Le groupe Menix, fondé sous l’impulsion de Patrick Rondot, est une holding française qui regroupe des marques de pointe en orthopédie et implantologie dentaire et chirurgie cranio-maxilo-faciale. Au regard du secteur d’activité, et avec l’appui des managers et d’un consortium d’investisseurs intégrant Five Arrows, Keensight Capital et Turenne Capital, une sortie par le bas, via différents carve-out, a été privilégiée à une cession de l’ensemble. Les différentes opérations se déroulent depuis maintenant un an. Explications par Étienne Mathey, associé corporate d’August Debouzy et Joseph El Khoury, managing director de Natixis Partners
Quelles ont été les étapes
de construction du groupe Menix ?
Joseph El Khoury : Le groupe Menix s’est construit en une quinzaine d’années par adjonction de plusieurs entités différentes au gré de buildups successifs. Il débute, en 2009, avec le rapprochement des sociétés Dedienne Santé, et SERF, toutes deux positionnées sur le développement, la fabrication et la distribution de prothèses de hanches (notamment la double mobilité) et de genoux. En 2012, c’est au tour de Tekka d’intégrer le groupe. Rebaptisée Global D, la société est spécialisée dans les implants dentaires. Deux ans après, Oneortho Medical rejoint Menix pour proposer des solutions digitales au service de l’implantologie, qu’elle soit dentaire ou orthopédique. Ces diverses acquisitions se sont complétées par la création de Serf Extremity en 2014, pour produire des vis et des plaques pour la chirurgie du pied. En 2023, le groupe Menix affichait un chiffre d’affaires de 125 M€.
En structurant le groupe Menix, les filiales ont été organisées par marché, Dedienne Santé et SERF pour les prothèses orthopédiques, Global D pour le dentaire, pour ne citer que les trois plus grandes. Des pures players ont ainsi été fondés, avec des marchés extrêmement différents que ce soit au niveau réglementaire, de la dynamique commerciale et du financement. Ce travail a permis l’harmonisation des filiales, sans toutefois les intégrer, chacune gardant son indépendance.
Étienne Mathey : La réglementation européenne est extrêmement contraignante pour ces acteurs. Pour vendre une prothèse orthopédique, le produit doit obtenir un marquage CE dont la procédure requiert a minima deux ans, durant lesquels il faut justifier d’un savoir-faire, d’expertise, de respect des normes, l’ensemble impliquant une responsabilité particulièrement élevée. Et ce processus doit être recommencé dès qu’il y a un une importante mise à jour au niveau du produit ou de la législation. C’est une galaxie et un monde à part qui ne s’improvise pas et qui impose de s’entourer d’acteurs spécialisés.
Pourquoi a-t-il été préféré des cessions multiples plutôt qu’une reprise globale de Menix ?
Joseph El Khoury : Les filiales sont positionnées sur des marchés aux dynamiques très différentes, et de ce fait, valorisées à des multiples différents. Le dentaire connaît une croissance d’environ 6 % p.a. tandis que l’orthopédie est plutôt flat ces dernières années en France. Les repreneurs industriels capables de proposer une prime stratégique sont très rarement positionnés sur les deux secteurs (orthopédie et dentaire). Les tendances sont plutôt vers une séparation de ces deux verticales. Dans une logique d’optimisation du prix de cession, cela faisait davantage de sens de vendre chaque filiale au repreneur le plus adapté pour payer une prime stratégique.
Le challenge était élevé coté orthopédie (Serf et Dedienne Santé), dans un contexte de taux d’intérêt élevés sur un métier consommateur de BFR. Les multiples des transactions récentes en orthopédie étaient au plus bas (~10x) et les acquéreurs industriels européens n’étaient pas dans les meilleures situations pour faire une telle acquisition. Nous avons initié des discussions informelles avec quelques acteurs mondiaux outre-Atlantique en présentant la gamme des produits SERF lors de salons professionnels. La gamme double-mobilité a suscité un intérêt stratégique certain chez Stryker, leader mondial de l’orthopédie, qui ne détient pas de technologie de double mobilité dans sa gamme.
