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PME-ETI : le choc de simplification boursier

Guidés par l’objectif commun d’inciter les PME-ETI à se tourner vers les marchés de capitaux pour financer leur croissance, les législateurs européen et français viennent d’adopter une série de mesures visant à simplifier leur introduction en Bourse et la levée de financements en fonds propres. Annie Maudouit-Ridde, associée chez Winston & Strawn, et Vincent Le Sann, directeur général adjoint de Portzamparc, décryptent ces évolutions.

C’est dans le but d’améliorer l’accès des PME-ETI aux financements de marché que le Parlement européen a adopté, le 24 avril dernier, le « Listing Act package ». Quelles sont les principales mesures contenues dans ce texte, qui doit encore être entériné par le Conseil européen au cours des prochains mois ?

Annie Maudouit-Ridde : Il s’agit d’un texte majeur, puisqu’il vient non seulement modifier trois des principaux corpus qui régulent les marchés de capitaux au sein de l’Union européenne – en l’occurrence le règlement Prospectus, la directive MiFID 2 sur les instruments financiers et le règlement sur les abus de marché (MAR) –, mais aussi en introduire un nouveau consacré aux actions à droits de vote multiples. Afin de réduire les contraintes et les coûts afférents au processus de cotation des PME-ETI, puis aux levées de fonds subséquentes, le Listing Act apporte plusieurs assouplissements d’ordre documentaire. Même si plusieurs cas d’exemption existent déjà, cette catégorie d’entreprises doit actuellement, au moment de l’introduction en Bourse (IPO), publier à destination des investisseurs un « prospectus de croissance de l’UE ». Bien qu’allégé par rapport au prospectus que doivent établir les entreprises de plus grande taille, celui-ci reste néanmoins dense et long (environ 150 pages). À l’avenir, ce dernier sera remplacé par un « prospectus UE d’émission de croissance », au sein duquel le niveau d’informations à communiquer sera davantage proportionné à la taille de l’émetteur –
il s’inspire en cela du « prospectus de relance de l’UE », d’une trentaine de pages, qui avait été instauré durant la pandémie de coronavirus pour une période limitée. 

Une fois cotées, les PME-ETI bénéficieront ensuite de règles assouplies en cas d’opérations, comme la possibilité d’émettre de nouvelles actions sans publication d’un prospectus dès lors que le nombre d’actions ne dépasse pas, sur une période de douze mois glissants, 30 % du capital existant. Ce seuil est aujourd’hui fixé à 20 %. D’autres révisions favorables aux entreprises sont prévues, notamment en cas d’offres au public dont la durée minimale passe de 6 à 3 jours de bourse.

Vincent Le Sann : Le Listing Act aspire aussi à corriger les effets indésirables induits par la directive MiFID 2. En obligeant depuis 2018 les courtiers (brokers) à facturer séparément leurs activités de conseil et celles liées à la recherche, elle s’est en effet traduite par une baisse significative des revenus de brokerage sur le marché, avec comme corollaire une diminution sensible de la couverture des valeurs small & midcap par les analystes financiers. Pour infléchir cette tendance, ce nouveau texte prévoit de permettre aux brokers d’avoir la possibilité de regrouper à nouveau la tarification des deux prestations, et de déployer la recherche sponsorisée financée toute ou partie par l’entreprise concernée. Ce modèle s’est, du reste, largement répandu en France au cours des dernières années grâce à la charte de Place encadrant cette pratique (juin 2022). Un tiers environ des sociétés françaises valorisées jusqu’à 1 milliard d’euros y ont recours. 

Annie Maudouit-Ridde : À cela s’ajoutent enfin quelques évolutions qui vont dans le sens, d’une part, d’un allègement des règles de prévention des abus de marché, en matière par exemple de déclaration de transactions des dirigeants et d’établissement des listes d’initiés, et, d’autre part, d’une plus grande flexibilité laissée aux actionnaires fondateurs, avec notamment la possibilité d’assortir, au moment de l’IPO, des droits de vote multiples à certaines actions.

