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ESG, les nouveaux enjeux pour le M&A

Selon une étude récente de PwC, 77 % des entreprises accordent désormais une attention particulière aux critères ESG (environnemental, social et de gouvernance) dans le cadre de leurs opérations M&A. Il y a deux ans, cette proportion était d’à peine 50 %. Aujourd’hui, les critères ESG peuvent s’avérer décisifs dans le processus de sélection des sociétés acquéreuses, pouvant aller jusqu’à bloquer ou faire baisser le prix d’une transaction ou contribuer à mieux valoriser une acquisition potentielle. Ils s’invitent dans toutes les étapes du processus de fusions-acquisitions : de la sélection de la cible, à l’intégration post-M&A en passant par les phases d’audit. Comment les enjeux ESG transforment-ils la stratégie M&A et la manière de l’exécuter ? Quels sont les nouvelles opportunités et défis pour les acteurs du M&A ? Comment tirer parti de cette transformation ?

État des lieux du marché

Gilles Bigot : La place de l’ESG dans les opérations de M&A est devenue primordiale. Les questions environnementales, sociales/sociétales et de gouvernance sont désormais parmi les premières à être scrutées, dès l’identification et l’approche de la cible. L’acquéreur doit, à l’intérieur de son portefeuille, une prise en compte et une démarche avancées en termes ESG. L’entreprise ciblée se doit d’être ESG compatible avec lui, soit en l’état, soit à l’issue d’un process de mise en conformité clairement convenu et défini. 

J’ai une forte expertise corporate et réglementaire dans le secteur de la santé. Il est intéressant de relever contre-intuitivement qu’il n’était pas si naturel que cela, jusqu’à relativement récemment, dans le monde des opérateurs de santé, de penser environnement, décarbonation, etc. Mais les comportements et mentalités sont en train de changer à une vitesse incroyable. Cette tendance est d’ailleurs perceptible dans tous les secteurs. C’est un phénomène global de réflexion et de prise de conscience sur les conséquences de la pollution humaine. Les dirigeants et actionnaires au sens large, en fait toutes les parties prenantes, s’interrogent sur la façon dont ils peuvent enrayer ce processus dramatique, que ce soit philosophiquement, économiquement, sociétalement, etc.

Carmen Briceno : La prise de conscience au niveau mondial des enjeux ESG est indéniable. Aujourd’hui, l’examen et l’évaluation de ces critères sont essentiels dans tout processus de croissance externe. En effet, les acteurs des deux côtés de la table des négociations ont saisi l’importance de ces facteurs pour la réussite ou l’échec d’une transaction. La pression provient non seulement des investisseurs et du public en général mais elle est également réglementaire. La France a joué un rôle moteur dans ce domaine avec la loi NRE de 2001, puis la loi Pacte, la loi Sapin II et la loi sur le devoir de vigilance. 

Erika Wolf : S’il y a une prise de conscience des entreprises, il ne faut en effet pas sous-estimer l’important levier de la réglementation et notamment de l’obligation de transparence sur la performance extra financière imposée par la CSRD qui vient d’entrer en vigueur et qui se décline en cascade auprès des acteurs de taille moyenne, des entreprises familiales, des fournisseurs des grands donneurs d’ordre… Le levier réglementaire est également fort pour les fonds d’investissement, s’agissant de la contribution (ou non) de leur portefeuille aux objectifs de la taxonomie. 

Au-delà de la mise en conformité, les acteurs corporate peuvent y voir une opportunité business parce qu’une entreprise qui développe une démarche ESG structurée, va mieux maîtriser ses risques et améliorer la résilience de son business model. L’extra financier est ainsi une démarche servant aussi la performance financière, à condition de s’inscrire dans le moyen et long terme. Je pense par exemple à une entreprise du secteur de la chimie qui génère des polluants éternels, si elle n’anticipe pas les réglementations qui sont en train de s’accélérer sur le sujet, elle n’aura, à terme, plus de license to create et perdra une partie de son activité 

Charlotte Michon : Autre levier à ne pas sous-estimer : le regard des parties prenantes c’est-à-dire les investisseurs, les associations et les ONG qui vont scruter les impacts négatifs du comportement des entreprises par rapport à leurs objectifs affichés dans leur stratégie. Particulièrement d’un point de vue climatique et environnemental.

