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Société européenne : quel bilan après 20 ans ?

Entré en vigueur en octobre 2004, le statut de société européenne (Societas Europaea, SE) avait vocation à favoriser la liberté d’entreprendre au sein de l’espace communautaire. Vingt ans plus tard, le bilan est toutefois décevant, avec seulement une cinquantaine de SE en France et quelques milliers sur le continent. Afin de redonner un nouveau souffle à cette forme sociale, la constitution d’une SE simplifiée, davantage accessible aux PME, apparaît comme un prérequis.

« Il est indispensable que les entreprises dont l’activité n’est pas limitée à la satisfaction de besoins purement locaux puissent concevoir et entreprendre la réorganisation de leurs activités au niveau communautaire. » Animées par ce dessein, les instances bruxelloises parvenaient à faire adopter, le 8 octobre 2001, un règlement appelé à jouer un rôle important dans le processus de construction européenne. De fait, ce texte donnait naissance à la « société européenne » (Societas Europaea, SE), un nouveau statut permettant aux agents économiques du continent d’exercer leurs activités dans l’ensemble des États-membres sous une forme juridique reconnue de tous. Alors que près de trois décennies de négociations ont été nécessaires pour que ce projet devienne réalité, il est peu dire que cette innovation était vivement attendue par les europhiles. « Le traité sur le fonctionnement de l’Union européenne érigeant parmi ses principes de base la liberté de circulation, mais aussi celle d’établissement, il apparaissait logique de permettre à une entreprise présente dans au moins deux États-membres d’opter pour un tel statut», indique Elise Bernard, directrice des études au sein de la Fondation Robert Schuman.

Flexibilité dans le mode de gouvernance

Devenue effective le 8 octobre 2004, la SE apporte sur le papier, au-delà du label européen, deux avancées principales. En matière de gouvernance, déjà, elle offre aux entités concernées le choix d’adopter soit un système moniste avec un conseil d’administration, soit un système dualiste avec un organe de direction et un de surveillance. Si cette flexibilité existait préalablement en France, ce n’était pas le cas partout, dont en Allemagne. Surtout, cette forme juridique avait pour vertu de venir sécuriser tout projet de transfert de siège social, en garantissant à l’entreprise qu’elle ne perdrait pas, à cette occasion, sa personnalité morale. Vingt ans plus tard, les résultats ne sont toutefois pas au rendez-vous. « Face au faible nombre d’entités qui ont adopté le statut de SE, notamment en France, un pays qui a été l’origine de la construction européenne, nous pouvons parler d’échec, voire de naufrage », constate en effet Philippe Dupichot, professeur à l’École de droit de la Sorbonne et président de l’association Henri Capitant, qui œuvre à la promotion, la diffusion et la modernisation des droits de tradition civiliste. Et pour cause : parmi les 23 millions d’entreprises que compte actuellement l’UE, elles ne seraient qu’entre 3 000 et 5 000 à s’être immatriculées de la sorte – le site officiel européen des statistiques en matière de SE n’est plus actif. La majorité d’entre elles sont d’origine allemandes et tchèques (Allianz, BASF, E.ON, SAP, Fresenius…). L’Hexagone, pour sa part, n’en héberge qu’une cinquantaine, parmi lesquelles LVMH, TotalEnergies, Atos, Scor, Schneider Electric, Sword Group ou encore Clariance (ex Korian).

Des décisions motivées, le plus souvent, par le prestige et la visibilité offerts par ce statut vis-à-vis des partenaires internationaux. « C’est au niveau européen et pas seulement national que le groupe LVMH entend se situer dans son action en faveur de la préservation, de la défense et du développement des métiers et savoir-faire artisanaux d’excellence, points d’appui d’une créativité harmonieuse et source d’un rayonnement mondial durable. Ces considérations ont conduit le conseil d’administration de la société – au sein duquel près du tiers des membres sont d’une nationalité européenne autre que française – à souhaiter traduire cette dimension européenne, tant vis-à-vis de ses salariés que de ses autres partenaires, dans la forme juridique de la société », détaillait ainsi le géant du luxe en 2014, au moment de se transformer en SE.

Une nouvelle directive qui change la donne

De l’avis des praticiens, l’engouement pour le moins limité autour de la SE résulte, avant tout, de son cadre jugé trop contraignant. « Il est regrettable qu’une entreprise nouvellement créée ne puisse pas directement opter pour cette forme sociale », pointe d’abord Philippe Dupichot. En effet, celle-ci doit être constituée d’au moins deux sociétés, situées dans au moins deux États-membres différents. Elle peut alors résulter soit de la fusion d’au moins deux sociétés anonymes, soit de la création d’une filiale commune, soit de la création d’une holding, soit de la transformation d’une société anonyme disposant d’une filiale dans un autre État membre de l’UE depuis une durée minimale de deux ans. À cela s’ajoute un autre frein, d’ordre financier. « Le capital social doit être d’au moins 120 000 €, un niveau qui se révèle rédhibitoire pour un grand nombre d’entreprises », estime Elise Bernard. Dans ces conditions, « la SE peut donc se révéler attrayante pour des sociétés déjà installées, mais elle ne permet en aucun cas d’accompagner le développement de jeunes pousses », déplore Philippe Dupichot. 

Et pour ne rien arranger, une récente évolution réglementaire est venue retirer à cette forme sociale l’un de ses maigres atouts comparatifs. « Conformément à la directive 2019/2121 du 27 novembre 2019, qui a été transposée en France en mai 2023, n’importe quelle société commerciale peut désormais librement transférer son siège social, sans risquer de perdre sa personnalité morale », informe Jean-Éric Cros, avocat et président d’un groupe de travail mis en place par le Haut Comité Juridique de Place (HCJP) en 2021 dans le but de réfléchir à la création d’un statut de « société européenne simplifiée » (SES).

 

Vers une SE simplifiée ?

Dès 2005, le Comité Économique et Social Européen avait avancé cette piste, convaincu que la SE ne pourrait rencontrer le succès que si elle s’ouvrait aux PME. Il faut dire que ces dernières représentent, en prenant en compte les micro-entreprises, 99 % du tissu économique communautaire. Dans le rapport produit par le HCJP il y a trois ans, il était notamment préconisé qu’une SES puisse être accessible aussi bien aux personnes morales qu’aux personnes physiques, que le critère transfrontalier repose avant tout sur la vocation européenne de la SES et qu’il n’y ait plus de montant minimum imposé pour le capital social. Peu auparavant, l’association Henri Capitant avait de son côté suggéré « d’instaurer un plancher de capital social dix fois moins élevé que le seuil actuel, soit 12 000 €, afin d’élargir l’accès à cette forme sociale », signale Philippe Dupichot. Suffisant pour, enfin, faire bouger les lignes ? La perspective semble mince à court terme, les autorités européennes n’ayant pas réagi à ces propositions, et encore moins inscrit ce sujet au cœur de leur agenda politique.

Et quand bien même il viendrait à l’être, un écueil pourrait freiner toute adoption massive. À quelques exceptions près, « le droit des sociétés et le droit des affaires ne sont aujourd’hui pas harmonisés en Europe, pointe Elise Bernard. Dans la mesure où la SE est soumise à la réglementation nationale du pays où son siège est implanté, la dimension communautaire du statut n’est donc que toute relative. » Or, beaucoup de praticiens craignent qu’une telle harmonisation du droit commercial entre les États-membres reste un vœu pieux.

 

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