Cette décennie va être bien différente de la précédente pour les entreprises françaises, car une ETI sur deux va se trouver dans une situation de transmission. C’est la fin d’activité de la génération du baby-boom, puisqu’un dirigeant d’ETI sur quatre est âgé de plus de 60 ans. Or une étude récente publiée par le METI et KPMG a démontré que seulement une ETI française sur cinq fait l’objet d’une transmission familiale réussie (contre une sur deux en Allemagne et deux sur trois en Italie). La France est pourtant dotée d’un instrument fiscal assez performant, le pacte Dutreil. Quelles sont les difficultés à anticiper pour transmettre son entreprise ? Quels sont les risques ? Comment trouver un repreneur si la voie familiale n’est pas ouverte ?
ÉTAT DES LIEUX
DU MARCHÉ
Olivier Rietmann : Je suis sénateur de la Haute-Saône et membre de la Délégation aux entreprises (DAE). En 2022, son président m’a confié, avec deux autres sénateurs, un rapport sur la transmission d’entreprise. L’objectif était de dresser un état des lieux du marché et d’analyser son évolution depuis le précédent rapport de la DAE en 2017. La France a beaucoup de retard en matière de transmission d’entreprise, par rapport à l’Allemagne, bien sûr, mais aussi à l’Italie. Nos TPE, PME et ETI représentent un savoir-faire, une compétitivité importante pour le pays. Au moment de leur transmission, un certain nombre d’entre elles disparaissent ou sont rachetées par des étrangers avec une perte des savoir-faire et des capitaux. La transmission est également un moyen de faire passer une PME au stade d’ETI, qui sont plus solides et ont plus de facilités à l’exportation.
Notre rapport a révélé une diminution du nombre de cessions ces dernières années (-19 % entre 2010 et 2019 et -16 % entre 2020 et 2021). Aujourd’hui 25 % des chefs d’entreprise sont âgés de plus de 60 ans, 10 % ont plus de 66 ans, ce qui permet d’estimer le nombre d’entreprises à transmettre entre 500 000 et 700 000 dans les 10 ans à venir. Il y a donc matière à accompagner ces opérations.
En 2017, nous avions alerté l’État sur l’absence de suivi de la transmission d’entreprise en France. Cinq ans après, rien n’a changé alors qu’on arrive dans une période importante : celle de la transition des dirigeants de la génération du baby-boom. L’étude la plus fiable demeure celle de l’Observatoire de BPCE.
J’ajoute que les services étatiques communiquent énormément sur la création d’entreprise, mais elle est bien plus compliquée et aléatoire que la transmission. La France est dotée de pépites, fondées par des hommes et des femmes qui sont en capacité de transmettre et d’accompagner.
Stéphane de Lassus : L’État met l’accent sur la « start-up nation » et accompagne ainsi, avec succès, la création d’entreprise, mais il a abandonné le soutien à la transmission, persuadé que le cadre fiscal du pacte Dutreil en place n’est pas trop mauvais et qu’il suffit seul à encourager les opérations de transmission d’entreprise. Pourtant, celle-ci doit être soutenue, et bien plus que ce qui est fait actuellement.
Marc Sabaté : Je rejoins vos propos sur l’absence d’open data en matière de transmission d’entreprise en France. Seuls les services d’impôts connaissent les opérations à travers l’obligation pour les entreprises de déposer des CERFA sur la cession de droits. Mais cette donnée n’est ni consolidée au niveau national, ni diffusée. Or elle manque cruellement non seulement aux conseils, mais aussi aux acteurs publics qui doivent se poser les bonnes questions sur le suivi de la transmission d’entreprise.
La présentation des statistiques d’entreprises en France par l’Observatoire BPCE est très globale puisque le volume d’entreprises de moins de cinq salariés est bien plus important que dans d’autres pays comme l’Allemagne. La masse des TPE françaises cache des situations assez différenciées. Dans ce cadre, In Extenso Finance analyse l’organisation du marché de la transmission d’entreprise sur le segment des PME et ETI (à partir de cinq salariés et d’1 M€ de valorisation). Nos statistiques révèlent un marché de transactions en croissance jusqu’en 2022, avec bien sûr un petit creux conjoncturel en 2020. Le moteur de transmission dans cette classe d’entreprises – PME et ETI – n’est pas forcément l’âge du dirigeant, mais face à un marché de plus en plus financiarisé, c’est surtout l’opportunité des opérations de LBO. Je rappelle que l’économie française du private equity est l’une des premières en Europe.
