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Les comités de mission prennent leurs marques

Alors que la France compte aujourd’hui plus de 1 300 entreprises ayant adopté la qualité de société à mission, la quasi-totalité d’entre elles ont fait le choix d’ouvrir leur comité de mission à des membres externes. Chargés du suivi de l’exécution de la mission, ces organes de gouvernance n’hésitent pas, pour quelques-uns d’entre eux, à se doter de prérogatives renforcées.

Reconnue aux sociétés qui inscrivent dans leurs statuts une raison d’être et qui se donnent pour mission de poursuivre un ou plusieurs objectifs sociaux et environnementaux en lien avec celle-ci, la qualification d’entreprise à mission ne cesse de faire des émules. Comme le relève le dernier rapport du comité́ de suivi et d’évaluation de la loi Pacte, publié par France Stratégie en octobre dernier, l’Hexagone en dénombrait 1 008 fin 2022. Un total certes « très faible au regard du nombre d’entreprises en France (0,02 % du total) », mais en hausse constante depuis la création du statut, mi 2019. De fait, il était passé de 200 en 2020 à 597 l’année suivante, avant de quasiment doubler, donc, en 2022. Selon la Communauté des entreprises à mission, une association qui fédère les membres de cet écosystème, il dépasse désormais 1 300. Parmi les dernières entreprises à avoir sauté le pas, on retrouve Dammann Frères (thé), Abaq Conseil (consulting dans les domaines sanitaires, sociaux et médico-sociaux), ABP Talents (RH), Agorha Galeries (commerce), Vilogia (logement social), Tut Tut (livraisons), Sunology (énergies renouvelables) ou encore Rofim (télémédecine).

Le référent ne fait pas recette

Regroupant un ensemble disparate de sociétés, tant en termes de taille que d’ancienneté et de secteur d’activité, cet écosystème d’acteurs affiche néanmoins de fortes similitudes en matière de gouvernance RSE. Afin d’assurer un suivi de l’exécution de la mission et des objectifs qu’elles ont définis, ces entreprises ont, il est vrai, l’obligation de se doter d’un comité de mission distinct des organes sociaux, à l’exception de celles qui comptent moins de 50 salariés. La loi leur permet en effet d’opter pour un dispositif allégé, avec la nomination d’un simple référent de mission. Or la Communauté des entreprises à mission observe que 77 % d’entre elles ont préféré, à ce jour, mettre en place un comité. « L’une des principales explications en ce qui concerne les TPE tient au fait qu’il s’agit le plus souvent de la première fois qu’elles se dotent d’une instance de gouvernance, signale Alain Schnapper, co-fondateur de l’association. Profitant de l’adoption de la qualité d’entreprise à mission, les dirigeants concernés y voient dès lors l’occasion de déployer un organe collégial sur lequel s’appuyer pour mener à bien leur développement ». Beaucoup de dirigeants considèrent également que l’instauration d’un comité représente un gage de crédibilité.

Des expertises recherchées

Un peu plus diserte sur le comité de mission, la loi Pacte n’en laisse pas moins aux sociétés à mission d’amples marges de manœuvre quant à ses modalités de fonctionnement. En termes de composition, d’abord, l’article 210-10 du code de commerce se contente d’indiquer que cette entité doit comporter « au moins un salarié ». Dans les faits, la Communauté des entreprises à mission constate que les comités existants comprennent le plus souvent entre 6 et 8 membres – certains en rassemblent près de vingt, à l’image de celui de La Banque Postale (18) – et qu’ils intègrent, dans 79 % des cas, une ou plusieurs parties externes. Dans son bilan sur les pratiques des entreprises à mission pionnières, sorti en mai dernier, KPMG relève même que les membres non-salariés sont majoritaires dans 68 % des sociétés analysées. Une situation du reste davantage répandue dans les TPE (78 % d’entre elles) que dans les grandes entreprises (57 %).

Ce choix de s’entourer de compétences extérieures, comme des chercheurs, des économistes, des clients ou fournisseurs, des consultants ou encore des membres d’ONG, découle d’un ensemble de motivations, allant de la volonté de fédérer les principaux partenaires de l’entreprise autour de sa démarche jusqu’à la recherche d’expertises que l’entreprise ne possède pas en interne, en passant par la quête d’une relative indépendance de l’instance. In fine, « le défi consiste à installer un fonctionnement qui connecte le comité de mission aux organes de gouvernance de la société, pour infléchir la stratégie et les orientations de moyen terme », résume David-Emmanuel Vivot, associé du cabinet de conseil en stratégie Kéa,
en charge de la mission.


