L’ordonnance du 15 septembre 2021 assurant la transposition en droit français de la directive européenne « restructuration & insolvabilité » a provoqué un bouleversement majeur dans les rapports de force entre débiteurs et créanciers dans un pays qui a longtemps été considéré comme pro-débiteur. La mise en application des nouvelles « classes de parties affectées » a été inaugurée dans de grands dossiers ces derniers mois, mais aussi dans des cas de PME moins médiatisées. Que faut-il en retenir ? Comment gérer ces nouveaux rapports de force ? Et à qui profite, en pratique, cette réforme ?
Un changement
de paradigme introduit
en droit français
Caroline Texier : L’ordonnance du 15 septembre 2021 a introduit un vrai changement dans les rapports de force entre créanciers et débiteurs. Le droit des procédures collective français a longtemps été considéré comme pro-débiteur. Or la mise en place des classes de parties affectées permet de rétablir un équilibre avec les créanciers.
Néanmoins je pense que la réforme va également dans le sens du débiteur et lui donne une agilité.
La manière dont les classes sont constituées peut aussi permettre de faire passer des plans, qui n’auraient pu l’être auparavant.
Les créanciers qui sont dans la monnaie ne sont aujourd’hui plus bloqués par ceux qui ne sont plus dans la monnaie. Ces derniers ont perdu leur capacité de blocage.
Quant aux actionnaires, cette réforme apporte sans doute plus de contraintes et de risques pour eux dans certains cas limités.
Sébastien Gauthier : Du côté des investisseurs, la réforme ouvre de nouvelles opportunités intéressantes. Dans le cas de sociétés surendettées mais sans problématique immédiate de cash, les chances pour un investisseur d’obtenir un accord consensuel avec à la fois les actionnaires et les créanciers étaient très faibles. Désormais, les règles de priorité sont clairement établies et la décision peut être judiciairement forcée. Depuis l’adoption de cette réforme, nous regarderons plus facilement ces dossiers car nous avons désormais une méthode prévue par la loi pour distribuer la valeur et adresser les comportements récalcitrants de certains créanciers ou des actionnaires. Cette réforme rebat les cartes entre actionnaires et créanciers mais aussi au sein de la classe des créanciers.
Pauline Bournoville : Quand l’ordonnance a été publiée, tous les articles ont fait valoir qu’elle allait dans le sens des créanciers. Il ne faut pourtant pas négliger le pouvoir de l’administrateur judiciaire dans la constitution des classes de parties affectées. Bien sûr, son pouvoir est encadré par des lignes directrices avec des critères objectifs et vérifiables et les recours judiciaires ont été multiples ces derniers mois. Le dossier Orpea a beaucoup fait avancer la pratique, car il y a eu 19 recours intentés. Mais l’administrateur judiciaire peut tout de même constituer les classes de manière à faire passer les plans de redressement.
Dans ce cadre, le vrai perdant de cette réforme est l’actionnaire. Dans les deux grands dossiers de 2023-2024, Orpea et Casino, qui ont posé les jalons pratiques de cette réforme, les actionnaires ont été totalement dilués. Dans le passé, ce n’aurait pas pu être le cas. Je rappelle d’ailleurs qu’il y a eu deux phases dans Casino : d’abord la première sur la holding Rallye qui a eu lieu avant la réforme. Rallye a échappé aux comités de créanciers – ce qui ne serait plus possible aujourd’hui car les critères s’appliquent aux sociétés holding même si elles n’ont pas de salariés. Rallye a également utilisé la menace absolue du plan sur 10 ans. Dans la phase 2, la sortie a été totalement différente du fait de la promulgation de l’ordonnance.
Caroline Texier : L’intérêt de l’entreprise et sa survie sont les objectifs que les juges regardent avant tout. Ils s’attachent à ce que les acteurs de la procédure respectent un équilibre. Tous les intervenants poussent vers une solution commune pour parvenir à un plan, en mettant de côté ceux qui le bloque illégitimement.
Sébastien Gauthier : Cette réforme a pour objectif
de permettre des restructurations définitives donnant
les moyens à l’entreprise de se redéployer.