Dominique Restino : J’ajoute que 97 % des entreprises françaises ont moins de 20 salariés. La valorisation et les retours sur investissement sont peu importants sur cette typologie de dossiers et les équipes de conseils M&A ne peuvent accompagner ces projets de manière rentable. Les CCI sont donc dans leur mission d’intérêt général car si nous ne menons pas notre travail auprès de ces entreprises, une grande partie d’entre elles s’arrêteront, avec pour conséquence une perte de savoir-faire, de business, d’emploi et de lien social.
Olivier Schiller : Les ETI représentent 25 % des emplois salariés en France et 33 % des emplois industriels. Elles sont au nombre de 5 400 en France. L’Allemagne en compte 12 000, l’Italie 10 000 et l’Angleterre 9 000. Ce niveau très bas est l’une des causes de la désindustrialisation de notre pays. Il existe des régions entières qui sont aujourd’hui dépourvues d’activité économique, donc de services publics, ce qui engendre des situations dramatiques. Le président de la République, en janvier 2020, a annoncé la stratégie Nation ETI avec pour objectif d’augmenter le nombre d’ETI en France.
La situation est d’autant plus regrettable qu’en 1980, la France comptait autant d’ETI qu’en Allemagne, c’est-à-dire 5 000. Le doublement des droits de succession en 1981 de 20 % à 40 % a entraîné la vente de beaucoup d’ETI, jusqu’à la mise en œuvre du Pacte Dutreil. Cet enjeu de la transmission est aujourd’hui essentiel. Il n’y a pas de politique publique de la transmission et on ne dispose même pas d’indicateur de suivi des transmissions. Le METI a récemment obtenu qu’un indicateur de suivi des taxes de production soit intégré au projet de loi de finances. Il faudrait, de la même façon, qu’il existe un indicateur du suivi de la transmission pour mettre en œuvre une politique adaptée.
Dominique Restino : L’Insee recense les créations d’entreprise, mais malheureusement pas les changements d’actionnaires. Ceci ne favorise pas une bonne visibilité du marché de la reprise.
Marc Sabaté : C’est parce qu’ils n’ont pas accès à la donnée. Même les greffes n’y ont pas accès de façon complète. Rien n’est précisé sur le point de savoir s’il s’agit d’une transmission minoritaire ou majoritaire, d’une transmission d’actifs ou de parts sociales, interne ou externe… La réalité des opérations est diverse et c’est ce qui fait la complexité et la nécessité des conseils avec ce rôle d’intermédiaires, qu’ils soient publics ou privés.
Dominique Restino : Dans les pays comme l’Italie, une partie de l’Allemagne et le Québec, la transmission est environ à 60 % familiale. En France, la statistique n’est que de 10 %. Il y a un enjeu véritable et surtout culturel : en France, nous ne souhaitons pas que nos enfants fassent le même métier, très difficile, que nous avons exercé.
Marc Sabaté : Les statistiques françaises de la transmission familiale ont d’ailleurs été divisées par deux en l’espace de 30 à 40 ans. C’est effectivement culturel.
Olivier Schiller : Je constitue l’exemple inverse de ces statistiques ! Je représente la troisième génération familiale de dirigeant de Septodont. J’ai d’ailleurs déjà transmis l’entreprise à mes enfants, à travers un pacte Dutreil. Nous avons deux usines (à Saint-Maur-des-Fossés et dans le Tarn) et il est évident que si l’entreprise était vendue à un groupe étranger, la probabilité que la production reste en France serait faible. Le fait de favoriser cette transmission intra-familiale permet aussi de sécuriser cet investissement dans les territoires. Septodont lance d’ailleurs une chaire sur les entreprises familiales et leur performance, avec l’université Paris Dauphine et le soutien d’autres groupes (Sisley, Thuasne, BNP Paribas et bien d’autres). Elle devrait permettre de récolter de la data sur la performance financière et extra-financière des entreprises familiales, et sur ce qu’elles apportent aux économies locales.