En revanche, s’agissant des objectifs sociaux et notamment des droits humains, même si on perçoit de plus en plus une volonté d’intégration des enjeux vigilance de la part des entreprises, force est tout de même de reconnaître qu’elles interviennent finalement surtout comme des pompiers pour éteindre un incendie qui se déclare dans une cible qu’elles sont sur le point d’acquérir. Cette dimension sociale doit être davantage anticipée pour prendre la décision de croissance externe en connaissance de cause. Ce n’est pas encore suffisamment le cas, sans doute parce que les outils ne sont pas adéquats, pour pouvoir mettre immédiatement en place des plans d’action et pour permettre d’élever les pratiques de la cible. 

Catherine Detalle : Dans une opération corporate, les acteurs ne s’intéressent pas toujours de la même façon au E, au S et au G. Je suis responsable du secteur consumer chez Eversheds Sutherland, où les problématiques ESG sont très importantes que ce soit en retail, en hôtellerie, en alimentaire et dans le luxe. Au niveau mondial, si certains acteurs prennent aujourd’hui conscience du S et du G, le E a longtemps été prioritaire dans l’analyse des engagements. Les aspects sociaux et de gouvernance restent parfois encore un peu flous. 

 

L’IMPACT DE L’ESG SUR LES VALORISATIONS DES CIBLES

Catherine Detalle : La façon dont les critères ESG ont un impact sur les valorisations des entreprises est encore assez variable. Lorsqu’un problème se pose sur un actif qui n’est pas purement compatible ESG, les questions réglementaires doivent être anticipées et elles vont impacter directement le business. Ce type de sujet peut ralentir l’opération d’acquisition, voire être deal breaker.

Gilles Bigot : Cette contrainte n’est tout de même pas unanimement partagée. Le tout est de bien faire prendre conscience qu’une telle contrainte à la base peut devenir une force, car on ne peut plus faire abstraction de la prise de conscience irrémédiable du patient, du consommateur final, de l’individu au sens large, sur la nécessité pour les entreprises d’être vertueuses et d’agir en vue de plus d’exemplarité et même d’en faire un atout concurrentiel défensif ou offensif. 

Erika Wolf : Je suis d’accord. Je crois que les entreprises perçoivent encore ces questions ESG comme une contrainte, mais quand elles s’en emparent, elles prennent conscience rapidement de l’intérêt du point de vue business (gestion des risques, accès aux financements et au marché, marque employeur…). Les méthodes de valorisation de cette performance extra financière doivent cependant encore être améliorées et surtout harmonisées. La double matérialité – analyse de la matérialité d’impact et de la matérialité financière – des enjeux durabilité pour l’entreprise exigée par la CSRD pourrait aider à développer, à terme, des pratiques  communes de valorisation.

Gilles Bigot : Aujourd’hui, dans une valorisation d’entreprise, ne pas avoir déterminé de critères ESG, ni entamé de mise en conformité, peut être considéré comme un certain handicap. Mais il ne s’agit pas encore d’un must have. Cela ne va plus tarder. 

Charlotte Michon : Ce n’est pas non plus encore une opportunité de différenciation.

Carmen Briceno : Il convient de rappeler que la compréhension de la notation ESG peut être complexe en raison de l’absence de standardisation des critères utilisés par les sociétés de notation. En effet, il existe une certaine hétérogénéité dans les pratiques. Par ailleurs, les études montrent qu’il est difficile de traduire la notation ESG en modélisation financière. L’entrée en vigueur de la directive CSRD en Europe était donc essentielle pour homogénéiser les pratiques et fournir des informations cohérentes, compréhensibles, comparables et auditées pour mieux évaluer la cible. 