Depuis plusieurs années, le nombre
de PME-ETI cotées en Europe s’établit en recul. Rien qu’en France, celui-ci est tombé à 499 fin 2023 selon l’Observatoire du Financement des Entreprises par le marché (OFEM), contre 534 dix ans plus tôt. Toutes ces mesures peuvent-elles contribuer à restaurer l’attractivité de la Bourse pour ce profil d’entreprises ?

Vincent Le Sann : Le Listing Act s’inscrit dans le prolongement des dispositions adoptées par l’Union européenne ces dernières années, en allégeant les conditions d’accès à la Bourse pour les PME-ETI. À ce titre, le Listing Act est incontestablement le bienvenu. Mais dans la mesure où il ne touche qu’au champ réglementaire, sans mesure de fléchage des capitaux vers les PME-ETI, il ne devrait pas constituer un véritable « game changer » à court terme. 

Le 13 juin dernier, le Parlement français a entériné la loi n° 2024-537, dont l’ambition affichée est d’accroître le financement des entreprises et l’attractivité de la France. En quoi ce texte se distingue-t-il du Listing Act ?

Annie Maudouit-Ridde : Au-delà de l’harmonisation du cadre régissant les marchés de capitaux dans l’Union européenne, il est important de rappeler que chaque place financière, au sein des États-membres, est en concurrence. C’est dans ce cadre que cette loi introduit une disposition permettant, tout en l’encadrant strictement, l’émission d’actions à droits de vote multiples, ce qu’autorisait déjà la réglementation aux Pays-Bas. Mais l’essentiel du texte, qui comprend de nombreuses mesures, est selon moi ailleurs. Parmi les dispositions phares qui visent à anticiper les nouveautés du Listing Act, certaines vont ainsi contribuer à faciliter la mise en œuvre d’opérations de renforcement du haut de bilan : relèvement sur le marché réglementé du plafond des délégations pour les apports en nature de 10 % à 20 % ; disparition du prix plancher pour la fixation du cours des nouvelles actions émises dans le cadre d’une offre au public ou d’un placement privé ; passage de 20 % à 30 % du montant limite de capital social susceptible d’être levé sur douze mois glissants dans le cadre de placements privés… 

Parallèlement, le législateur français cherche aussi à encourager l’investissement des investisseurs, particuliers comme professionnels, dans des PME-ETI…

Annie Maudouit-Ridde : En effet, les Fonds Communs de Placement à Risque (FCPR) pourront dorénavant investir dans des PME-ETI cotées jusqu’à 500 millions d’euros de capitalisation boursière (contre 150 millions d’euros précédemment) – sous réserve que cet investissement n’excède pas 20 % du total de leurs actifs.

Vincent Le Sann : Autre bonne nouvelle, les critères d’éligibilité au Plan d’épargne en actions dédié aux PME (PEA-PME) ont également été simplifiés. Avant cette loi, plusieurs conditions se cumulaient, relatives au chiffre d’affaires, au nombre de salariés et à la capitalisation boursière. En cas de dépassement d’un des seuils déterminés pour un émetteur éligible au dispositif, un certain flou régnait quant à la possibilité pour un gérant de conserver cette valeur au sein d’un fonds labellisé PEA-PME. Avec la loi « Attractivité » du 13 juin, la capitalisation devient le seul facteur à prendre en compte pour les sociétés cotées. Son plafond est par ailleurs doublé, à 2 milliards d’euros, ce qui contribue à faire passer, à l’instant T, le nombre d’entreprises françaises éligibles d’environ 400 à 600 – et à 3 200 environ en Europe continentale.

Cette loi domestique sur l’attractivité aurait-elle pu être plus ambitieuse ?

Vincent Le Sann : À mon sens, il manque des mesures d’incitation, de nature fiscale j’entends, afin d’encourager les investisseurs à davantage orienter leur épargne vers les titres de PME-ETI. Or, ce besoin de fléchage me semble d’autant plus nécessaire que cette classe d’actifs a souffert ces dernières années d’un mouvement de décollecte en Bourse et que des dispositifs actuels comme les FCPI pourraient être remis en cause. 

Annie Maudouit-Ridde : Je partage cet avis. Reste maintenant à voir si une telle mesure, qui participerait à financer l’économie réelle, sera retenue par le nouveau gouvernement dans les prochains projets de Loi de finances et Loi de finances rectificative.

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