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LA DIRECTIVE CSRD IMPOSE AUX ENTREPRISES UNE PRÉPARATION MINUTIEUSE

Objectif : encore plus de transparence. Exit les reportings extra-financiers imposés par la NFRD, bienvenue au nouveau référentiel de la CSRD. Mais mieux vaut ne pas tarder pour être en mesure de s’y conformer, comme l’expliquent Amélie Champsaur, associée du cabinet d’avocats Cleary Gottlieb Steen & Hamilton, et Hannah Kung, group senior legal counsel chez AXA.

La directive CSRD a été publiée au Journal officiel de l’Union européenne le 16 décembre 2022 et doit faire l’objet de transpositions à l’échelle de chacun des pays membres d’ici à la fin de l’année 2023. Au vu de ce calendrier, y a-t-il néanmoins un quelconque intérêt à se pencher sur cette question dès à présent ?

Amélie Champsaur : C’est effectivement en 2025 que deviendront effectives les premières obligations de la Corporate Sustainability Reporting Directive, visant à donner plus d’homogénéité et de transparence aux données et informations ESG fournies par les entreprises. Cela étant, si le coup d’envoi sera donné par l’examen des éléments relatifs à l’année 2024, il est indispensable de profiter de la phase de transition actuelle pour anticiper une telle échéance et être en mesure de surmonter les difficultés qui peuvent en découler. À ce stade, même s’il manque encore des textes de mise en oeuvre de la directive, on sait que celle-ci entraînera une évolution majeure des normes applicables par rapport au cadre de la NFRD. Les entreprises concernées dès 2025 sont celles déjà soumises à la NFRD, mais le champ d’application de la CSRD s’élargira progressivement, au cours des années suivantes. Pour autant, il y a lieu de se pencher sur la question sans tarder, d’autant que la Commission vient de dévoiler son projet de règlement mettant en oeuvre les standards EFRAG, avec quelques adaptations, et que l’ordonnance d’habilitation laisse à penser que les textes de la transposition de la directive en France sont en préparation. Il n’est donc pas nécessaire d’attendre. Au contraire, mieux vaut opter pour une préparation en amont.

Hannah Kung : Nous commençons déjà à nous projeter vers le cadre posé par la CSRD car il existe de nombreuses étapes à franchir afin de s’adapter à ce nouvel environnement réglementaire. À titre d’exemple, celui-ci impose notamment de disposer de certaines informations nécessaires à l’évaluation de la double matérialité – qui correspond à la conjonction de la matérialité financière et de la matérialité d’impact. Bien sûr, le concept de double matérialité en lui-même n’est pas nouveau, néanmoins, la CSRD élargit le prisme de la matérialité d’une approche basée sur les risques à une approche globale prenant en compte à la fois les risques ainsi que les opportunités liées au climat qui sont pertinents pour l’entité. En la matière, même si l’on ne peut encore s’appuyer que sur des projets pour ces textes, l’EFRAG a déjà dévoilé suffisamment de recommandations pour donner quelques éclairages dans ses grandes lignes utiles pour amorcer les réflexions nécessaires au respect de la directive et aux travaux en interne qui en découlent.