Erika Wolf : Grâce au règlement européen encadrant les activités de notation extra financières, les agences de notation devront faire preuve de plus de transparence sur les éléments de pondération, les méthodes de calcul, l’utilisation ou non de l’analyse de la double matérialité…

Gilles Bigot : C’est essentiel pour ne pas engendrer de concurrence déloyale entre opérateurs, quel que soit leur secteur ou leur géographie d’implantation ou opérationnelle. 

Catherine Detalle : Dans les processus concurrentiels d’acquisition, face à un bel actif, certains critères seront, de fait, plus importants que d’autres. Bien sûr, chaque candidat à l’acquisition pose ses questions dans le cadre de la due-diligence ESG, mais chacun aura à analyser ce qu’il faut demander comme rectification avant le closing ou ce qui pourra être fait postérieurement. 

Gilles Bigot : On a vu des VDD commencer et s’arrêter le temps de se mettre en conformité, pour ensuite reprendre. Les processus d’acquisition sont souvent l’occasion de progresser et de se mettre au bon niveau de conformité, d’engager les actions qui plus tard paieront ou protégeront. 

Erika Wolf : Je ne crois pas qu’il soit opportun d’appréhender l’ESG comme un simple exercice de conformité ou de reporting. Les due diligences ESG s’organisaient jusqu’ici autour d’un template qui consistait surtout à cocher toutes les cases de l’ESG quels que soient la taille, le secteur de l’entreprise. Aujourd’hui, notamment au regard du prisme de la double matérialité, des sujets business et de résilience associés, la durabilité de l’entreprise doit s’apprécier au regard de sa chaîne de valeur, de ses produits, de ses implantations et enjeux sectoriels. Une analyse au cas par cas a donc non seulement le mérite d’identifier les limites du business model et des enjeux économiques associés, mais aussi d’identifier les sujets durabilité à traiter en priorité pour justement renforcer le business model et le rendre plus durable dans tous les sens du terme. Des éléments sur lesquels les fonds doivent pouvoir s’appuyer pour encourager les entreprises de leur portefeuille à améliorer leur performance extra financière. Une dynamique qui s’aligne tout à fait avec les intérêts des fonds en améliorant la valorisation de leurs actifs : c’est une des raisons pour lesquelles les fonds font progressivement appel à des experts externes pour réaliser les due-diligences ESG.

L’IMPACT DE CES ENJEUX SUR LE PROCESSUS M&A

Catherine Detalle : Il y a quatre phases dans une opération de M&A. Pour l’acquéreur, il s’agira d’abord de sélectionner la cible et de préparer les bonnes questions sur son business durant les due-diligences et les cessions de Q&A. Pour le vendeur, il faudra préparer la cible et s’assurer qu’elle sera capable de répondre aux questions stratégiques sur la conformité. Certains sujets étaient d’ailleurs couverts auparavant, je pense par exemple à ceux sur l’anticorruption, au risque environnemental, aux codes de conduite… Aujourd’hui, les éléments d’analyse sont plus étoffés avec une prise en compte par exemple des conditions de travail, des droits de l’homme, de la parité…

Dans une deuxième phase, celle de la rédaction des contrats, certaines clauses spécifiques voient le jour dans les déclarations et garanties (representations & warranties). 

Enfin, il y aura des contraintes plus ou moins importantes au moment de l’intégration post-closing en fonction des objectifs du groupe dans lequel s’insère la cible.

Gilles Bigot : Certaines hypothèses peuvent aller jusqu’à déclencher un complément de prix. Il est de plus en plus fréquent qu’un plan d’incitation soit négocié, mis en place, amenant les dirigeants et actionnaires à implémenter les mesures nécessaires pour atteindre les seuils de performance attendus.

Carmen Briceno : Dans la première étape, celle de l’évaluation de la cible, nous constatons que la pratique du screening ou du filtrage de l’investissement est intégrée dans la démarche. Nous observons également une analyse plus approfondie des critères d’éligibilité et d’alignement en intégrant les principes de ne pas causer de préjudice significatif (do no significant harm) et de garanties minimales (minimum safeguards) issus des textes européens. Dans le processus de due-diligence, il me semble ensuite primordial de décliner les risques identifiés en garanties qui seront exigées du vendeur lors de la contractualisation.

