« Des déclarations émanant du sommet de l’État peuvent prêter à mauvaise interprétation. » C’est en substance ce qu’il ressort des échanges que les membres de l’Association pour le retournement des entreprises (ARE) peuvent avoir avec les dirigeants d’entreprise. Aussi surprenant que cela puisse paraître, il en est qui considèrent que le « quoi qu’il en coûte », évoqué par le président de la République dès le printemps 2020, s’apparente à la possibilité de ne jamais rembourser les prêts garantis par l’État (PGE)…
Et même si, dans leur majorité, les dirigeants ne souscrivent heureusement pas à cette interprétation, ils peuvent rester freinés dans leurs ambitions : du fait du maintien des règles sanitaires et des contraintes qui y sont liées, comme les fermetures imposées dans certains secteurs d’activité, l’hésitation prend souvent le pas sur la mise en place d’un plan d’action en vue de rebondir. « Il est évidemment difficile d’anticiper ce que sera l’avenir. Mais, à tout le moins, il faut garder en tête que le déploiement du plan de vaccinations doit permettre d’entrevoir le bout du tunnel dans les mois à venir, analyse Carole Martinez, administratrice judiciaire et membre du bureau de l’ARE. C’est la raison majeure pour laquelle les entreprises doivent envisager le redémarrage de l’économie au plus tard pour le dernier trimestre 2021 et, surtout, inscrire leur rebond dans un calendrier identique. »
Une perspective qui n’est toutefois pas sans soulever une problématique de taille, dans l’intervalle. « La fin du premier semestre sera un moment délicat pour beaucoup d’entreprises. En effet, elle correspondra au moment où il faudra considérer de front l’augmentation du BFR, consubstantiel au financement du redémarrage d’activité, et le début de l’amortissement des PGE, relève Benoit Desteract, banquier membre du bureau de l’ARE. C’est maintenant qu’il faut analyser ce cas de figure, sans tarder, car il est potentiellement à l’origine de points de blocage pour les entreprises. » Et ce d’autant qu’il pourrait être difficile de solliciter les établissements bancaires pour financer la reprise, alors même que ceux-ci devraient être amenés à dégrader mécaniquement leurs notations, à la lumière des taux d’endettement élevés et des capacités d’investissement réduites des entreprises.
Allongement des PGE. Dans cette situation inédite, les PGE tiennent évidemment une place centrale. À l’heure où s’achève généralement l’année de franchise sur les remboursements, accordée lors de l’octroi de ces prêts, les premières échéances sont d’actualité, bien que la reprise ne se manifeste pas encore. « Accorder une deuxième année de franchise devient une solution à court terme, mais cela induit des échéances d’amortissement plus lourdes, puisque la réglementation européenne impose à la France une durée maximale de 6 ans sur ces prêts, rappelle Serge Pelletier, avocat et membre du bureau de l’ARE. À cet égard, il est souhaitable qu’aboutissent les discussions entamées début février par Bercy avec la Commission européenne, pour que cette durée soit allongée d’un ou deux ans. » Il en va de la pérennité de ce dispositif : bâti autour de la garantie de l’État, il doit pouvoir continuer à s’articuler autour de celle-ci pour que les banques continuent à prêter. Et que les PGE portent réellement leurs fruits, sur le moyen terme.
Evidemment, certains d’entre eux ne seront pas remboursés ; mais d’après les premiers relevés officiels, ils ne devraient compter que pour une minorité des cas. Dernièrement, la Banque de France estimait leur proportion entre 4,5 et 6 %. Soit environ de 6 à 8 milliards d’euros, sur les 131 qui ont été déployés depuis le début de la crise. « Cela ne devrait logiquement pas être le cas de ceux qui ont été attribués dans le cadre de mandats ad hoc ou de procédures de conciliation, puisque ces procédures amiables ont donné lieu à l’examen puis à la mise à jour des business plans des entreprises concernées », explique Serge Pelletier. Le risque est plutôt ailleurs. Et Carole Martinez de détailler : « La Commission européenne a posé comme exigence de calibrer les PGE sur le montant des capitaux propres et force est de constater qu’il n’y avait que les données de 2018 de disponibles lorsqu’ont été constitués les premiers d’entre eux, au début de 2020. » Toute dégradation de cet indicateur dans le bilan de 2019, si elle n’a pas été considérée plus tard, deviendra dès lors problématique.
L’heure n’est pas au catastrophisme, mais bien à la prudence. « La période actuelle plaide encore plus que d’ordinaire pour la prévention des risques, constate Benoit Desteract. Quelle que soit la situation de l’entreprise, celle-ci a tout intérêt à examiner en détail sa capacité à rembourser le PGE contracté. On ne peut que l’inciter à s’entourer de conseils pour l’aider à se projeter dans l’avenir, d’autant que sa situation financière peut évoluer très rapidement en réaction à la conjoncture. » Sur la base d’éléments remis à plat, un dialogue avec les banques pourra s’envisager.
Analyse de la trésorerie. Mais avant d’en arriver là, le recours à une assistance extérieure se trouve d’autant plus justifié qu’une entreprise peut avoir une lecture faussée de sa situation réelle. En particulier en 2021, si elle a contracté un PGE et qu’elle ne l’a pas totalement utilisé. « Une trésorerie importante ne suffit pas pour garantir une bonne santé financière », rappelle Benoit Desteract. Certes, ce constat tombe sous le sens. Mais il reste souvent difficile à établir en temps réel, en particulier pour les PME, qui ne disposent souvent pas d’outils de suivi suffisamment poussés pour en prendre toute la mesure.
S’ils alertent sur la nécessité d’anticiper la reprise à venir en 2021, les professionnels du retournement insistent également sur le besoin urgent de dresser les diagnostics individuels, dans les meilleurs délais. « Dans le cas où les business plans ne seraient pas actualisés régulièrement et les besoins financiers clairement établis, nombre d’entreprises pourraient se retrouver dans une situation où elles ne pourraient plus bénéficier du cadre protecteur d’une procédure amiable, le cas échéant, rappellent-ils de concert. À défaut, elles ne pourraient se diriger que vers des procédures collectives plus destructrices de valeur, alors qu’il est encore temps pour beaucoup d’éviter cette perspective. »
Pour 2020, on le sait, la Banque de France a pointé une contraction de 38 % des défaillances d’entreprises. Grâce, en grande partie, au déploiement des PGE dans le tissu économique français (combiné aux mesures de chômage partiel et aux aides provenant de fonds de solidarité). Nul ne saurait dire, en revanche, dans quelle mesure ces procédures augmenteront cette année. Avant de tomber dans ce cas de figure extrême, il reste encore la possibilité pour chacun de réexaminer ses positions et de se préparer à des jours meilleurs. Pour les membres de l’ARE, il s’agit du meilleur réflexe à avoir actuellement.
Par Charles Ansabère