Alors qu’IBM s’apprête à fêter les 110 ans de sa présence en France, Béatrice Kosowski, sa présidente, a présenté à la rédaction de NextStep les ambitions du groupe pour les prochaines années.
En quoi la France constitue-t-elle
un pays stratégique pour le groupe ?
IBM France a été la première filiale créée par le groupe en dehors des États-Unis, avec une vocation de couverture européenne. Elle est la seule entreprise du secteur de l’informatique à connaître une telle longévité et sait se repositionner pour affronter les défis de ce nouveau siècle, dans une logique de choix de moyen et long termes.
La France a toujours été perçue comme un pays intéressant pour le groupe, car elle abrite de grands donneurs d’ordre, ne serait-ce que parmi le CAC 40.
L’écosystème est en outre extrêmement riche. J’en veux pour preuve les récents partenariats que nous avons signés avec Mistral en matière d’IA, mais également Pasqal dans le quantique, ou avec OVH, qui témoignent de cette reconnaissance de cet investissement français dans la tech. Sur certains types de compétences, comme dans les mathématiques ou dans la physique, force est de reconnaître que la France a également une véritable avance. Notre groupe le remarque et y participe à travers le développement de compétences locales et l’investissement de 5,7 % de notre masse salariale en formation. IBM France est aujourd’hui un acteur très engagé dans la contribution à l’éducation dans les universités et les écoles. J’ajoute que notre ancrage régional est historiquement marqué. L’an dernier, nous avons par exemple fêté les 100 ans de notre implantation à Lille.
Bien sûr, la France est très exigeante sur le sujet de la souveraineté, mais c’est très stimulant pour un acteur international comme IBM. Notre défi quotidien est de parvenir à créer des modèles de confiance et de coopération avec nos partenaires et clients locaux.
À l’occasion du sommet Choose France en mai dernier, vous avez annoncé un investissement massif dans la recherche. Pouvez-vous le détailler ?
Le groupe a été très impressionné par la démarche de ce sommet visant à présenter la dimension attractive du pays à des investisseurs internationaux. En 2019, IBM France s’était engagée, d’ailleurs à l’occasion de Choose France, à s’installer à Saclay. L’inauguration a eu lieu juste après la pandémie, en 2021. Ce laboratoire est une composante importante de notre activité R&D, avec des chercheurs et des partenaires centrés sur l’IA. Aujourd’hui, le groupe est fier que ses équipes développent une partie de sa plateforme mondiale d’IA générative, baptisée Watsonx, depuis la France à Saclay et Biot.
Au mois de mai dernier, nous avons annoncé l’extension des missions de ce laboratoire vers le quantique. Il me faut préciser que nous ne démarrons pas nos activités sur ce quantique en France. Dès 2018, nous avions établi un partenariat avec l’université de Montpellier pour y créer un hub quantique. Il constitue aujourd’hui le support mondial de notre plateforme de développement dans le quantique, baptisée Qiskit, qui est en open source. Pour accélérer l’appropriation de cet univers, nous avons décidé d’accroître nos investissements en créant 50 postes de chercheurs et d’ingénieurs à Saclay pour étendre certains projets de recherche notamment dans le domaine du middleware du quantique, et pour développer les cas d’usage en collaboration avec nos clients et nos partenaires.
Comment IBM France collabore-t-elle
avec l’écosystème local pour stimuler l’innovation ?
IBM a orienté sa stratégie vers l’écosystème local. Une partie importante de notre chiffre d’affaires passe ou est influencé par des partenaires, des revendeurs, ou des alliances stratégiques. Nous avons ainsi référencé 1 470 partenaires en France pour créer de la valeur chez nos clients. Nous travaillons tous pour que nos technologies apportent des solutions chez les éditeurs de logiciels. Par exemple SAP, Adobe, Salesforce, ServiceNow, ont développé leurs propres solutions dans lesquelles IBM apporte de l’IA générative, à travers Watsonx, pour augmenter leurs technologies. Je suis très consciente que les clients ont des attentes légitimes, pour avoir à leur disposition un niveau de profondeur technique important. C’est normal car la complexité technique a augmenté. Il est donc essentiel de collaborer avec une communauté technique au service de notre écosystème. IBM n’hésite pas à faire des expérimentations avec ses clients, le principe est de tester nos technologies sur un cas d’usage concret Par exemple, avec la start-up française Ivès, spécialisée dans le langage des signes, et Sopra Steria, nous venons d’annoncer le premier signbot permettant à une personne sourde ou malentendante de pouvoir interagir.
Fin 2023, vous aviez annoncé que l’IA devrait porter la croissance de l’entreprise en 2024. Quel bilan pouvez-vous tirer à la moitié de l’année ?
Cette année, nous prévoyons que davantage de clients passeront de l’expérimentation au déploiement de l’IA à l’échelle pour dégager de la productivité. Chaque trimestre, nous gagnons de nouveaux clients, élargissons nos partenariats et lançons des innovations. Depuis le début, notre carnet d’affaires lié à Watsonx et à l’IA générative est supérieur à 1 milliard de dollars au niveau mondial, et en France, nous avons dépassé la cible que nous nous étions fixée au premier semestre 2024.
