Valorisée 700 M€ par Eurazeo au printemps 2021, l’entreprise familiale aux 100 M€ de revenus a popularisé le concept du DIY en cosmétique et élargi sa clientèle au-delà d’une communauté de militants de la naturalité.
LES HUILES ESSENTIELLES D’AROMA-ZONE auraient des vertus insoupçonnées. Elles ont en tout cas littéralement envoûté les fonds d’investissement en lice pour son premier LBO au printemps 2021. Le process orchestré par Société Générale CIB a été âprement disputé par le gratin des fonds mid cap et remporté par Eurazeo pour une valorisation de plus de 700 M€, soit 20 fois l’Ebitda de la PME familiale aux 100 M€ de chiffre d’affaires. L’investisseur coté, exceptionnellement peu loquace sur l’opération, a indiqué investir 410 M€ pour « devenir le partenaire de référence d’Aroma-Zone aux côtés de la famille Vausselin qui resterait un actionnaire significatif au capital de la société ».
Du blog à l’ETI
L’attirance des investisseurs du private equity depuis quelques années pour les segments de la naturalité, phytothérapie et autre aromathérapie trouve là une illustration éclatante. Pour ce LBO primaire, la PME créée en 1999 par Pierre Vausselin et ses deux filles Anne-Cécile et Valérie, et dirigée depuis 2005 par le binôme sororal, a donc fait encore mieux que le LBO d’Inula (ex-Pranarôm) valorisé 500 M€ en 2018 par Ardian. Il faut dire que la croissance d’Aroma-Zone a de quoi imprégner les esprits. Ce qui fut à l’origine un blog scientifique dédié aux vertus des huiles essentielles s’est vite transformé en site de vente en ligne puis en pionnier du concept du « Do it Yourself » pour les cosmétiques et les produits d’hygiène, captant la demande des consom’acteurs sourcilleux sur la provenance et la composition de ce type de produits. Outre les ventes sur Internet qui pèsent 75 % de son chiffre d’affaires, l’entreprise basée à Cabrières-d’Avignon, compte aujourd’hui 12 boutiques, dont 5 ouvertes depuis son adossement à Eurazeo, qui veut exporter le succès de la marque au-delà des frontières hexagonales en commençant par une première implantation belge fin 2022. Pour ce faire, le nouveau propriétaire d’Aroma-Zone a nommé, à l’automne 2021, une nouvelle CEO, Sabrina Herlory Rouget, transfuge d’Estée Lauder où elle pilotait la destinée de la marque de cosmétiques MAC depuis 2017, après avoir été directrice générale de l’Occitane.
Une communauté qui dicte la stratégie
Celle qui affiche sa prédilection pour un management du « faire » plutôt que de concepts éthérés se dit parfaitement dans son élément chez le pionnier du Do it Yourself en cosmétique. « Je connais la marque Aroma-Zone depuis très longtemps en tant qu’utilisatrice, et nous la suivions de près chez l’Occitane pour son côté précurseur d’une cosmétique éco-responsable, notamment avec la vente de produits en vrac », confie Sabrina Herlory Rouget, qui veut préserver l’identité forte de la marque et son rapport quasi-fusionnel avec sa communauté. « Aroma-Zone est née de la transformation d’un blog d’information sur l’aromathérapie en site de vente en ligne d’huiles essentielles impulsée par la demande des lecteurs du blog qui souhaitaient s’approvisionner auprès des producteurs référencés par les soeurs Vausselin. Toute la stratégie de croissance a été bâtie ensuite à partir des demandes de la communauté, que ce soit l’ouverture des boutiques physiques ou la diversification dans les produits d’hygiène ou la nutrition », poursuit Sabrina Herlory Rouget, qui cite l’exemple du CBD commercialisé en juin 2022 et dont l’usage a été « détourné » pour les animaux domestiques par une partie des clients d’Aroma-Zone qui s’est aussitôt ajustée en proposant un CBD dédié aux animaux de compagnie. Cette écoute quasiobsessionnelle des demandes et réactions de ses clients serait donc la clé du succès de l’enseigne. Mais en grossissant et en élargissant sa clientèle au-delà de la niche de passionnés des origines, l’entreprise ne risque-t-elle pas une forme de « dévoiement » en devenant trop « mainstream » ? « Tant que nous ne créons pas d’offre artificielle et que nous respectons les valeurs qui ont fait l’ADN de la marque, à savoir l’accessibilité, la naturalité et l’innovation scientifique, notre développement est dérisqué », assure la p-dg avec une naïveté assumée.
Du DIY à l’hyperpersonnalisation
Si la notoriété historique d’Aroma-Zone a été bâtie sur la commercialisation d’ingrédients à combiner soi-même selon les recettes, l’enseigne s’est diversifiée et ajustée à une clientèle plus large, plus demandeuse de produits prêts à l’emploi et de conseils personnalisés. Un petit tour sur le site dévoile les quelque 2 000 références proposées par la marque, dont le laboratoire situé à Cabrières-d’Avignon crée des formules 100 % naturelles. « Nous évoluons vers un DIY 3.0 qui se traduit par une hyperpersonnalisation des produits en fonction du type de peau par exemple ou même des besoins à différents moments du cycle hormonal », résume Sabrina Herlory Rouget, qui revendique 10 millions de combinaisons toxicologiquement certifiées. Certes, le raz-de-marée de nouveaux clients drainés sur le site d’Aroma-Zone pendant la pandémie a connu un léger reflux, faisant passer son chiffre d’affaires de 100 M€ en 2020 à 87 M en 2021, mais les tendances de fond restent structurellement favorables aux cosmétiques faites maison surfant sur la défiance à l’égard de l’industrie et la vogue du naturel. Selon une étude de l’Observatoire société de consommation en 2018, 12 % des Français fabriquent leurs produits d’entretien mais ils sont plus nombreux (14 %) à déclarer qu’ils pourraient s’y mettre, et la tendance est la même pour la fabrication des cosmétiques (13 %). En créant de nouvelles verticales et en gagnant de nouveaux clients sur ses produits phares prêts à l’emploi comme son serum anti-âge au prix imbattable de 5,90 €, Aroma-Zone a renoué en 2022 avec le même niveau de revenus qu’en 2020. « Nous souhaitons maîtriser notre rythme de croissance et ne pas aller trop vite », tempère Sabrina Herlory Rouget, qui vient d’inaugurer la douzième boutique de l’enseigne à Nice, et étudie la piste de conquête de l’Italie, en ouvrant d’abord un site e-commerce en italien pour humer l’air du marché avant de répandre ses effluves un peu partout en Europe.