ANTICIPER
LA TRANSMISSION
DE LA DIRECTION
DE L’ENTREPRISE
Olivier Schiller : Il faut distinguer la transmission actionnariale de celle de la direction de l’entreprise. Aujourd’hui mes enfants sont intéressés par Septodont, nous avons d’ailleurs régulièrement des réunions de conseil d’administration. Mais j’ai aujourd’hui 63 ans et une bonne politique consiste à organiser la suite. Personne au sein de la famille n’est à même de prendre des fonctions opérationnelles pour le moment, mais c’est sans importance puisque la direction peut être portée par une personne extérieure durant une période de transition. Cela n’empêche pas, grâce à un actionnariat familial soudé, de voir perdurer ces valeurs familiales de long terme.
La transmission de la direction doit être prévue très en amont de la retraite du dirigeant. Une étude menée par Bpifrance estimait l’âge idoine à 50 ou 55 ans.
Stéphane de Lassus : La préparation est fondamentale car c’est l’anticipation qui permet à la transmission de se passer au mieux, dans l’intérêt de l’entreprise et bien sûr du dirigeant. Dans les petites entreprises, il n’est pas rare de voir une sorte de déni du dirigeant qui est persuadé que sa société ne vaut rien, que ses enfants ne sont pas intéressés, qu’il a encore le temps de prévoir… C’est dans ces situations notamment qu’un accompagnement est nécessaire. Pourtant, bien souvent, l’expert-comptable n’est pas spécialiste de la transmission, ni le notaire de famille.
Dans les entreprises d’une taille supérieure, le chef d’entreprise n’a pas toujours été conseillé avec pédagogie et peut être obnubilé par une seule hypothèse : soit il a un enfant qu’il veut privilégier dans la reprise, soit il veut optimiser le coût fiscal au maximum, soit il veut faire un LBO pour maximiser ses gains financiers… Il faut du temps pour prévoir et imaginer plusieurs options. La préparation en amont, via des conseils et des organismes professionnels, est essentielle. Car le pire est de vendre dans la catastrophe, quand survient un pépin de santé ou face à un retournement de marché.
Marc Sabaté : Plus l’entreprise est petite, plus le dirigeant est clé et sa disparition pose un vrai sujet, y compris en termes de valeur pour l’entreprise. C’est pourquoi les pouvoirs publics doivent continuer à pousser à la consolidation des marchés. Dans une ETI, l’importance de l’homme clé est plus diffuse. La valeur repose sur une organisation, une marque, des équipes… Il se crée ainsi une vraie différence entre le pouvoir patrimonial et le pouvoir managérial.
Il me semble compliqué que les pouvoirs publics imposent un diagnostic aux chefs d’entreprises privées. Ils doivent se prendre en main eux-mêmes. Bien sûr, les CCI sont présentes pour proposer des diagnostics d’accompagnement et des solutions, mais il faut que le dirigeant en ait conscience.
Pierre-Olivier Bernard : Il n’y a pas de bon âge pour vendre. C’est surtout une question de projet. Dans certains cas, l’entreprise constitue la vie du dirigeant et il pense qu’il est irremplaçable. La notion d’homme clé est finalement assez psychologique : si l’on cherche son clone, on ne risque pas de transmettre son entreprise ! Mais de plus en plus de dirigeants d’aujourd’hui fondent des entreprises pour les revendre, cinq ou dix ans plus tard, pour ensuite réinvestir dans un nouveau projet.
Ceux qui anticipent sont souvent ceux qui ont conscience que la transmission d’entreprise est d’abord une transmission de la gouvernance. Il faut donc d’abord trouver la bonne personne pour accompagner le projet d’entreprise. En travaillant la gouvernance, en s’assurant que les équipes managériales sont en place, on valorise l’actif.
Dominique Restino : Certains dirigeants vendent aujourd’hui quand ils sont encore jeunes. J’ai vendu ma première entreprise à 45 ans. C’était une vraie pépite, qui réalisait 45 M€ de CA, et je l’ai vendue de gré à gré, dans mon marché. Les chefs d’entreprise sont dans une logique plus opportuniste dorénavant. La crise liée au Covid pousse certains à se désengager plus tôt que prévu ce qui favorise également les opérations de rachat entre sociétés dans une logique de croissance externe.