Charlotte Michon : Il convient d’arriver à qualifier le risque lié à la cible dans le cadre du périmètre du devoir de vigilance, c’est-à-dire s’agissant des droits humains et de l’environnement, ce qui rejoint les minimum safeguards et le do not significant harm. Par rapport aux objectifs qu’elles se sont fixés et leur propre cartographie des risques, les entreprises vont donc répliquer et matérialiser quels risques l’acquéreur leur fera courir, du fait de son activité et de ses relations commerciales. C’est d’ailleurs nouveau d’appréhender le risque par rapport aux fournisseurs et aux relations commerciales sur des enjeux liés à la RSE. Il convient donc de répliquer ce périmètre de vigilance pour évaluer les risques existants et potentiels, mais aussi la capacité de l’entreprise à gérer les incidents et à mettre en place les politiques de droits humains adaptées. Ce sont des questions qui se développent dans les due-diligences menées par les grandes entreprises ou lors d’une présence de la cible dans des pays à risque. Ce n’est pas encore systématisé dans toutes les acquisitions. 

Catherine Detalle : Dans les opérations cross-borders, la question se pose en effet. Mais je rappelle que tous les pays européens ne transposent pas les directives de la même façon. Et au niveau international, certaines juridictions n’ont pas du tout le même niveau d’exigences que nous. Les acquéreurs potentiels en sont très conscients et ce sont des sujets abordés au moment des Q&A et on peut demander à des cibles de mettre en place des procédures de conformité adaptées avant la réalisation de l’opération d’acquisition.

Charlotte Michon : Dans certaines régions où les droits humains sont sensibles, la question est rapidement abordée et est prise en compte dans le dialogue. Je ne suis néanmoins pas certaine qu’elle empêche un investissement ou soit deal breaker. En tout cas, pas pour l’instant. 

Carmen Briceno : Une difficulté en matière de droits humains dans la cible peut impacter la réputation de la société acquéreuse. Les risques de contentieux et financiers qui en découlent ne doivent pas être négligés non plus. Elle doit donc être sérieusement traitée et anticipée lors du processus d’acquisition.

Erika Wolf : Je ne suis pas sûre non plus que ce soit un véritable deal breaker. Ce peut être surtout l’opportunité de mettre en place un cadre pour limiter des incidences négatives qui n’avaient jamais été maîtrisées, ni anticipées. En corrigeant ces pratiques, l’entreprise réduira ses risques notamment de contentieux ou encore réputationnels.

Gilles Bigot : Je suis totalement d’accord avec vous. La documentation contractuelle peut prévoir des process pour que l’acquéreur démontre qu’il a pris en compte les difficultés et qu’il va mettre en œuvre les moyens pour les régler. On peut parler d’une forme d’auto-obligation de faire.

Catherine Detalle : Il est bien entendu plus adapté de discloser le problème tout de suite, plutôt que d’attendre que l’acquéreur le découvre dans le cadre de la due-diligence. Ce genre de situation peut arriver à n’importe quel groupe, mais l’entreprise doit démontrer qu’elle a mis en place des procédures en interne pour les corriger. Je rappelle qu’il y a un risque de responsabilité pour l’acquéreur post-intégration. 

Carmen Briceno :  Nous observons une accélération de la judiciarisation des enjeux liés à la RSE, qui constitue une préoccupation majeure pour les entreprises. Le cadre normatif européen évolue et se renforce pour lutter plus efficacement contre les infractions environnementales. En France, la création récente d’une chambre à la cour d’appel de Paris dédiée aux contentieux émergents en matière de devoir de vigilance et de responsabilité écologique, ainsi que des procédures spécialisées telles que la Convention judiciaire d’intérêt public environnemental (CJIPE) témoignent de cette évolution. La responsabilité civile et pénale de l’entreprise dans le cadre des opérations de croissance externe constitue donc un enjeu de taille.

Charlotte Michon : Tout dépendra de l’intensité de la controverse et de la systématicité des pratiques. Il faudra surtout évaluer la réaction de l’entreprise cible, si elle a compris l’importance du problème et mis en place des actions correctives rapidement, si elle a cherché à les cacher, si elle s’est défaussée sur d’autres acteurs. C’est la transparence qu’elle aura qui conditionnera l’avenir des négociations. 

