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Le private equity résiste sur le midmarket européen et américain

Dans un contexte macro-économique et politique chahuté, le private equity midcap a connu un ralentissement mais pas de coup d’arrêt brutal. Quelles tendances ont marqué les marchés américain et européen ces derniers mois ?

Le private equity mondial a connu une forte baisse durant les 24 derniers mois. Comment ont évolué vos marchés respectifs et quelles sont les principales tendances observées ?

Eva Davis : Les transactions menées par les fonds de private equity ont subi un ralentissement sur le marché américain à partir de fin 2022 et durant toute l’année 2023. La remontée des taux a freiné la dynamique des nouveaux LBO bridés par une dette trop chère, mais les investisseurs financiers ont compensé cette baisse d’activité en intensifiant les stratégies de buy-and-build de leurs participations. Les deux dernières années ont été surtout marquées par les opérations d’add-on pour les plateformes détenues par les fonds. Dans le midmarket, nous avons constaté un certain nombre de ces transactions situées en moyenne dans une fourchette de valorisation entre 10 et 100 M$. Les buyers considèrent ces transactions de taille modeste comme avantageuses, car elles sont relutives pour la plateforme et ne nécessitent pas de nouvelle dette. Malgré leur raréfaction, les fusions de grandes entreprises ont créé des opportunités de carve-out pour des fonds à l’affût d’acquisitions complémentaires pour diversifier les verticales de leurs participations et leur exposition géographique. De fait, les actionnaires financiers n’hésitent plus aujourd’hui à poursuivre leur stratégie de buy-and-build bien après l’échéance prévue initialement pour la sortie, afin de maximiser la valeur de leurs participations quand l’environnement sera plus propice aux cessions.

Grine Lahreche : Le ralentissement des opérations de private equity a été plus limité en France que sur d’autres marchés européens moins matures. Le succès de plusieurs levées a permis de maintenir un certain dynamisme de marché extériorisant ainsi que des valorisations significatives pour les plus beaux actifs. Nous avons par ailleurs pu observer l’appétit croissant d’acquéreurs étrangers, et particulièrement des fonds américains, pour les cibles françaises jugées plus dynamiques à l’aune de l’appréciation du dollar, et plus attractives que dans d’autres pays européens. Il s’agit d’une bonne nouvelle pour les vendeurs car ces investisseurs sont plutôt agnostiques sur le secteur d’activité et ont un focus « très business » avec des équipes d’operating partners rodées à l’optimisation de process opérationnels. Enfin, comme à chaque période de tension, la polarisation s’est accentuée entre les actifs premiums et ceux plus normés, confortant les secteurs de la tech et de la santé, plus courtisés que jamais. Les opérations de réinvestissement dans les entreprises de la tech et de la santé se sont également multipliées à la faveur de la démocratisation des fonds de continuation.

Quelles sont les principales différences dans la structuration des opérations et les pratiques culturelles en France par rapport aux États-Unis ?

Grine Lahreche : Les pratiques tendent à converger de plus en plus entre le marché européen et américain même s’il subsiste des différences formelles et culturelles. En France, le poids du management dans les opérations de LBO par exemple constitue une spécificité européenne (et en particulier française), surtout dans les LBO secondaires et tertiaires (l’alignement d’intérêts entre sponsors et dirigeants restant un principe universel quelles qu’en soient les modalités). 

Eva Davis : Aux États-Unis, l’importance du management est étudiée au cas par cas, selon que son implication est jugée critique pour la mise en exécution de la stratégie de buy-and-build par exemple ou la connaissance intime de l’écosystème dans des secteurs spécifiques. C’est ce qui détermine son poids dans les négociations et les clés de répartition de la création de valeur avec l’investisseur.

Comment a évolué la prise
en compte des critères ESG dans vos marchés respectifs ?

Grine Lahreche : Ces dernières années, la conformité aux critères ESG est devenue déterminante dans l’attractivité des cibles européennes. Cette composante extra-financière pèse un poids croissant dans les process à mesure que les LPs européens deviennent plus exigeants et l’environnement réglementaire plus contraignant, notamment avec l’entrée en vigueur des obligations de reporting de la directive CSRD applicable depuis le 1er janvier 2024.