En l’occurrence, le comité de mission de Kéa rassemble 3 membres internes et 6 externes, parmi lesquels un prospectiviste et la représentante d’une ONG environnementale.

Des rapports perfectibles

En matière de prérogatives, ensuite, la législation prévoit que le comité de mission est chargé exclusivement du suivi de l’exécution de la mission que s’est fixée l’entreprise et qu’il doit, à ce titre, présenter annuellement un rapport joint au rapport de gestion à l’assemblée chargée de l’approbation des comptes de la société. Pour ce faire, les membres du comité peuvent procéder à toutes les vérifications qu’ils jugent « opportunes » et se faire communiquer les documents nécessaires à cette fin. Concernant la pertinence des rapports produits par les comités, le seul juge de paix est l’organisme tiers indépendant (OTI) que chaque société a l’obligation de nommer, et dont le mandat repose sur la vérification de la bonne exécution de la mission et de la qualité du rapport. Il n’empêche, KMPG tire dans son étude des conclusions éclairantes dans ce domaine : alors que ce document « a pour vocation première de présenter l’appréciation du comité de mission sur l’avancée de la démarche et l’atteinte par l’entreprise de ses objectifs, il est surprenant d’observer que seuls 66% des rapports des entreprises du panel contiennent des éléments formels d’appréciation du comité de mission sur l’exécution de la mission. Au demeurant, l’absence d’un avis explicite et formel du comité de mission pourrait faire l’objet d’une non-conformité relevée par l’OTI dans son propre rapport ». De là à parler de rapports de complaisance, il y a un pas que certains spécialistes de la gouvernance n’hésitent pas à franchir…

D’autres relativisent, voire rejettent, un tel constat. « Logiquement, les premiers mois suivant la mise en place du comité sont consacrés d’une part à l’installation de la gouvernance qui passe par la montée en puissance des membres du comité de mission (enjeux de transition propres au secteur d’activité, maturité et enjeux spécifiques de l’entreprise…), et d’autre part au déploiement du modèle de mission (sensibilisation, connexion de la stratégie avec la mission…) », insiste David-Emmanuel Vivot qui, chez Kéa, accompagne chaque année quelques dizaines d’entreprises dans le cadre de leur processus d’adoption de la qualité de société à mission. En outre, le contenu du rapport ne serait qu’une matérialisation partielle de l’action du comité de mission. « Ce que l’on observe dans la majorité des cas, c’est que les comités se montrent à la fois bienveillants et critiques, que ce soit dans leur rapport ou lors d’échanges avec la direction – ces derniers restent confidentiels mais les OIT ont accès aux PV de réunions et ordres du jour. Par ce biais, ils cherchent à « challenger » les dirigeants quant aux moyens mis en œuvre pour atteindre les objectifs déterminés », abonde Alain Schnapper.

Un droit de regard
sur certaines opérations

Certains vont bien au-delà. « En plus du suivi de l’exécution de la mission, nous avons souhaité que le comité de mission de Kéa ait également un rôle de miroir stratégique, c’est-à-dire qu’il apporte un regard éclairé auprès du management sur les leviers alternatifs pour maximiser l’impact positif de l’entreprise », informe David-Emmanuel Vivot. À ce titre, un nombre croissant de comités ont leur mot à dire sur certaines opérations stratégiques. « Dans le cadre d’un projet de rachat d’une entreprise à mission, les membres de son comité ont récemment demandé à rencontrer les deux candidats à la reprise, avant de formuler un avis sur celui qui, selon eux, était le mieux à même d’accompagner la société dans la poursuite de sa mission », illustre Alain Schnapper. Si de tels avis demeurent purement consultatifs, il est d’usage que les organes de gouvernance de l’entreprise concernée les suivent. « Dans le cadre de ma fonction, le comité de mission de Kéa constitue mon principal organe de gouvernance et joue un rôle comparable à celui d’un conseil d’administration vis-à-vis des actionnaires », résume Marie-Hélène Morvan, chief mission officer chez Kéa. Prêtes à aller encore plus loin, quelques sociétés à mission réfléchiraient même à conférer à leur comité de mission des prérogatives renforcées, comme par exemple des droits de veto sur certains types de décisions.

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