Par Dominique Gaillard, Président de France Invest
France Invest est le nouveau nom de l’Afic, l’association professionnelle du capital-investissement, créée en 1984. Organisme professionnel indépendant, elle regroupe près de 500 membres dont 300 fonds d’investissement (investisseurs en capital et en dette) et représente un poids économique croissant : ses membres accompagnent près de 7 200 start-up, PME et ETI qui pèsent plus de 210 Mds € de chiffre d’affaires cumulé.
2018 a été une belle année pour le capital-investissement français. En témoignent les résultats de l’étude menée annuellement par France Invest, en partenariat avec Grant Thornton, et réalisée à partir des informations déclarées par les membres de l’association.
Mon prédécesseur, Olivier Millet, avait fixé comme cap 20 milliards d’euros levés en 2020. Si la tendance actuelle se poursuit, nous les atteindrons. Car l’année 2018 a été marquée par une hausse de 13 % des capitaux levés, permettant d’atteindre les 18,7 milliards d’euros. Ils seront investis au cours des cinq prochaines années majoritairement dans des entreprises françaises.
Cette hausse des levées s’explique par l’intérêt marqué d’un grand nombre d’acteurs comme des fonds de pension et des caisses de retraite (+83 % vs 2017), mais aussi des fonds souverains (+ 32 %), du secteur public, des personnes physiques et des family offices. Notons que 48 % des capitaux ont été levés à l’international durant les douze derniers mois, là aussi en nette progression sur 2017.
Une place de choix en Europe. Le capital-investissement français démontre sa grande attractivité internationale. Les investisseurs étrangers ont désormais une forte appétence pour cette classe d’actifs de long terme. En nombre d’entreprises investies, les fonds français sont les plus actifs d’Europe avec plus de 2 200 entreprises accompagnées. Avec des indicateurs en progression constante, nous sommes sur la bonne trajectoire pour placer la France au niveau des économies qui font de l’investissement en capital un puissant levier pour créer de nouveaux champions mondiaux.
Sur les 14,7 milliards d’euros investis l’an dernier, la part déployée dans des entreprises européennes ou étrangères a augmenté de 19 à 25 %. En Europe, les montants ont pour leur part doublé à plus de 3 milliards d’euros. Dans un contexte européen compliqué, ces statistiques démontrent la percée du capital investissement français sur le continent, sans oublier pour autant l’Hexagone puisque 84 % des entreprises bénéficiaires de ces investissements sont basées en France.
L’importance des investissements dans des ETI et PME françaises. En France, nombre d’entreprises ouvrent leur capital. Plus de trois entreprises investies sur quatre sont des TPE et des PME. Si l’industrie et le secteur des biens de consommation sont ceux qui sont le plus visés, on ne manquera pas de remarquer la progression des montants investis dans le numérique (1 844 M€). Une tendance alignée sur l’expansion du secteur de la French Tech qui connaît un développement considérable, notamment en région. Les tickets inférieurs à 5 M€ représentent près de 80 % des investissements en nombre. Et les prévisions d’investissement en capital-innovation sont, elles aussi, en croissance (2 596 M€) ce qui laisse présager d’une activité soutenue encore pour les prochaines années.
La dynamique du désinvestissement. Ce dynamisme du marché s’accompagne d’une activité soutenue de désinvestissement. Pour la sixième année consécutive, la liquidité du non coté se confirme avec un nombre d’entreprises désinvesties en croissance pour atteindre, en 2018, le nombre de 1 532. Les cessions ont principalement été effectuées auprès de sociétés de capital-investissement (226 entreprises) et d’industriels (194), sans oublier les opérations de refinancement qui ont connu une progression importante (587 en 2018 vs 477 en 2017).
Les LPs devenus GPs. Certains nouveaux acteurs comme les fonds de pension canadiens sont des concurrents pour les fonds classiques car, au-delà de leurs capacités financières, ils font valoir une capacité d’investissement à long terme souvent rassurante pour les équipes de management. Les contraintes de durée de vie des véhicules d’investissement français leur confèrent de fait un désavantage certain sur ces nouveaux acteurs. Dans ce contexte, il serait judicieux de réfléchir à structurer des fonds plus longs. Pour cela, il faut faire œuvre de pédagogie auprès des investisseurs institutionnels pour les rendre moins accros à la tyrannie du « TRI » et de plutôt juger de la pertinence des investissements réalisés à l’aune du multiple sur le capital investi ! En clair, mieux vaut faire 5 fois la mise sur 10 ans sur un investissement avec un TRI de 12/15 % que d’obtenir un TRI de 50 % sur un investissement conservé seulement 18 mois !
Le fruit des réformes engagées. Ce dynamisme du capital-investissement récolte également le fruit des réformes engagées ces dernières années. La flat tax, la disparition de l’ISF ou encore des ordonnances travail sont autant de mesures qui permettent d’améliorer la perception de la France auprès des investisseurs institutionnels dans le monde et d’apporter un regain de vitalité au secteur. La loi Pacte devrait renforcer cette tendance dans les mois à venir. Dans le cadre de cette loi, France Invest s’est impliqué pour que les actionnaires qui le souhaitent puissent mettre en musique un mécanisme rénové, fiscalement plus attractif, permettant de partager une partie des plus-values de cession avec tous les salariés des entreprises concernées.
France Invest a aussi beaucoup œuvré pour qu’il soit possible de créer des unités de compte investies en parts de fonds professionnels de capital-investissement. Parallèlement, avec la Fédération Française de l’Assurance France Invest est intervenu pour que la loi autorise la mise en place, au sein des contrats d’assurance-vie, d’un nouveau véhicule ouvert, temporairement appelé OPCR, qui sera le pendant pour le private equity des OPCI pour l’immobilier. Ces deux évolutions permettront aux particuliers qui veulent investir dans le capital-investissement à travers leur contrat d’assurance vie, de dédier une certaine somme à cette classe d’actifs. Ils pourront ainsi cumuler les avantages de la liquidité offerte par un fonds ouvert et du rendement attractif généré depuis des années par le capital-investissement français. La mission de France Invest est désormais de faire preuve de pédagogie auprès des assureurs et des banquiers privés à travers une formation que nous allons mettre rapidement en place, pour qu’ils recommandent à leurs clients d’investir dans l’économie réelle.
Perspectives. Personne ne peut garantir le rythme de la croissance du marché en 2019. Mais une chose est sûre : la courbe est ascendante. Bien sûr, de plus en plus d’analystes parlent de haut de cycle annonçant régulièrement l’imminence d’une crise. Il faut reconnaître qu’un certain nombre d’indicateurs sont proches de 2007 : les multiples de valorisation, en buy-out et en capital-innovation, les effets de levier, sans oublier le retour des covenant « light ».
Il faut néanmoins préciser que des leçons ont été tirées de 2007 et que les excès ne sont plus de mise. À cette époque, tous les actifs étaient chers et les effets de levier souvent déraisonnés. Aujourd’hui, les prix sont élevés uniquement sur les cibles ayant des taux de croissance supérieurs à 10 %, qui ont survécu à la précédente crise et qui peuvent générer un cash-flow supérieur à 80 % de l’Ebitda. S’agissant des autres dossiers, les valorisations et les multiples restent raisonnés. Le marché est plus manichéen et les comités de crédit plus sélectifs. Mais il faut garder la tête froide.