Pierre-Olivier Bernard : La culture française n’intègre pas que l’entreprise est un actif à part, différent du patrimoine personnel du dirigeant. Dès que les pouvoirs publics entament une réforme de la transmission, à travers le pacte Dutreil notamment, le public pense que l’on va faire un cadeau au chef d’entreprise qui, dans l’imaginaire collectif national, est une personne riche. Le droit français prévoit l’universalité du patrimoine, ce qui pose de nombreux problèmes. Tant que l’on n’intègre pas que l’entreprise est un actif différent du reste du patrimoine, je ne vois pas comment traiter la transmission. Le pacte Dutreil fonctionne très bien pour une transmission au sein de la famille, mais lorsqu’il s’agit de céder en dehors ou aux salariés, s’ajoutent les problématiques de réserve héréditaire qui peuvent être bloquantes. Le cadre juridique de détention et donc de transmission de l’entreprise pose difficultés.
LE PACTE DUTREIL, ÉLÉMENT IMPORTANT DE LA TRANSMISSION
Olivier Rietmann : La première audition de notre mission a été réalisée en janvier 2022. Nous avons immédiatement abordé la question du pacte Dutreil, puisqu’en décembre 2021, le Conseil d’analyse économique (CAE) avait lancé une forte attaque à son encontre. Nous nous sommes alors interrogés s’il convenait d’augmenter les capacités de transmission par de nouveaux avantages fiscaux et un recul de l’âge du dirigeant, ou s’il fallait stabiliser et aller vers une forme de sanctuarisation du pacte Dutreil. Nous avons finalement opté pour la seconde solution et avons affirmé la nécessité de sanctuariser le dispositif fiscal Dutreil pour en faire un pan indispensable à la transmission de l’entreprise, notamment familiale, mais aussi pour sécuriser l’investissement des repreneurs qui ont besoin de stabilité dans la durée. Il n’y a rien de pire pour un chef d’entreprise que les changements incessants législatifs ou réglementaires, qui remettent en cause les décisions prises deux ou trois ans auparavant.
Les trois sénateurs de notre mission se sont tournés vers leurs DGFiP respectives pour connaître le nombre de pactes Dutreil signés ces dernières années dans leurs circonscriptions. Ils étaient incapables de nous répondre. Nous avons alors demandé aux services de Bercy. La réponse était plutôt vague : il servirait à quelques familles pour des transmissions de grandes entreprises. Quelle image !
Nous avons donc clairement senti le besoin de renforcer ce dispositif pour que Dutreil soit considéré comme un élément important de la transmission d’entreprise, de la TPE à l’ETI, et pas seulement pour les grandes entreprises.
Stéphane de Lassus : La DGFIP a longtemps regardé ce dispositif comme une tolérance et les contrôles étaient quasi-systématiques et extrêmement pointilleux. Mais depuis quelques années, je perçois un peu plus de sécurité puisque le régime est mieux accepté et connu. Au niveau national, voire régional, il est même possible d’obtenir des rescrits de principe. Le rescrit sur la valeur de l’entreprise existe aussi mais il prend toujours beaucoup de temps à obtenir car il nécessite au moins six mois. Mais lorsqu’on a un doute, c’est un délai finalement envisageable. Je tiens à saluer la qualité d’écoute et le sérieux des agents, que ce soit au niveau régional ou à Bercy. Je note cependant que le rescrit reste une procédure centralisée et coûteuse en conseils, qu’il s’agisse du rescrit sur la holding animatrice, celui sur le respect du Dutreil, celui sur la valeur… Il me semblerait pertinent que chaque département soit doté d’un Agent référent de la DGFiP spécialisé dans la transmission d’entreprise, qui puisse vérifier les schémas proposés pour soit les valider, soit les transmettre à l’échelon supérieur pour contrôle.
Marc Sabaté : Dans chaque département, il existe en effet un référent association, mais pas de référent transmission. Un tel agent permettrait aux conseils financiers, notaires, avocats et, bien sûr, aux chefs d’entreprise d’avoir un correspondant unique.
