de Condé est passé d’une dizaine de millions d’euros de revenus à 400 millions aujourd’hui après l’acquisition du Pôle Leonard de Vinci. De quoi tutoyer les 2 milliards d’euros
de valorisation, soit le triple de son dernier LBO en 2020 avec Ardian.
Avec le rachat du Pôle Léonard de Vinci cet été, AD Education décroche les diplômes prestigieux qui manquaient à sa palette artistique.
En s’offrant la business school et l’école d’ingénieurs de l’ex-fac Pasqua pour une valorisation de plus de 300 M€, le groupe d’enseignement historiquement spécialisé dans les arts créatifs franchit un palier majeur dans sa diversification, et marche dans les pas du leader européen, Galileo, qui s’est illustré il y a deux ans en entrant au capital de l’emlyon. « Nous cherchions à acheter des écoles de commerce et d’ingénieurs depuis longtemps pour compléter notre offre et créer plus d’hybridation dans les parcours de nos étudiants, mais les dossiers sur le marché n’étaient pas d’assez bonne qualité. Nous avons attendu de trouver un établissement à la réputation d’excellence en phase avec notre positionnement », explique Kevin Guenegan, président-fondateur du groupe AD Education. Il faut dire que la réputation d’excellence académique du Pôle Léonard de Vinci a connu un bond phénoménal cette dernière décennie, son école d’ingénieurs (ESILV) ayant fait son entrée dans le top-3
du classement des écoles d’ingénieurs post-bac de L’Usine Nouvelle, et sa business school (EMLV) figurant dans le top-5 du classement des écoles de commerce post-bac de Challenge. Et sa santé financière est au diapason avec un Ebitda de 20 M€ pour un chiffre d’affaires de 100 M. Avec cette acquisition qui pèse le tiers de sa taille globale, AD Education confirme son statut de poids lourd du secteur de l’enseignement supérieur et sa spectaculaire métamorphose en à peine une quinzaine d’années.
Le banquier d’affaires « trop » zélé
Pourtant, rien ne prédestinait vraiment Kevin Guenegan à créer une des plus grosses plateformes de consolidation du secteur. C’est en tant qu’expert du M&A à l’époque chez Edmond de Rothschild que ses parents l’avaient sollicité en 2009, à la veille de leur départ à la retraite, pour les aider à céder l’Ecole de Condé, rachetée vingt ans auparavant. Le coup de main s’est révélé être un coup de cœur pour un secteur dont le fin stratège de la finance a perçu tout le potentiel de développement. Et après avoir préparé le process avec beaucoup de zèle, Kevin Guenegan s’est proposé en tant que repreneur en s’associant à un copain de promo d’HEC, Guilhem Ricci. Les deux jeunes trentenaires démarrent ainsi avec trois campus spécialisés essentiellement dans les BTS design graphique et réalisant un chiffre d’affaires global de 9 M€. Ils commencent par greffer des établissements en province comme Créasud à Bordeaux et Orbicom à Nice, tout en se lançant dans des créations ex-nihilo comme l’École supérieure du Parfum en 2011.
Très rapidement, ils lorgnent vers des acquisitions à l’international, en mettant la main sur l’italien IAAD, la plus ancienne école de design automobile en Europe avec deux campus à Turin et Bologne. « Dans le monde des arts créatifs, l’Europe bénéficie d’un rayonnement mondial. Il était donc naturel de s’implanter dans d’autres pays et notamment l’Italie, reconnu pour son ADN créatif », retrace Kevin Guenegan, qui avait également à cœur de proposer à ses étudiants des parcours européens, à l’image de ce qui se fait dans les plus grandes business schools. En l’espace d’à peine sept ans, le petit groupe d’enseignement dans les arts créatifs se hisse à la deuxième place du marché derrière le pôle Arts & Créations de Studialis (devenu Galileo). Le départ de son associé Guilhem Ricci vers d’autres aventures professionnelles incite Kevin Guenegan à ouvrir son capital en 2016. « L’appel au private equity était de toute façon une étape indispensable pour l’accélération de notre développement à l’international », estime le fondateur d’AD Education, qui avait déjà plus que triplé les revenus de l’entreprise avec une croissance auto-financée. La plateforme aux 35 M€ de chiffre d’affaires a été valorisée une centaine de millions à l’occasion de l’entrée de Cathay Capital et Bpifrance à hauteur de 35 % du capital. Si l’intérêt de la banque publique pour le secteur de l’éducation est connu, la présence de Cathay Capital, historiquement positionné sur les deals franco-chinois, est plus atypique dans le tour de table de la PME encore loin d’avoir fait le tour de ses emplettes en Europe.
