’évaluation est relativement standard. « Il se décompose généralement en cinq étapes », fait remarquer Pascal Durand-Barthez, avant de les détailler : mise en place d’une data room pour analyser les documents afférents à la gouvernance (statuts, ordres du jour des réunions du conseil, PV, etc.) ; production d’un guide d’entretien adapté aux besoins de l’entreprise ; organisation d’entretiens avec les administrateurs ainsi qu’avec quelques personnalités extérieures à celui-ci mais en contact direct (secrétaire du conseil, directeur administratif et financier…) ; rédaction d’un rapport ; restitution de celui-ci auprès des intéressés, suivie de la publication d’une synthèse dans le rapport annuel. « Dans certains cas, l’évaluation débouche sur la mise en place d’un plan d’actions, avec un suivi après trois mois », observe Sylvie Le Damany.
Dans son rapport 2023 sur le gouvernement d’entreprise des sociétés cotées, l’AMF s’est justement penchée sur la pratique de 50 entreprises du SBF 120 dans ce domaine. Quelques bémols ont certes été relevés. Parmi eux, les informations fournies par les sociétés sur les suites données à l’évaluation sont souvent parcellaires. En outre, 16 % des groupes étudiés n’ont pas mené d’évaluation de la contribution individuelle des administrateurs, ce qui est pourtant requis par le code Afep-Medef.
… mais un large satisfecit
Pour autant, le bilan dressé par le régulateur est largement positif. Il est vrai que 92 % des sociétés de l’échantillon ont procédé à une évaluation du conseil en 2022, en consacrant au moins un point de leur ordre du jour à une discussion sur son fonctionnement. De plus, elles sont 98 % à avoir réalisé une évaluation formalisée au moins tous les trois ans. Surtout, 68 % des entreprises vont chaque année « au-delà du débat », souligne l’AMF, en demandant aux administrateurs de répondre à des questionnaires d’auto-évaluation, voire en organisant des entretiens dédiés. « Au fil des années, les questionnaires sont de plus en plus fournis et n’hésitent pas, parfois, à «gratter là où cela fait mal» », abonde Sylvie Le Damany. Autre développement vertueux pointé par les experts de la gouvernance : de tels audits commencent à se diffuser dans l’univers des entreprises non cotées, y compris de PME. Comme quoi, en matière de bonne gouvernance, l’exemple peut aussi venir du haut.