Amélie Champsaur : L’anticipation doit aussi être de mise pour les entreprises dont le siège social se situe en dehors de l’Union européenne, même si nous ne disposons pas encore de standards précis, étant donné qu’elles devront adopter un système qui leur sera complètement nouveau et qui va au-delà des normes internationales ISSB. Par voie de conséquence, bien que ne devant respecter leurs obligations qu’à l’horizon 2027-2028, il leur faudra un temps de préparation plus important. C’est la raison pour laquelle nombre d’entreprises basées outre-Atlantique émettent déjà le souhait de commencer à se préparer aux obligations de la directive, à juste titre. Quelle est selon vous la meilleure façon de se préparer à la mise en oeuvre de CSRD ? Au vu de la complexité de certaines questions à adresser, est-il souhaitable de procéder par étapes, ou bien considérez-vous qu’il est préférable de prendre le sujet dans sa globalité ? Hannah Kung : Tout dépend avant tout de la pratique des entreprises à évaluer les risques non durables liés à leur activité. que le texte de la CSRD introduit d’ores et déjà un phasing-in, ce qui implique une mise en place progressive notamment sur certains sujets clés – comme pour ce qui concerne la définition de la chaîne de valeur – bien qu’il demeure indispensable, dans d’autres cas, de retenir une approche globale, comme pour les douze normes thématiques, en attendant de pouvoir disposer d’informations plus précises à ce sujet. Amélie Champsaur : La question de la chaîne de valeur requiert en effet une attention toute particulière, car la différence majeure de la CSRD avec les autres cadres juridiques existants relatifs à la transparence est qu’elle va imposer aux entreprises de fournir des informations concernant l’ensemble de leurs parties prenantes (fournisseurs, clients, etc.). Il va donc y avoir l’obligation de solliciter chacun d’eux pour être en capacité de réunir, analyser et diffuser ces informations. C’est déjà le cas en France, dans une certaine mesure, depuis l’adoption de la loi de vigilance, en 2017, mais les entreprises ont pris conscience de l’ampleur de ce travail lorsqu’elles ont compris qu’elles seraient soumises à la CSRD. Il y a là un véritable changement de paradigme : autant il est normal que les entreprises aient une responsabilité pour la divulgation des informations collectées en interne, autant le sujet est épineux pour les informations qu’elles auront collectées auprès de tiers. Du simple point de vue juridique, ce changement de paradigme s’annonce complexe mais passionnant.

Est-ce à dire que, malgré des textes juridiques en voie de finalisation, les difficultés sont déjà identifiées ?

Amélie Champsaur : Concernant les informations sur lesquelles l’entreprise n’a pas de certitude ni de moyen de vérification, se pose la question des mécanismes à mettre en place pour s’assurer de la fiabilité de ces données, de sorte à limiter la responsabilité de l’entreprise si ces données s’avéraient erronées. Cela passera par la mise en place d’une gouvernance solide (pour s’assurer que des procédures sont en place pour vérifier la fiabilité des informations et analyser et clarifier les éléments qui viennent en limiter la fiabilité), mais aussi en externe avec des clauses contractuelles visant à transférer voire partager la responsabilité avec les parties qui fournissent cette information.

Hannah Kung : À cet égard, il serait également plus objectif que des textes juridiques introduisent et définissent des normes minimales ou des seuils à utiliser, plutôt que d’inviter les entreprises à définir leur propre méthodologie d’évaluation de la matérialité et des risques.

Ne se dirige-t-on pas vers une extrême complexité ?

Hannah Kung : L’un des éléments de complexité pour les entreprises réside dans les nombreuses nouvelles initiatives réglementaires en matière de divulgation extra-financière, celles-ci faisant parfois doublons. Nous pensons qu’il est important que les investisseurs reçoivent des informations transparentes et comparables, mais en même temps, que les entreprises soient soumises à des obligations de reporting à la fois claires et pratiques à mettre en oeuvre, en procédant étape par étape.

Amélie Champsaur : Il y a là un défi pour les entreprises, mais également pour les législateurs, au niveau européen et français : définir un cadre juridique qui soit adapté à l’objectif poursuivi, qui n’est pas de se perdre dans une complexité infinie mais bien de faire remonter des informations compréhensibles, significatives en termes d’impact et comparables, qui permettent à leur tour d’orienter l’investissement public et privé. La priorité pour les entreprises n’est donc pas de faire de la surenchère en matière d’ESG, mais bien de s’assurer qu’elles divulguent des informations extra-financières correctes et d’expliquer les processus permettant de s’assurer de la fiabilité des données diffusées. Le cadre juridique de la CSRD remet en quelque sorte de l’ordre dans des pratiques parfois dispersées. La qualité primera sur la quantité, et les entreprises les plus vigilantes à la sincérité et la fiabilité des données présentées auront un avantage.

Hannah Kung : Il reste simplement à espérer que l’entrée en vigueur de la CSRD permettra de commencer progressivement à faire converger les normes européennes sur le sujet du reporting afin d’éviter les doublons y afférents. La convergence des normes sera grandement appréciée.

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