Avant son adoption, en l’absence de consensus,
les dettes étaient simplement réétalées, asphyxiant lentement les capacités d’investissement et de redéploiement des entreprises.
Caroline Texier : La réforme ne compte que très peu d’articles. Tout est sujet à interprétation des juges. Nécessairement, il y a eu et il y aura des contentieux sur l’interprétation des textes.
Pauline Bournoville : Le dossier Orpea a, en quelques sortes, damé le terrain. Mais les textes laissent place à un recours possible à chaque niveau : suis-je un créancier affecté ; comment sont calculés les droits de vote ; comment sont constituées les classes ; les recours contre le plan, etc.
Comme pour tout nouveau texte, il doit être
éprouvé par la pratique.
Ségolène Coiffet : D’autant qu’il manque encore une étape dans le processus législatif. La loi de ratification de l’ordonnance du 15 septembre 2021 n’a pas encore été votée ; elle pourrait d’ailleurs être l’occasion de modifications dans la réforme, au vu notamment des pratiques développées depuis la transposition.
Pauline Bournoville : La loi s’inspirera sans doute des décisions de justice qui ont été rendues pour traiter des problématiques concrètes qui ont été mises au jour par ces différents dossiers.
Caroline Texier : Comme ce qui s’était passé dans la loi de sauvegarde qui a tenu compte des cas Eurotunnel et Technicolor.
La pratique de constitution
des classes de parties affectées
Ségolène Coiffet : L’objectif de cette réforme est de construire des plans dans une logique économique de valeur de créance et plus de nature de créancier. Mais l’on constate déjà certains « dévoiements » de la procédure. Je rappelle qu’il existe des seuils au-delà desquels il faut constituer des classes de parties affectées. Mais il y a toujours la possibilité pour l’entreprise de demander au juge commissaire la constitution de classes de parties affectées, et la décision du juge commissaire n’est susceptible d’aucun recours car il s’agit d’une mesure administrative. Dans le dossier Unhycos (TC Pontoise, 10 février 2023), certaines banques ont consenti de gigantesques abandons (entre 86 et 90 %) avec un actionnaire qui n’a pas été impacté puisque, le plan ne prévoyant aucune atteinte à ses droits il n’avait pas été intégré dans une classe de partie affectée. Ce n’est pas du tout l’esprit du texte !
Caroline Texier : Il faut tout de même avoir un certain nombre de catégories différentes de créanciers pour que la constitution de classes ait un intérêt et permette de favoriser l’adoption d’un plan.
Ségolène Coiffet : Dans Unhycos, il y avait plusieurs classes. On pourrait même multiplier les classes à l’envi pour conduire à une telle situation où l’actionnaire, qui par hypothèse n’est plus dans la monnaie, retrouve une société « nettoyée » de tout son passif.
Théophile Fornacciari : Cette hypothèse peut en effet être considérée comme un dévoiement de procédure.
Caroline Texier : D’autant que la possibilité d’imposer un plan aux actionnaires réunis dans une classe de parties affectée n’est ouverte que pour les sociétés qui excèdent les seuils. L’actionnaire d’une société en dessous des seuils pourrait donc avoir un intérêt à pousser la société à solliciter la constitution de classes de parties affectées pour restructurer massivement la dette sans prendre le risque de se faire lui-même écrasé. Reste néanmoins la nécessité d’obtenir un vote favorable des créanciers sur un tel plan, ce qui limite le risque de dévoiement.
Théophile Fornacciari : La pratique qui ressort, à mon sens, de la règle de priorité absolue est que si des créanciers doivent procéder à des abandons contre leur gré et que l’actionnaire reste, c’est parce que ce dernier réinjecte des liquidités.
Caroline Texier : Le texte est assez vague. Il peut s’agir d’un actionnaire de référence, d’un actionnaire utile à l’activité… D’autres arguments pourraient être trouvés pour justifier de déroger à la règle de priorité absolue.
Théophile Fornacciari : La règle de priorité absolue veut que si l’actionnaire est considéré comme une partie affectée, il ne peut être maintenu alors qu’une classe de rang inférieur n’est pas remboursée que si le tribunal autorise une telle dérogation au principe pour les objectifs du plan, ce qui peut être le cas d’un apport de new money de l’actionnaire par exemple.