Olivier Rietmann : Ce sont trois des recommandations, parmi les 11, que nous avons faites dans notre rapport. D’abord de clarifier et de sécuriser le principe de la holding animatrice, car il existe énormément de contrôles à partir d’une évaluation parfois bancale. Le rescrit permet de valider les montages et de ne pas vivre avec une épée de Damoclès. Il faudrait aussi, au niveau national, une politique identique sur la manière de considérer les holdings et leur transmission, mais également, au niveau régional ou départemental, un interlocuteur unique sur la transmission.
Dominique Restino : Il faut donner un cadre clair national à cette action pour ne pas laisser la possibilité à une personne, dans une région ou un département, de faire à sa guise. Le pacte Dutreil doit être sanctuarisé, je partage votre opinion. Mais ses dispositions sont assez techniques et le cédant doit être accompagné dans son projet de vie. La transmission de son entreprise doit être un acte normal de la vie sociale, l’entreprise ne s’arrête pas à la retraite du dirigeant.
Olivier Schiller : Il n’en reste pas moins que le coût de la transmission en France reste supérieur à ce qui existe dans nos pays voisins. En Allemagne, elle est gratuite. En France, payer une transmission coûte entre trois et huit ans de bénéfices à l’entreprise. Elle devra donc distribuer l’intégralité de ses profits qui seront taxés et dont le solde permettra de payer les droits. Pendant cette période, l’entreprise ne disposera pas de liquidités pour investir dans son outil industriel, pour se digitaliser, pour se projeter à l’international. Le METI préconise donc de créer un pacte très long terme en plus du dispositif Dutreil actuel, avec une durée de détention des titres plus longue, et un abattement de 90 %. La France se rapprocherait ainsi de la moyenne européenne et augmenterait le nombre d’entreprises transmises.
Olivier Rietmann : Dans tous les cas, l’anticipation est fondamentale. L’âge auquel la transmission est réalisée joue sur les abattements possibles et par conséquent sur le montant des droits de mutation restants. En transmettant par Dutreil suffisamment tôt, il reste des droits de mutation à payer, mais sur lesquels les abattements peuvent être importants. Une transmission réalisée avant 70 ans permet d’avoir 90 % des droits exonérés. Je crois que nous ne sommes donc pas loin de ce qui existe chez nos voisins.
Il faut donc y penser très sérieusement et dès l’âge de 55 ans. La mission a notamment proposé l’instauration d’un chèque-conseil pour la transmission aux dirigeants ayant entre 55 et 65 ans. Il permettrait de psychologiquement attirer l’attention du chef d’entreprise, peu importe le montant. Il serait un moyen de financer et de réaliser une étude de transmission, et surtout de dédramatiser cette étape. Une transmission d’entreprise n’est pas qu’une affaire financière, c’est le projet de toute une vie.
À QUI
CEDER ?
Pierre-Olivier Bernard : Dès la création de l’entreprise, il convient de conscientiser l’étape de transmission. C’est un enjeu de pérennité, au-delà du fondateur. Et parfois, il s’agit de transmettre à ses salariés. De nombreux mécanismes de cession ont été mis en place à cet effet. J’attire néanmoins l’attention sur l’impossibilité de donner son bien à un salarié car se pose alors la problématique de la réserve héréditaire.
Dominique Restino : La loi Hamon ne s’est pas avérée être adaptée aux problématiques de transmission d’entreprise. Divulguer ses projets de cession trop tôt n’a que pour effet d’inquiéter les salariés, les partenaires, etc. Les chefs d’entreprise doivent savoir qu’ils peuvent débuter leur processus de transmission dans la confidentialité, c’est-à-dire avec des tiers de confiance comme les CCI qui accompagnent et aident à se préparer au mieux… Je soutiens à 100 % cette idée d’un chèque-conseil pour sensibiliser les éventuels cédants. Nous organisons, avec l’aide de tous les acteurs de la transmission, un grand événement en Île-de-France, baptisé Transfair, durant lequel nous sensibilisons les dirigeants et leur permettons d’échanger entre eux sur ces sujets.
