Alors qu’on en recense près de 80 au sein des conseils d’administration de groupes français, les censeurs sont une spécificité nationale. Si la fonction reste peu appréciée des proxys et des investisseurs, domestiques et surtout anglo-saxons, la nomination de ces membres qui ne disposent d’aucun droit de vote peut néanmoins présenter quelques avantages en matière de gouvernance.
L’AUTORITÉ DES MARCHÉS FINANCIERS (AMF) tape à nouveau du poing sur la table. Dans son rapport 2022 sur le gouvernement d’entreprise et la rémunération des dirigeants des sociétes cotées, publié en décembre dernier, le gendarme boursier s’est ému que la société Vivendi ait fait la sourde oreille après ses « observations » formulées un an plus tôt. Dans l’édition 2021 du même rapport, l’AMF avait en effet décidé d’incriminer nominativement – fait assez rare – le groupe de médias « en raison du cumul, par un actionnaire de contrôle et ancien président du conseil de surveillance, du statut de censeur et de salarié ayant pour mission de conseiller le président du directoire ». Quelques mois auparavant, le Haut comité de gouvernement d’entreprise (HCGE) avait déjà pointé ce « cas spécifique », estimant que « le cumul du statut de censeur au sein du conseil de surveillance et de conseil rémunér. du directoire de la sociét. est incompatible avec l’esprit des recommandations du code Afep-Medef, tant en matière de séparation des organes de gestion et de contrôle qu’en matière de prévention des conflits d’intérêts ».
Un statut et un rôle ambigus
Bien que n’ayant jamais atteint un tel niveau de gravité, les « polémiques » autour des censeurs présents au sein des conseils d’administration ne sont pas nouvelles. En 2014, la Société Générale justifiait par exemple le non-renouvellement du mandat de l’un d’eux par « les r.serves des investisseurs sur le r.le des censeurs dans les conseils ». En 2012, les résolutions soumises par Capgemini au vote de ses actionnaires et portant sur le renouvellement de deux censeurs se voyaient quant à elles rejetées à hauteur de 56 % ! À en croire de nombreux spécialistes en gouvernance, cette situation n’a rien d’étonnant. « Puisque cette fonction n’est encadr.e par aucun texte r.glementaire, chaque entreprise peut d.finir son r.le comme elle l’entend, témoigne Charles Pinel, directeur général de Proxinvest. En outre, le censeur peut librement s’exprimer durant les r.unions du conseil, mais il ne dispose d’aucun droit de vote. Tout cela contribue . rendre son statut et sa mission difficiles . appr.hender pour les investisseurs, surtout anglo-saxons. » De fait, les censeurs sont une spécificité française. « Il s’agit d’un h.ritage des entreprises o. l’.tat .tait actionnaire », rappelle Valentine Bonnet, directrice gouvernement d’entreprise et conformité de l’Association Française de la Gestion financière (AFG). Relativement stable depuis quelques années, leur nombre est loin d’être négligeable. La fintech Scalens en recense aujourd’hui 78, « dont 10 au sein du CAC 40 et 38 dans le SBF 120 », précise Bénédicte Hautefort, sa fondatrice. Certains groupes, à l’instar de Worldline et LVMH, en comptent même plusieurs. « Comme les censeurs sont le plus souvent r.mun.r.s alors m.me qu’ils ne peuvent pas voter, beaucoup d’investisseurs anglo-saxons consid.rent qu’ils ne servent . rien, poursuit Bénédicte Hautefort. Ils leur pr.f.rent les . invit.s permanents non r.mun.r.s ., dont le statut leur appara.t plus clair. »
Un contournement de certaines règles
Cette désaffection pour les censeurs ne résulte toutefois pas uniquement de l’ambiguïté de leurs missions. Au plus grand désarroi d’investisseurs et de sociétés de conseil en vote, il arrive parfois que la nomination d’un censeur – qui n’est pas toujours soumise au vote des actionnaires en assemblée générale – réponde en effet à des objectifs peu louables. Dans la mesure où le censeur n’est pas comptabilisé dans les effectifs du conseil d’administration, quelques groupes ont pu avoir recours à cette démarche pour contourner certaines règles, en particulier en matière de féminisation et d’indépendance du conseil, observent plusieurs spécialistes. « Ce proc.d. peut aussi .tre un moyen d.tourn. de nommer une personne qui a d.j. atteint le quota de mandats », abonde Jehanne Leroy, directrice de la recherche ESG France de Proxinvest. À ce titre, « la pr.sence de censeurs doit rester exceptionnelle. Elle doit .tre utilis.e . bon escient sans volont. de se d.tourner de r.gles applicables . la composition du conseil d’administration », insiste Valentine Bonnet. Autre écueil relevé notamment par l’AMF, enfin, les censeurs qui assistent au conseil ne sont pas nécessairement tenus aux mêmes règles de confidentialité et de discrétion que les administrateurs. De quoi faire peser des risques en termes, par exemple, de délit d’initié… et potentiellement altérer la qualité du travail des instances de gouvernance. « La multiplication récente du nombre de censeurs au sein des conseils d’administration a, en pratique, l’effet d’accroître le nombre de participants d’un conseil d’administration non soumis à la contrainte de certaines dispositions légales afférentes aux administrateurs tout en présentant les inconvénients propres au caractère pléthorique du conseil d’administration (risque d’inefficacit. et de dilution des responsabilités) », considère le gendarme boursier dans son rapport 2019 sur le gouvernement des groupes cotés.
Un moyen de prendre ses marques
Doit-on dès lors en déduire que la disparition de ce personnage des organes de gouvernance serait souhaitable ? Aussi critiques soient-ils, les détracteurs français des censeurs ne vont pas jusque-là. « D’ailleurs, il y a encore quelques ann.es, nous nous opposions syst.matiquement . leur nomination, indique Charles Pinel. Dor.navant, nous tranchons au cas par cas, en fonction des explications apport.es par les entreprises. » Et en matière de justifications, certains arguments font davantage mouche que d’autres. Parmi eux, il y a d’abord la nomination d’un censeur qui va permettre soit d’exprimer la diversification géographique du groupe, soit de représenter un actionnaire important au sein du conseil, soit de préparer l’avenir. « Lorsqu’un profil int.ressant est rep.r. mais qu’aucun poste n’est imm.diatement . pourvoir au sein du conseil, cette d.marche permet de . r.server sa place », et de . s.curiser . sa nomination future comme administrateur, note Odile de Brosses, directrice du service juridique de l’Afep. Le b.n.fice est m.me double puisque le censeur va pouvoir s’acclimater au fonctionnement du conseil, avant d’y si.ger en tant qu’administrateur. » La nomination en septembre dernier de Frédéric Oudéa comme censeur de Sanofi, dont il prendra la présidence d’ici quelques semaines, semble s’inscrire dans ce cadre. « En cela, le poste de censeur offre aux entreprises de la flexibilit. pour g.rer au mieux leur gouvernance », ajoute Odile de Brosses. Mais alors que l’AMF a invité à plusieurs reprises l’Afep et le Medef à engager une réflexion de place afin de lever « l’ambiguïté » autour du statut et du rôle des censeurs, un tel projet ne semble toutefois pas être à l’ordre du jour.