Erika Wolf : Si elle se projette sur une sortie, ou une revente, c’est justement son attitude et sa réaction qui seront valorisées. Il y a donc derrière des intérêts économiques et financiers.

Gilles Bigot : Force est de constater que de manière générale, voire caricaturale, les nouvelles générations d’investisseurs financiers et d’entrepreneurs sont tout de même beaucoup plus sensibles à ces sujets que les précédentes.

Catherine Detalle : Dans le secteur du retail, je note cependant des contradictions entre l’affichage des ambitions de cette nouvelle génération et certains comportements, comme l’engouement pour le fast fashion. Le consommateur veut de la transparence sur la chaîne d’approvisionnement et donc les due-diligences sont importantes sur ce point dans les opérations de M&A. 

Erika Wolf : Le problème est le même dans le secteur de la transition énergétique. Aujourd’hui, on oublie souvent qu’investir dans des projets de batteries par exemple ne se fait pas sans incidence sur d’autres dimensions de la durabilité. L’impact sur l’environnement n’y est pas négligeable, comme l’a rappelé une très récente controverse associée à un projet de Gigafactory au Canada. Ce n’est donc pas parce qu’un secteur s’affiche comme vert qu’il faut se passer de ces due diligences sur la performance extra financière des entreprises cibles. 

LES OPPORTUNITÉS POST-FUSION

Catherine Detalle : Après l’acquisition, la cible bénéficiera des procédures mises en place au sein du groupe. Dans le domaine du retail ou du food & beverage, les cibles qui avaient des modes de fonctionnement parfois assez artisanaux vont pouvoir bénéficier de procédures des grands groupes notamment s’agissant des remontées d’informations plus efficientes, des codes seront mis en place, etc. Les problématiques ESG sont souvent très bien gérées par les grands groupes qui se sont souvent fixés des objectifs ambitieux, sur un calendrier très court. 

Charlotte Michon : Il y a aussi un enjeu juridique important car la cible va bénéficier immédiatement du périmètre d’intégration et donc des procédures mises en place sur le reporting extra financier ainsi qu’en matière de devoir de vigilance. Il faut d’ailleurs l’avoir anticipé très tôt car la responsabilité du groupe est en jeu. 

Catherine Detalle : Si les actifs n’ont pas vocation à rester en portefeuille, c’est parfois un sujet au moment de la revente. Car parfois, les procédures internes n’ont pas eu le temps d’être mises en place. Et les problèmes qui ont été perçus au moment de l’acquisition de la cible se retrouveront au jour de sa cession.

Gilles Bigot : C’est d’ailleurs un sujet d’importance pour les fonds qui ont des durées d’investissement variables, allant de deux à sept ans. La conformité des pratiques doit être anticipée avant la revente car le candidat acquéreur suivant regardera ces points avec une grande vigilance. Aujourd’hui, les fonds travaillent leurs portefeuilles avec précision s’agissant des critères ESG notamment. Dans le secteur de la santé, de l’imagerie médicale au sens large, mais pas seulement, cela devient essentiel. Les enjeux de décarbonation, de traitement des déchets sont bien entendu au cœur des attentions. Dans un secteur économique vital, conséquent, en cours de consolidation, chaque build-up se doit d’être animé par une volonté ESG et cela est de nature à offrir aux cibles d’envisager de se fédérer autour de programmes de durabilité mis en place en partenariat et avec le soutien de l’acquéreur. Les fonds d’investissement doivent et peuvent jouer un rôle fédérateur dans ce mouvement de transparence et de durabilité.

Erika Wolf : Certains fonds se contentent de proposer à leur portefeuille un panel d’experts pour les accompagner dans leurs démarches ESG, qu’ils cofinancent parfois. D’autres interviennent plus directement et mettent à disposition des compétences internes au service de leur portfolio. Mais finalement, il me semble que leur travail consiste surtout à de la collecte de données ESG plutôt qu’à de l’expertise permettant d’améliorer en profondeur la durabilité du modèle d’affaires. Dans tous les cas, on constate une volonté montante de la part des fonds de travailler sur ces sujets, ce qui est plutôt positif.