Pierre-Olivier Bernard : Parmi les acteurs de l’accompagnement, il faut citer le mentorat. Dans sa prise de décision quotidienne, les dirigeants se sentent souvent isolés. Ils le sont encore plus face à ces sujets de transmission. Finalement, ce sont avec leurs pairs qu’ils échangent le plus. L’exemplarité de quelqu’un passé par ce parcours peut aider. Le mentorat devrait être un outil mis en avant pour permettre de sortir de cette solitude.
Marc Sabaté : Les études démontrent que l’expert-comptable est la première personne à qui s’adresse le chef d’entreprise, mais cela reste une décision qui vient du chef d’entreprise. C’est toujours dans ce sens. Il y a sans doute un besoin d’investissement pour renverser cet ordre des choses. Ce chèque-conseil et toute la pédagogie dont nous parlions sont des éléments essentiels.
Le dirigeant de PME, à partir d’une certaine dimension, est globalement au courant des processus de cession ou de transmission. Le marché est liquide et structuré avec des conseils, des banques d’affaires, etc. Mais il convient d’analyser dans quelle mesure la fiscalité de ces opérations et leur accompagnement juridique permettent d’augmenter la fluidité et donc la consolidation des marchés. Il faut également voir dans quelle mesure elle donne des forces à nos entreprises françaises pour racheter des concurrents à l’étranger.
En revanche, le marché des plus petites entreprises n’a pas les mêmes règles de fonctionnement. Le chef d’entreprise s’intéresse peu au pacte Dutreil. Il existe d’autres conditions fiscales de transmission qui doivent, elles aussi, être sanctuarisées : les actions gratuites, les transmissions aux salariés… Lorsqu’il n’y a pas de succession par voie familiale possible, favorisons la reprise d’entreprise par leurs salariés qui ont le savoir-faire. La loi Hamon avait pour objectif, louable, de favoriser le transfert d’informations. Mais elle l’a fait de manière coercitive, ce qui ne peut pas fonctionner. Il faut proposer. C’est pourquoi je pense que la loi Hamon devrait être réformée pour prévoir un outil d’incitation et de formation des repreneurs.
Olivier Rietmann : Notre mission a proposé d’abroger le dispositif Hamon d’obligation d’information. La transmission aux salariés ne se décrète pas uniquement par un processus consistant à adouber l’un d’entre eux. Le chef d’entreprise peut en avoir repéré un depuis plusieurs années. Et bien sûr, certains salariés peuvent se mobiliser eux-mêmes et affirmer leur volonté de reprendre. C’est plus une question de rapports humains que de loi. Nous proposons donc d’abroger ce texte qui peut, parfois, mettre en péril l’entreprise car inquiéter les fournisseurs, les salariés, les banquiers, etc.
En contrepartie, nous souhaitons inciter les salariés à la transmission, à la fois par une amélioration de la fiscalité, mais aussi en apportant plus de garanties sur l’endettement du salarié qui reprend l’entreprise. On propose donc une forme de PGE dédié à la reprise d’entreprise, un prêt garanti notamment par Bpifrance.
Dominique Restino : Le repreneur n’est pas dans une situation facile car il faut entre 12 et 18 mois pour reprendre une entreprise. Pour une personne physique, c’est très long. Il a, en moyenne, entre 45 et 50 ans, il détient entre 150 000 et 300 000 € à investir, il cherche à acquérir une PME structurée. Sur le plan familial, à cette période de vie, Il doit gérer ses parents et ses enfants qui font des études. Il doit par conséquent se garantir un certain niveau de rémunération et rembourser son emprunt… Je crois qu’il faut donc pouvoir miser sur les repreneurs plus jeunes qui, eux, sont plus habitués, culturellement, à tenter l’aventure.
Marc Sabaté : C’est bien sûr une difficulté pour les repreneurs personnes physiques car le délai de recherche et d’acquisition a un coût important. Le marché est actuellement porté par les enjeux d’acquisition des sociétés et des industriels. Les ETI font de la croissance externe et ce sont elles qui soutiennent aujourd’hui le marché.
Olivier Rietmann : Quoi qu’il en soit, l’avenir de notre balance commerciale, du développement économique de notre pays et de nos territoires dépend de ce marché de la transmission d’entreprise.