Xavier Bailly : Il me semblait que la règle de priorité absolue était d’ordre public.
Pauline Bournoville : Les textes permettent une dérogation si c’est nécessaire au plan et si le plan ne porte pas une atteinte excessive aux droits des parties affectées. Les détenteurs de capital sont expressément cités dans la liste des exceptions.
Xavier Bailly : Il y a donc des seuils en dessous desquels les classes de parties affectées sont une option. Or l’objectif de ces seuils, c’est aussi de permettre d’avoir des plans classiques où les actionnaires n’étaient pas touchés dans leur détention du capital et où l’étalement du passif était possible tel qu’on le connaît depuis des années. Ils me paraissent essentiels car les entreprises sont nombreuses en dessous des 20 M€ de chiffre d’affaires et de 250 salariés, dont le capital n’est pas assez liquide pour avoir de la new money et dont le quantum de dette n’est pas suffisant pour que les créanciers se rassemblent. Garder cette capacité me semble indispensable pour protéger le tissu économique local.
Au-dessus des seuils, il s’agit de remettre une notion de valeur et une discipline économique dans la manière dont chacun est désintéressé. Rendre la logique de classes encore plus attractive pour l’actionnaire d’une entreprise sous les seuils, qui peut demander une exception au juge commissaire pour obtenir un traitement plus favorable, cela me semble problématique. D’autant que les plans en classes sont un formidable appel à la new money pour avoir des plans de sauvegarde compétitifs.
Théophile Fornacciari : Sur le plan judiciaire, ces classes doivent permettre de présenter plus de plans de redressement ou de sauvegarde, par rapport aux plans de cession. Surtout pour les entreprises en-dessous des seuils, pour lesquelles on s’orientait généralement directement vers une cession en cas de redressement judiciaire. Même si cette réforme est récente, je trouve que la logique des acteurs de la procédure a changé : quand on ne finance pas une période d’observation ou qu’il y a trop de dette, on part moins spontanément en appel d’offres et on laisse la place à l’hypothèse de l’injection de new money pour obtenir un traitement de la dette en adéquation avec les rangs de chacun.
Les pratiques ont également changé en amiable. Si un obligataire empêche de faire avancer le dossier, une solution peut désormais se dessiner permettant de présenter un plan rapidement et ainsi préserver de la valeur. C’est donc très positif.
Néanmoins la mise en œuvre me semble complexe. Je pense par exemple à la notion d’état du passif : selon les textes, nous devons nous baser sur un passif « vraisemblable », ce qui est dans les faits très compliqué puisque le passif n’est pas arrêté.
Caroline Texier : Il faut également que les créances soient certifiées par les commissaires aux comptes dans un temps record : une dizaine de jours à partir de l’ouverture de la procédure. Il faut donc l’avoir préparé bien en amont.
Théophile Fornacciari : Se pose également la question d’avoir une valeur « objective » de l’entreprise quand on sait qu’il faudra solliciter l’abandon. Il faut donc une expertise sur la valeur.
Quant à la notification des créanciers, s’ils sont nombreux, c’est un véritable défi. Nous sommes passés par des plateformes. Toutes ces étapes imposent en pratique au moins 4 ou 5 mois de délai.
Des rapports de force rééquilibrés
Théophile Fornacciari : J’ai constaté cette différence de rapports de force entre les parties prenantes dans des dossiers de retail où j’ai été amené à constituer des classes de parties affectées de bailleurs. Ce sont typiquement des créanciers chirographaires mais dont les montants peuvent être très importants. En réunissant les bailleurs, nous leur avons expliqué qu’on leur rembourserait 10 % sur 10 ans. Mais l’actionnaire remettait des liquidités.
Sur le plan économique, les blocages ont été évités permettant de faire face à une situation où, sous l’empire des anciens textes, l’entreprise serait allée directement en plan de cession judiciaire.