Carmen Briceno : Les entreprises « vertes » sont souvent considérées comme plus innovantes et rentables. Elles se négocient en bourse à des prix supérieurs à la moyenne des sociétés « brunes » et l’écart de valorisation tend à se creuser. Certains fonds ont tendance à les privilégier, car cela peut créer de la valeur.

Gilles Bigot : Les fonds à impact n’investissent par exemple dans la santé que dans des projets à forte potentialité sociale ou environnementale, démontrable ou démontrée.

Les paramètres extra financiers sont assez facilement déterminables dans le monde économique de la santé.

Catherine Detalle : Certains acteurs américains sont d’ailleurs très courageux car il y a aujourd’hui une poignée d’États qui ont retiré leurs investissements dans des grands fonds à impact. Ces derniers ont malgré tout fait le choix de continuer leurs investissements ESG. Or, ce sont des acteurs financiers fondamentaux. L’année 2024, avec l’élection présidentielle américaine, va être décisive sur ces sujets.

Charlotte Michon : Nous voyons aussi apparaître des contentieux de la part des entreprises contre des fonds activistes qui proposent des résolutions sur leurs stratégies climatiques.

Carmen Briceno : Je rappelle tout de même que le M&A peut aussi représenter une opportunité pour l’acquéreur de cibler des entreprises qui ont déjà intégré les critères ESG dans leur stratégie, de manière à accélérer sa propre performance extra financière. 

Charlotte Michon : Certaines pratiques peuvent en effet être plus développées par une cible, qui seront intéressantes pour l’acquéreur et au cœur de ses intentions de développement. 

LA DIRECTIVE CSRD, UN CHANGEMENT
DE PARADIGME ?

Erika Wolf : Le périmètre des entreprises soumises à une obligation de reporting extra-financier devrait être multiplié par cinq en Europe. C’est tout de même un important changement ! Ces rapports devront être audités par un organisme tiers indépendant, au même titre que l’information financière, avec des degrés d’assurance progressifs. En termes de qualité et de traçabilité de la donnée ESG, l’enjeu est significatif et même central. Mais la CSRD, au-delà du reporting, amène l’entreprise à évaluer la résilience de son modèle économique, ses impacts, ses risques mais aussi les opportunités liées notamment à la transition. Cet exercice de la double matérialité permet certes de détourer le périmètre de reporting, mais c’est avant tout une méthodologie commune qui permet de prioriser les enjeux de durabilité et de les intégrer pleinement dans la stratégie de l’entreprise.

Charlotte Michon : Les enjeux matériels et les objectifs en particulier climatiques que l’entreprise aura définis devront orienter sa stratégie M&A.Pour ce faire, il est nécessaire de former l’ensemble des acteurs aux enjeux RSE, à commencer par les dirigeants et les business developpers.

Erika Wolf : Pour le moment, en pratique, l’exercice est douloureux car le texte de la directive est très technique. Mais il a le mérite de poser un cadre qui a du sens et qui permet d’éviter que les entreprises communiquent sur ce qu’elles veulent en passant potentiellement à côté d’enjeux majeurs. Désormais elles doivent détailler leurs engagements sur les enjeux durabilité identifiés comme matériels, expliquer dans quelle mesure elles ont collaboré avec leurs parties prenantes pour identifier leurs impacts et fait évoluer leur gouvernance pour les adresser. Si elles n’ont rien fait, elles devront aussi le dire ! Enfin, la CSRD impose de démontrer une trajectoire d’action avec des objectifs à court moyen et long terme, en étant transparent sur les avancées. Cette nouvelle réglementation fixe donc un nouveau point de départ.

Charlotte Michon : La CSRD est pour l’instant perçue comme une charge administrative supplémentaire. Même pour les grandes entreprises qui font, finalement, la même chose qu’avant mais en mettant peut être plus les formes. Elle n’est malheureusement pas vue comme un instrument de pilotage stratégique pour les grands groupes, alors même qu’elle leur demande de s’interroger sur leurs activités, leurs partenaires, leur influence et donc leur stratégie de durabilité à long terme.