Eva Davis : Aux États-Unis, les contraintes de reporting ESG sont essentiellement cantonnées aux entreprises cotées. En private equity, il n’existe pas de véritables exigences réglementaires obligeant les fonds de capital-investissement à divulguer des informations ESG ou à agir en fonction des résultats ESG. En conséquence, les fonds de capital-investissement s’y intéressent sous l’angle business plutôt qu’en termes de pression réglementaire ou pour satisfaire les exigences de leurs LPs. De plus, certains LPs (notamment les plus grands et/ou plus influents) peuvent exiger des rapports ESG de la part du GP, ce qui peut, dans certains cas, inciter des comportements ESG. Néanmoins, la plupart des investisseurs ont intégré les critères extra-financiers comme facteur de compétitivité pour les cibles et les prennent en compte dans la valorisation et le potentiel d’attractivité à la sortie.

Dans un environnement de sorties plus complexe, quelles ont été les différentes stratégies adoptées par les fonds pour faire face au ralentissement du rythme de cession de leurs portefeuilles ?

Eva Davis : Face au renchérissement du coût de la dette, les montages de buyout ont dû s’adapter avec des mécanismes de crédit-vendeur et d’earn-out ou des instruments de preffered equity. Nous avons observé aussi la montée en puissance des opérations de GP-Led single asset, qui sont devenus un véritable scénario de sortie alternative pour retourner la liquidité aux investisseurs sans brader ses plus beaux actifs. Il y a des années, les fonds de continuation étaient souvent réservés aux queues de portefeuilles et aux entreprises invendables, ils sont désormais l’apanage des plus belles sociétés. Et les investisseurs n’hésitent plus à mener de front deux process en parallèle : une cession classique et une opération secondaire. Si la valorisation obtenue sur le marché du M&A classique n’est pas à la hauteur de leurs attentes, ils préfèrent ainsi réinvestir dans leurs propres pépites plutôt que de renoncer à l’upside du prochain cycle de croissance. Cette nouvelle piste de sortie serait appelée à s’installer sur le long terme même après que les voies de cession classiques ne seront plus obstruées.

Grine Lahreche : Les fonds de continuation se démocratisent dans le midmarket mais ils sont à manier avec précaution pour éviter tout conflit d’intérêts car seules les très belles entreprises ayant encore une histoire de croissance à mener avec leurs actionnaires actuels sont, en réalité, éligibles. Hormis les fonds de continuation, les acteurs du private equity français ont également eu recours à des roll over qui leur permettent de réaliser des sorties partielles pour cristalliser la plus-value tout en réinvestissant aux côtés d’un nouvel actionnaire extériorisant ainsi une véritable valeur de marché à partir d’actifs qu’ils connaissent intimement. Ainsi, face à l’allongement de la durée de détention, on a vu se multiplier les opérations où les sponsors historiques invitent de nouveaux actionnaires minoritaires pour faire un cash-out partiel en attendant une sortie intégrale.

Comment projetez-vous l’évolution de vos marchés respectifs pour les prochains mois ?

Eva Davis : Aux États-Unis, le marasme que connaît le private equity depuis deux ans semble avoir atteint son point le plus bas. Tous les signaux convergent pour annoncer un volume soutenu de transactions pour le second semestre 2024 et le premier semestre 2025 et nous constatons un fort rebond depuis le début de l’année. Sous la pression de leurs LPs, les fonds d’investissement s’activent sur le front des sorties pour retourner des liquidités à leurs souscripteurs et arrivent aussi à l’échéance de déploiement de leurs derniers véhicules levés. Même si le contexte reste marqué par une inflation persistante, le ralentissement économique, la hausse des taux d’intérêt et de fortes tensions géopolitiques, le midmarket est relativement plus épargné que le large cap dont les transactions nécessitent des quanta de dette plus importants.

Grine Lahreche : Avant l’annonce de la dissolution par le président Macron le 9 juin 2024, nous assistions à une forme de retour à la normale pré-Covid avec une nouvelle dynamique dans les process portée par une exigence de déploiement des fonds levés par les private equity et l’intérêt d’investisseurs étrangers pour les cibles françaises. Le climat d’incertitude et de relative instabilité politique risque de compromettre ce nouvel élan, même si la succession des crises depuis le Covid installe un climat où le non-normatif devient quelque peu la norme. 

 

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