Sébastien Gauthier : La réforme permet aujourd’hui un traitement définitif du surendettement, dans l’intérêt supérieur de l’entreprise. Ni l’actionnaire, ni les créanciers n’avaient intérêt à accepter une solution contraire à leurs intérêts. Avant cette réforme, le consensus le plus fréquent au surendettement consistait à repousser le problème et à étaler la dette sur 10 ans, quand bien même cette solution se faisait au détriment de la pérennité de l’entreprise. L’entreprise était condamnée à utiliser toutes ses capacités financières futures pour honorer une dette insurmontable.
Cette réforme vise à replacer l’intérêt de l’entreprise, sa capacité d’investissement et ses emplois au centre du jeu, en proposant un traitement technique, clinique du surendettement qui permettra à l’entreprise de repartir durablement désendettée et donc de se redéployer.
Cette réforme atténue fortement la capacité de blocage de l’actionnaire ou du créancier chirographaire, qui l’utilisaient comme monnaie d’échange pour sauvegarder leurs intérêts à court terme. La new money est désormais la seule arme disponible pour l’actionnaire, puisqu’elle lui donne droit à discuter de la valeur de l’entreprise. Sans new money, l’actionnaire n’est plus rien.
Pauline Bournoville : L’actionnaire pouvait précédemment faire valoir deux armes pour forcer les négociations : le fameux étalement sur 10 ans qui était la menace absolue, et le vote final en assemblée générale des actionnaires. Ces deux atouts ont disparu quand l’entreprise est au-dessus des seuils, tout au moins en procédure de sauvegarde.
Une organisation interne des banques difficilement compatible avec l’évolution
de la procédure
Théophile Fornacciari : Auparavant, en procédure amiable, le débiteur négociait avec ses créanciers. Tandis qu’en sauvegarde ou redressement judiciaire, il y avait moins de dialogue. Le plan était simplement circularisé par le mandataire judiciaire.
La réforme encourage à entrer très vite dans une logique de négociations avec les créanciers, pendant la période d’observation, pour vérifier si le plan est possible.
Ségolène Coiffet : En pratique, pour des raisons d’organisation interne au sein des banques, lorsque le débiteur passe en procédure collective, les interlocuteurs au sein des banques changent puisque ce sont en général les services contentieux qui suivent les procédures collectives, là où les procédures amiables sont suivies par les services des affaires spéciales. On passe d’un contexte amiable où tout le monde négocie, à une configuration judiciaire où le dialogue, l’échange et la négociation deviennent plus difficiles. En sauvegarde accélérée, typiquement, cela peut être un problème car il s’agit d’une procédure qui est à mi-chemin entre l’amiable et le collectif. Je note tout de même quelques dossiers où les équipes des affaires spéciales continuent à être présentes en sauvegarde, mais restent en support des équipes contentieuses.
Pauline Bournoville : Les banques s’adaptent en effet à l’évolution des procédures. La séquence habituelle est de négocier, quand tout va bien, avec les équipes commerciales. En procédure amiable, le dossier part aux affaires spéciales, puis aux équipes contentieuses et recouvrement au moment de la procédure collective. Une strate a néanmoins été créée entre les équipes commerciales et les affaires spéciales qui est appelée « situations spéciales » ou « situations préoccupantes ». Elle permet une forme de passation pour encourager à trouver des solutions rapidement. Je reconnais toutefois que l’étape d’après, en procédure collective, n’a pas encore évolué.
Xavier Bailly : C’est un problème puisque la sauvegarde accélérée, par exemple, n’est ni plus ni moins que la mise en place d’une procédure préventive dans laquelle il peut y avoir de la new money que les équipes contentieuses ne sont pas nécessairement habilitées à donner.
Ségolène Coiffet : J’ai en tête un dossier dans lequel cette situation a été assez compliquée à gérer. Durant des années, nous avions régulièrement trouvé des accords amiables. Mais face à la crise du retail, l’entreprise n’a eu d’autre choix que de solliciter l’ouverture d’un redressement judiciaire. Dans ce contexte, les réunions sont devenues plus difficiles avec les créanciers bancaires, qui n’étaient pas nécessairement dans une posture de négociation.
C’est une vraie difficulté pour les administrateurs judiciaires car la constitution de classes de parties affectées suppose qu’il y ait des parties affectées à qui on doit proposer un projet de plan de redressement. Il faut donc pouvoir discuter pour savoir qui on met dans quelle classe.