Carmen Briceno : Je pense qu’elle pourrait le devenir, en particulier pour les entreprises de taille intermédiaire qui seront obligées de se former et de remettre en question leur modèle d’affaires et leur stratégie. L’approche est transverse. L’attention portée aux critères ESG pourrait conduire à une amélioration de la performance opérationnelle grâce à une utilisation plus efficace des ressources et à une réduction des coûts.

Erika Wolf : J’ai récemment travaillé avec des ETI qui sont soumises à ce texte. Il faut reconnaître que la CSRD fournit des éléments d’assurance aux entreprises qui n’ont jamais engagé une démarche ESG en définissant une méthode validée permettant d’identifier les sujets de performance extra financière à traiter. Je pense surtout qu’il faut être pragmatique et humble face au travail attendu : au-delà des dispositions transitoires permettant d’étaler certaines exigences de transparence dans le temps, les entreprises ne seront pas parfaites tout de suite, dans tous les cas.

Des arbitrages et partis pris seront à faire et ils devront être faits en toute transparence. Il convient donc de prendre du recul face à cette technicité qui draine un grand nombre de consultants qui promettent tous monts et merveilles alors que nous sommes tous logés à la même enseigne avec des pratiques à affiner et des zones de flou. Avoir une approche rigoureuse mais opérationnelle en appréciant le niveau stratégique de l’exercice et ses impacts business sera déjà un très bon début.

S’agissant de la réaction des grands groupes, ils commencent malgré tout à adopter ces nouvelles méthodes, même s’ils s’en plaignent. Il est vrai cependant que pour ceux qui prennent le sujet plus à la légère, notamment concernant la réalisation de l’analyse de double matérialité, tant qu’ils ne seront pas rappelés à l’ordre par des sanctions ou des alertes de leurs commissaires aux comptes/organisme tiers indépendant, il n’y aura sûrement pas de véritable changement.

Catherine Detalle : Je suis d’accord. Ce panel de réglementations françaises et européennes va dans le bon sens, mais on ne connaît toujours pas les sanctions encourues. 

Charlotte Michon : Le flou perdure également sur la responsabilité encourue par les dirigeants.

Catherine Detalle : Les entreprises européennes sont soumises à des textes de plus en plus contraignants, or elles sont en concurrence avec des groupes étrangers qui n’ont pas les mêmes exigences. 

Carmen Briceno : Cette concurrence existe bel et bien, mais je pense que cette contrainte qui pèse sur les entreprises européennes va dans le bon sens. L’approche volontariste commence à devenir réglementaire au niveau mondial. Un bon exemple à citer est celui des Bourses de Shanghai, Shenzhen et Pékin qui ont édité des lignes directrices pour la publication du reporting extra financier des sociétés chinoises cotées. Le principal enjeu à surveiller reste, à mon avis, l’approche européenne de double matérialité par rapport à l’approche américaine qui ne prend en compte que la matérialité financière. Il faudra continuer à plaider pour une standardisation afin d’éviter aux entreprises internationales des doubles reportings et des écarts de concurrence.

Gilles Bigot : On peut voir à mon sens la CSRD comme une véritable opportunité pour construire une stratégie environnementale à forte valeur ajoutée, y compris en termes de monétarisation et de pérennisation. À condition que cela ne devienne pas, sur le plan international, un poids pesant sur la compétitivité, par et à cause d’un corpus légal et réglementaire discriminant les entreprises qui joueront le jeu pleinement. L’UE se doit donc d’être forte avec les acteurs qui veulent agir sur son marché. Et pas seulement sur ses seuls opérateurs. 

Erika Wolf : Il ne faut pas oublier que la CSRD va s’appliquer, à terme, à des filiales de groupes étrangers qui opèrent en Europe. L’idée est justement d’éviter des biais de concurrence. Quoi qu’il en soit, c’est un changement de paradigme qui représente une belle avancée pour l’Europe.

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