« Le choix des investisseurs s’est fait surtout sur la base des affinités humaines, la thèse de l’expansion en Chine a vite été refermée en raison du contexte réglementaire fermé pour les campus de groupes étrangers », explique Kevin Guenegan, qui recherchait également un sparring partner pour rompre sa solitude après le départ de son associé.
Changement d’échelle
S’ensuit un cycle de quatre ans où le groupe poursuit à la fois son maillage national et son expansion internationale. Ayant passé avec succès le crash-test du covid, AD Education rachète en 2020, coup sur coup, une école de design et de joaillerie italienne et un établissement d’enseignement de journalisme et communication allemand, ajoutant plus de 2000 étudiants et 5 campus à son périmètre. Le groupe franchit ainsi le palier des 100 M€ de chiffre d’affaires et regroupe 15 000 étudiants répartis dans douze écoles implantées sur 36 campus en France, en Allemagne ainsi qu’en Italie et en Espagne. L’heure du changement d’actionnaires financiers a sonné. Et c’est peu dire qu’il y avait foule au process mené tambour battant fin 2020 par Lazard. En phase 2, Ardian a dégainé une préemptive, coupant l’herbe sous les pieds de Wendel, Partners Group et Five Arrows, pour une valorisation de 600 M€, soit près de 20 fois l’Ebitda de l’entreprise. Le changement d’échelle est acté et la dilution du fondateur d’une position majoritaire à un actionnariat minoritaire n’atténue en rien son appétit de conquête.
Début 2022, AD Education met la main sur le groupe SAE, spécialiste des métiers de l’audiovisuel, du film mais aussi de l’industrie de la musique et des médias, cédé par le groupe australien d’enseignement privé Navitas Group. Ce spin-off lui fait doubler de taille d’un seul coup, avec 22 campus dans 10 pays européens et un premier ancrage au UK, et donne quelques sueurs froides à Kevin Guenegan, malgré son flegme à toute épreuve. « Quelques écoles du périmètre de reprise perdaient beaucoup d’argent, il a fallu passer du temps avec le management en place pour réussir l’intégration », témoigne le jeune quadra, qui a conservé quasiment tous les campus, ne fermant que la Belgique en raison de sa petite taille. Ça ne l’empêchera pas quelques mois plus tard de débourser 200 M€ pour le rachat du groupe français Oktogone spécialiste de l’e-learning via ses deux marques ISCOD pour la formation initiale en alternance et Visiplus pour la formation continue. Pour surfer sur la vague de convergence entre les acteurs de la formation physique et on-line, AD Education n’a pas hésité à payer le prix fort en déboursant 20 fois l’Ebitda de l’entreprise aux 32 M€ de revenus. « Il existait très peu de cibles intéressantes de cette taille sur le marché : soit elles sont très spécialisées sur une seule verticale comme les écoles de langue soit elles sont dédiées à des formations de type CAP et BTS, ce qui ne correspond pas à notre positionnement », justifie Kevin Guenegan, qui se félicite aujourd’hui de cet achat puisque les synergies ont joué à plein en doublant la taille d’Oktogone par la seule croissance organique. Le spécialiste de la formation en ligne lui offre aussi sa première brique de diversification en dehors des arts créatifs et accélère sa bascule vers l’alternance qui, malgré les coups de rabots des aides publiques, est devenue un incontournable des cursus professionnalisants. Cette diversification hors des verticales créatives est accentuée par l’acquisition du pôle Léonard de Vinci, qui ramène également le centre de gravité du groupe vers la France, pesant aujourd’hui 60 % des 400 M€ de chiffre d’affaires d’AD Education, pour 110 M€ d’Ebitda en périmètre consolidé. Ce qui le fait peser entre 1,5 et
2 md€ de valorisation aux standards actuels du marché, même si aucun LBO d’envergure n’a pu aboutir dans le secteur depuis deux ans.
Si la presse a évoqué des rumeurs de process de sortie d’Ardian il y a quelques mois, ce projet n’est plus d’actualité, le temps de digérer cette acquisition structurante. « Il ne s’agissait pas vraiment d’un process de sortie mais plutôt de marques d’intérêt non sollicitées que nous avons déclinées », rectifie Kevin Guenegan, qui verrait bien son avenir actionnarial avec un consortium de fonds de long terme, qui se renouvelleraient au gré des cycles et des besoins de liquidité. En attendant, AD Education poursuit imperturbablement son parcours d’excellence.