Théophile Fornacciari : C’est surtout complexe dans les « petits » dossiers, je pense par exemple aux restaurateurs qui sont parfois rentables mais écrasés sous une dette insurmontable. Pour sortir le dossier, il faut l’accord des banques qu’elles ne donnent pas forcément pour des questions de contre-garantie. En termes de préservation du tissu économique, c’est un vrai sujet car, pour ces TPE, il n’y a pas de repreneur qui se présente et la société part en liquidation. Il y a donc un vrai enjeu pour ces petites entreprises à avoir des classes, ne serait-ce que pour préserver ce qui a été créé.
Pauline Bournoville : Sur ces sujets de constitution de classes, les petits dossiers peuvent être très compliqués. Pour les grands, on le sait il faut une classe de créanciers bénéficiant de sureté réelle, une classe de détenteurs de capital et il faut que les conventions de subordination soient prises en compte. Finalement, le rang de créanciers est presque préalable à la constitution des classes. Dans les petits dossiers, par hypothèse, ce n’est pas la même simplicité.
Théophile Fornacciari : Le rôle du créancier public a énormément évolué à la faveur de ces classes, notamment celui du CIRI qui devient de plus en plus moteur dans les négociations de passif et permet parfois de faire voter les plans en classes. Entre la créance publique (sociale et fiscale) et les PGE, son rôle est devenu majeur. Il devient un vrai créancier dans les procédures.
Ségolène Coiffet : Dans certaines renégociations de PGE, il s’occupe de tout le dossier et vient présenter ensuite le résultat de ces négociations aux banques qui ont consenti les PGE.
Pauline Bournoville : C’est assez classique dans un mécanisme de contre-garantie. Les banques vont toujours voir leur garant avant d’accepter la moindre concession.
Le travail préalable
à la constitution
des classes
Ségolène Coiffet : Si l’article L. 626-30, III, 1° du code de commerce prévoit que les créanciers titulaires de sûretés réelles sur les biens du débiteur, pour leurs créances garanties, et les autres créanciers sont répartis en classes distinctes, il ne précise pas pour autant expressément que pour constituer la classe de parties affectées des créanciers privilégiés, il convient de valoriser les suretés dont ils bénéficient. On peut donc lire les choses de deux façons : soit la seule détention d’une sûreté réelle suffit à placer le créancier concerné dans une classe de créanciers privilégiés, quelle que soit la valeur de la sûreté concernée ; soit seule la quote-part de créance effectivement garantie (ce qui pose donc la question de la valeur de la sûreté) est considérée pour placer le créancier dans une classe de créanciers privilégiés, le « solde » étant chirographaire.
Caroline Texier : En effet, le texte vise une communauté d’intérêt.
Ségolène Coiffet : Un créancier détenant une sureté qui ne vaut rien, peut se retrouver privilégié uniquement parce qu’il détient cette garantie. C’est donc un aspect à considérer en plus pour les administrateurs judiciaires qui constituent ces classes. S’il faut par exemple valoriser le fonds de commerce quand il y a des nantissements, c’est un travail conséquent qui s’ajoute. C’est pourquoi je pense qu’il faut considérer l’esprit du texte et non sa rédaction.
Caroline Texier : Le texte fait tout de même la nuance pour la fiducie, mais pas pour les autres garanties.
Théophile Fornacciari : Le texte prévoit uniquement que la créance qui ne bénéficie pas d’une fiducie est mise dans une classe. Mais il ne précise rien de plus.
Ségolène Coiffet : En général 100 % de la créance sont garantis par la fiducie. Donc à l’extrême, avec un euro en fiducie, on peut garantir une créance 10 000 millions d’euros avec et ainsi être exclu des classes.
Théophile Fornacciari : Ce n’est pas l’esprit de la loi.
Caroline Texier : Les créanciers bénéficiaires d’une fiducie doivent être mis dans une classe de créanciers chirographaires pour la créance non couverte par la fiducie.
Ségolène Coiffet : Cette valeur garantie par la fiducie doit donc être déterminée. Et c’est un travail de plus préalable à la constitution des classes.