Étienne Mathey : Le deal a été très long à finaliser : six mois d’exclusivité. Stryker est un très grand groupe américain, qui n’a pas l’habitude de réaliser beaucoup d’acquisitions et dont les équipes sont internalisées et très hands on. Les audits ont été particulièrement nombreux. Quant aux vendeurs, des fonds d’investissement français, ils sont moins familiers des sorties par le bas, au profit d’un corporate américain coté. Nous avons donc eu un rôle de pédagogie intéressant vis-à-vis de l’ensemble des parties et avons été créatifs dans les solutions proposées, pour rapprocher les points de vue et les attentes de chacun.
Joseph El Khoury : Notre plus grand problème a été qu’en face nous n’avions que des messagers d’une structure lourde qui devaient en référer à leurs décideurs pour n’importe quel sujet. C’est cohérent pour un tel acteur, mais in fine, personne n’avait seul la maîtrise technique de tous les aspects du deal.
D’un point de vue juridique, quelles questions ont été particulièrement complexes à traiter ?
Étienne Mathey : Il s’agissait d’une prise de contrôle d’une société française, relevant du secteur de la santé, par un acquéreur étranger. L’opération était donc soumise au contrôle des investissements étrangers. A priori, nous avions relevé que le marché des prothèses semblait ne pas relever d’un contrôle trop strict de Bercy. Dans une précédente opération d’acquisition par un investisseur chinois d’une autre société relevant de ce secteur, Bercy avait précisé que la demande était hors scope. Mais Stryker a tout de même souhaité obtenir un rescrit de Bercy. L’opération a été validée dans les délais classiques, sans pour autant passer en phase approfondie. J’en conclus néanmoins, qu’en pratique, le contrôle de Bercy est de plus en plus large et la vigilance est de mise pour les dossiers transfrontaliers, même si le contrôle reste très efficace dans son process. La plupart du temps, les validations sont assorties de certaines conditions, comme le maintien de la R&D en France, la poursuite des contrats avec l’État, etc. En l’espèce, Stryker ne s’est vu imposer aucune condition probablement aussi parce qu’il s’agit d’un groupe américain, extrêmement visible et transparent, avec 130 Mds$ de capitalisation boursière à ce jour. Même s’il n’y a pas de lien direct, depuis que l’exclusivité a été signée, le cours a même monté de 50 % !
Quels ont été les autres sujets ?
Étienne Mathey : L’approche américaine de la gestion du risque, notamment s’agissant des clauses de garantie de passifs, a en outre été difficile à concilier avec l’intérêt des vendeurs français, qui étaient des fonds de private equity. Nous avons dû négocier un certain nombre de points entre avocats, mais la prise de décision revenait toujours à l’entreprise Stryker qui a un processus décisionnaire lourd et très « risk adverse ». Nous avons proposé des solutions de type assurance de garantie de passif, qui se pratiquent dans deux tiers des deals, mais l’acquéreur n’y était pas habitué et donc les a refusées. C’est la structure très spécifique de l’opération qui fait que les vendeurs ont pu accepter certains points, qu’ils auraient logiquement refusés dans d’autres circonstances.
Nous avons également été confrontés à des questions de violation de confidentialité, que nous avons traitées via des rappels à l’ordre, dans une situation qui n’est jamais simple. Le marché de l’orthopédie est relativement étroit en France donc les rumeurs se propagent assez vite. Or elles étaient susceptibles de désorganiser la cible et donc de mettre en péril la transaction.
Qu’en est-il des cessions des autres filiales de Menix ?
Joseph El Khoury : Oneortho Medical a été cédé en avril, quelques semaines après l’opération Serf, à son fondateur historique et dirigeant. Serf Extremity a été cédé à un groupe d’anciens professionnels du pied regroupés dans une nouvelle structure actionnariale. Et côté Global D, il s’agit d’un process private equity classique en cours. Restera la filiale Dedienne Santé (orthopédie) encore dans le périmètre de Ménix.
Étienne Mathey : Ces opérations sont très intéressantes car nous sommes confrontés à tous les schémas de cession possibles. Dans un cas, c’est le manager qui reprend, l’opération est très émotionnelle pour lui. Dans un autre, ce sont des professionnels qui connaissent parfaitement le secteur et les sujets réglementaires qui se posent. Dans le dernier, nous discutons avec des fonds qui sont des interlocuteurs de qualité parfaitement identifiés. C’est formidable pour un conseil de travailler sur l’ensemble des process pour un même cédant. Cela nous a conduits, ensemble et pour nos clients, à mettre en œuvre une palette de compétences extrêmement complète.