Mais l’Europe et la France ont un peu de retard, par rapport aux Américains, quant à l’adoption de l’IA. On en parle beaucoup, mais surtout d’un point de vue expérimental. Aujourd’hui, les freins à l’adoption sont de plusieurs natures.
D’abord le business case du projet a souvent un ROI incertain. C’est pourquoi nous militons pour des modèles de fondation qui soient petits et très ciblés, avec le même niveau d’efficacité. Nous avons récemment annoncé la création d’InstructLab, une solution en open source, pour entraîner et enrichir un modèle sans avoir à repartir à zéro. Au-delà de la pertinence du cas d’usage, il est essentiel de travailler la performance du modèle et les inducteurs de coûts.
Autre frein : la qualité des données demeure trop faible. Dès lors, le deuxième modèle de Watsonx se concentre sur l’architecture de la donnée avec des solutions adaptées pour accélérer cette partie.
Enfin, la confiance manque dans la façon de gérer les risques associés. Face à l’entrée en vigueur de l’IA Act, cette notion de protection de la réputation et du PNL de l’entreprise est essentielle. Le troisième volet de Watsonx se concentre d’ailleurs entièrement à cette question et permet de construire une tour de contrôle de l’entreprise pour se prémunir de tous ses risques. Face à la complexité de ces architectures hybrides cloud et multicloud et de l’IA générative, sont tout de même prévues 1 milliard de nouvelles applications dans les 5 ans. Elles ne pourront fonctionner que si on accepte l’automatisation en se dotant de solutions permettant d’observer les infrastructures, les applications, les ressources à optimiser… La poussée de l’IA va conduire à une demande très forte dans toutes les thématiques d’automatisation.
Quelles sont vos priorités, en France, pour les cinq prochaines années ?
D’abord, cultiver la satisfaction de nos clients, de nos partenaires et bien sûr de nos collaborateurs. IBM est le deuxième employeur préféré des jeunes diplômés de la tech, nous souhaitons continuer à créer ce bien-être et à nous améliorer chaque jour un peu plus.
Les thématiques de travail vont de pair avec cette recherche de satisfaction : nous allons continuer à aider nos clients à transformer leur architecture multi-cloud, les assister sur leur adoption de l’IA et leur travail à faire sur la data en s’appuyant sur l’automatisation.
Nous préparons par ailleurs l’avenir, avec le développement quantique. Dans cinq ans, nous aurons déjà passé des caps importants en la matière. À la vitesse à laquelle les compétences deviennent obsolètes, c’est un effort extrêmement soutenu pour nous et qui justifie nos investissements massifs dans la R&D. Cette dynamique va de pair avec nos travaux de diversité et d’inclusion sur lesquels je m’engage au quotidien.
Comment l’entreprise intègre-t-elle des pratiques durables et responsables dans ses activités et son organisation ?
IBM a déclaré sa neutralité carbone à 2030. Nous travaillons cet objectif sur tous les fronts : les data center, le recyclage absolu, le design, le matériel. Je rappelle que nos premiers rapports sur l’environnement remontent à plus de 50 ans. IBM veille donc depuis longtemps à faire preuve de transparence sur ses efforts et sa responsabilité environnementale.
Les solutions technologiques sont par ailleurs d’une grande aide pour réduire l’empreinte environnementale, notamment avec l’IA générative que l’on a mis dans la solution Envizi ESG visant à mesurer les progrès des entreprises en la matière et qui permet aujourd’hui d’être beaucoup plus fiable dans ses communications sur le scope 3. La précision de ses données est un vecteur de confiance.
La dimension sociétale n’est bien sûr pas négligée par IBM France. Notre comex, tout d’abord, est à parité et ce depuis longtemps. Nous avons été la première entreprise française à signer un accord d’entreprise sur le handicap. Notre taux d’emploi de travailleurs handicapés est aujourd’hui de 7,7 %. Nous surveillons de près l’évolution de leurs compétences et leurs opportunités de carrière, nous mettons même en place du mentoring pour les accompagner dans leur développement.
Comment appréhendez-vous les changements à venir induits par l’adoption de l’IA Act ?
IBM a beaucoup participé aux travaux de l’IA Act. Il va bien sûr falloir être vigilants sur l’implémentation, mais nous sommes favorables à cette notion de stratification par type de risques.
Nous avons mené récemment une étude auprès des CEO européens, qui révèle que 57 % d’entre eux pensent que le cadre réglementaire va les encourager à augmenter leurs investissements dans l’IA générative. Et 81 % vont maintenir ou accélérer la vitesse à laquelle leur organisation va adopter l’IA générative. Les entreprises ont donc conscience des risques qu’elles encourent, notamment sur leurs données, face au développement de ces nouveautés technologies. C’est pourquoi nous travaillons avec nos clients pour les accompagner sur ces sujets et les rendre confiants pour la suite.