Xavier Bailly : D’où l’importance du test de « best interest » qui permet de vérifier quel créancier aurait accès à un peu de valeur. Dans l’hypothèse de bailleurs, par exemple, ils sont privilégiés mais seulement sur la valeur des meubles meublant, donc pas grand-chose. Ce test me semble donc essentiel pour former les classes car il permet de déterminer la valeur réelle des suretés. Nous sommes d’ailleurs très challengés pour justifier comment nous déterminons les valeurs liquidatives, que ce soit en plan de cession ou de liquidation. Nous fonctionnons par fourchettes, par type d’actifs, en fonction des benchmarks récupérés et des discussions avec le liquidateur.
Dans le cas de dossiers abordés précédemment, il y a eu des discussions préalables avec les banques au moment des procédures amiables, puis avec l’administrateur judiciaire, les mandataires et le juge commissaire pour comprendre ces calculs de best interest. En prenant unitairement chacun des actifs – en l’occurrence il y avait des fonds de commerce, des stocks, des marques – on est capable de déterminer des fourchettes de valeur en plan de cession ou en liquidation. Mais des discussions ont toujours lieu derrière, notamment avec les organes de la procédure. Il faut donc parvenir à trouver un consensus avec toutes les parties prenantes. Un plan correctement monté comprend des propositions toujours supérieures à la meilleure valorisation envisagée car il y a souvent des reprises de périmètres qui sont partiels en plan de cession. Et en liquidation, le super privilège de l’AGS est prioritaire et derrière, la valeur résiduelle distribuable est minime ou nulle. Cette dynamique et l’expérience pratique du plan de cession et de la liquidation est à prendre en compte.
Sébastien Gauthier : Du côté des investisseurs, nous souhaitons des relations apaisées avec nos partenaires commerciaux post transaction. Le calcul du best interest est accueilli avec bienveillance par les investisseurs car il permet de démontrer aux créanciers que l’investisseur ne profite pas de la situation et que sa valorisation est « juste ». En cas de tension avec des créanciers au moment des négociations, nous demandons un calcul de best interest.
Xavier Bailly : De nombreuses entreprises sont rentables et méritent de survivre malgré ces dernières années perturbées durant lesquelles elles ont accumulé trop de dette. Le plan est une manière pour elles de diminuer le passif et d’obtenir de la new money.
La dette des entreprises
sous LBO
Xavier Bailly : S’agissant des entreprises sous LBO, les actionnaires doivent entrer dans les discussions en étant parfaitement préparés aux nouvelles techniques de résolution des difficultés par les classes, et s’être fait une religion sur leur volonté et leur capacité à remettre de l’argent frais. Des entreprises avec une dette d’acquisition qui n’a pas vocation à être payée par l’exploitation, sur laquelle des intérêts et des pénalités de retard post-maturité courent, ce sont des passifs qui sont impossibles à rembourser dans un plan aujourd’hui. Il y a déjà eu des lender leds, y compris avec des fonds de private equity, comme dans les dossiers Vivarte, ou Camaïeu. Mais ce sera, vraisemblablement demain encore plus souvent le cas. Le fonds de private equity qui arrive dans une restructuration aujourd’hui, soit il a les moyens, seul ou accompagné, de réinjecter des liquidités à l’occasion d’un deuxième deal, soit la situation deviendra plus compliquée pour lui.
Caroline Texier : Généralement les fonds réinjectent des liquidités quand l’entreprise a des besoins. Mais quand ils ne pourront ou ne voudront plus, ils devront restructurer la dette et prendront alors un risque de laisser les clés.
Sébastien Gauthier : Nous étudions par exemple en ce moment le dossier d’une entreprise sous LBO qui est incapable de rembourser ses dettes car elle ne dégage plus de résultat d’exploitation. Le fonds a décidé de ne pas remettre au pot et a acté que son equity valait zéro. Du coté des créanciers récalcitrants, les classes de parties affectées offrent une méthode clinique pour traiter leur dette et leur éventuelle opposition. Il y a donc une réelle probabilité que la transaction puisse aller au bout. Nous avons donc fait une offre en amiable tout en sachant que si notre proposition ne fait pas consensus parmi les créanciers, le mandataire ad hoc pourra dérouler une procédure de sauvegarde qui aboutira à un désendettement similaire à celui que nous avons proposé en amiable.
Caroline Texier : La plupart des restructurations sont tout de même en-dessous des seuils de constitution des classes de parties affectées. Dans la plupart des cas, on ne peut pas les mettre en place, faute de temps ou la configuration de l’endettement ne permet pas d’écraser la dette. Je pense par exemple aux renégociations de PGE : les banques qui portent le PGE sont généralement celles qui ont des suretés.
Il n’est pas évident de les faire restructurer pour s’écraser elles-mêmes en faveur d’un autre type de dette. Tous les schémas ne sont pas toujours ceux qui amènent vers une constitution de classes de parties affectées.
Théophile Fornacciari : Je suis d’accord. Mais la force de l’outil est qu’on en fait toujours l’analyse, même en amiable. Quant aux dossiers avec des investisseurs externes, on y pense souvent mais la plupart du temps on s’oriente vers un plan de cession classique car le contexte n’est, malgré tout, pas tellement favorable à la new money. Je vois plus de fonds qui rendent les clés. Même si ce n’est pas dans les textes qu’il faut appliquer de manière forcée la proposition de l’actionnaire d’injecter de la new money, c’est tout de même la bonne pratique qui ressort des dossiers. À Paris, c’est même quasiment devenu une condition pour que le juge commissaire l’autorise en-dessous des seuils.
Sébastien Gauthier : Dans les dossiers très déficitaires, le plan de cession demeure une option intéressante pour repartir sur un périmètre ajusté.
Xavier Bailly : Si l’entreprise est au-dessus des seuils et que les classes ne sont pas possibles, pour de multiples raisons, la seule alternative est le plan de cession. C’est tout de même la nouveauté de ce dispositif.
Théophile Fornacciari : S’il y a une importante restructuration opérationnelle du repreneur, le plan de cession est une arme efficace. Dans les dossiers où il y aura un sujet de dette financière, il faudra de plus en plus tendre vers ces classes.
Xavier Bailly : En procédure préventive, on pourrait penser que la simple menace de plan en classes suffise à emporter l’accord de tout le monde, mais reste l’incertitude de la capacité de chacune des classes de parties affectées à accepter des sorts hyper-dégradés sans se les faire imposer. Je pense notamment aux réactions des établissements de crédit.
Le traitement
de la dette des dossiers immobiliers
Théophile Fornacciari : Il n’est pas encore clair pour moi de savoir dans quelle mesure les tribunaux vont appliquer ces classes de parties dans les dossiers immobiliers qui sont nombreux actuellement. Ils pourraient en effet juger qu’appliquer un plan de classes de parties affectées sur un actif immobilier n’est ni plus ni moins qu’une liquidation déguisée.
Ségolène Coiffet : C’est la même chose qu’un protocole de conciliation qui organise la vente d’un immeuble. Quand le SPV vend son bien, il ne lui reste plus rien et il part en liquidation. C’est à l’inverse de l’esprit du texte puisque, objectivement, la conciliation ne fait rien d’autre qu’organiser une liquidation amiable.
Caroline Texier : Cela peut tout de même être très utile pour préserver la valeur du prix de cession.
Pauline Bournoville : Dans ces dossiers, il y a de la dette sur chacun des véhicules qui détiennent un actif. Les classes ne sont pas arrêtées pour tout le groupe au niveau de la holding, chaque entité doit normalement avoir sa propre restructuration. Je ne suis donc pas sûre que dans de tels dossiers immobiliers, on parvienne à dépasser les seuils au niveau de chaque entité.
Théophile Fornacciari : Dans beaucoup de deals immobiliers, il y a souvent de la dette obligataire qui a été souscrite sans garantie. Et en amiable, ce sont ces obligataires qui empêchent de parvenir à un accord car ils refusent de solder le passif et le cas échéant de faire des abandons. Dès lors, beaucoup se disent qu’il faut aller vers des classes de parties affectées et imposer l’abandon à celui qui n’est plus dans la monnaie.