Sous l’effet de la crise sanitaire, les assemblées générales des sociétés cotées se sont fortement digitalisées. Mais alors que les actionnaires qui assistent aujourd’hui à ces grands-messes en ligne ne peuvent pleinement exercer leurs droits, des spécialistes de la gouvernance en appellent à l’émergence de véritables AG hybrides, au cours desquelles le vote en direct est possible.
Wavestone récidive. Coté sur Euronext Paris, ce cabinet de conseil en transformation des entreprises (plus de 530 M€ de chiffre d’affaires en 2022-2023) avait choisi d’innover, l’an dernier, en organisant la première assemblée générale (AG) d’une entreprise française dans un format dit « hybride », grâce auquel les actionnaires peuvent soit assister physiquement à la réunion, soit le faire à distance via Internet, tout en bénéficiant de prérogatives élargies. Confortés par le bon déroulement de cette grand-messe annuelle et les retours favorables d’investisseurs, la direction générale et le conseil d’administration de Wavestone ont donc décidé de renouveler l’expérience en juillet dernier. Toujours avec succès.
Le parfait compromis
Sous l’effet de la crise sanitaire du Covid-19, qui avait contraint en 2020 et 2021 les sociétés cotées à tenir leur AG à huis clos, ce type d’événements s’est profondément digitalisé. Tandis que les actionnaires avaient l’occasion de retrouver le chemin des auditoriums dès 2022, 119 entreprises du SBF 120 ont ainsi assuré concomitamment une diffusion en ligne. Le format hybride pour lequel a opté Wavestone va toutefois beaucoup plus loin que la seule possibilité de visionner, depuis son salon ou bureau, la tenue des débats. « À la différence d’une simple retransmission de l’AG en streaming, qui peut permettre la participation des actionnaires via un système de chat, l’AG hybride leur permet de s’authentifier de manière sécurisée et de voter », relève Richard Roger, directeur des services aux émetteurs chez Société Générale Securities Services. De fait, les actionnaires de Wavestone peuvent, depuis deux ans désormais, exprimer leur vote au préalable, soit par correspondance, soit par Internet sur une plateforme de vote sécurisé, ou bien voter en direct à distance. Pour les experts de la gouvernance, cette dimension hybride constitue un compromis parfait. « La qualité des échanges étant toujours supérieure lors de réunions physiques, il est impératif de conserver un accueil des actionnaires en présentiel, estime Pascal Durand-Barthez, associé de la structure indépendante de conseil Associés en Gouvernance. Pour autant, le format virtuel offre l’avantage d’élargir la participation effective des investisseurs aux AG, notamment dans les entreprises où l’actionnariat est éclaté et internationalisé. Quant au fait d’ouvrir la possibilité de dialoguer et de voter à distance, cela contribue à renforcer le dialogue actionnarial ».
Une démarche encouragée par l’AMF
Ce modèle d’AG hybride est également plébiscité par l’Autorité des marchés financiers (AMF) qui, déjà dans un rapport publié fin 2017, écrivait que le vote en direct à distance permet un « vote éclairé » dans le sens où les actionnaires, ayant connaissance des débats et des dernières informations diffusées pendant l’AG, peuvent se prononcer en toute connaissance de cause. Même son de cloche du côté du Haut Comité Juridique de la Place de Paris (HCJP), qui a mis en lumière les bénéfices du format hybride dans un rapport de mars 2022, consacré à l’« Adaptation de la gouvernance des sociétés en valorisant l’expérience de la crise sanitaire ». Enfin, et surtout, cet engouement est aussi partagé par les investisseurs, notamment institutionnels. Dans ses récentes « Recommandations sur le gouvernement d’entreprise », l’Association française de la gestion financière (AFG) préconise en effet la mise en place de telles AG dans la mesure où elles « offrent la possibilité d’assister à l’assemblée générale, soit en présentiel, soit à distance avec les mêmes droits, comme celui de poser des questions à l’oral ou à l’écrit durant la séance, de révoquer ou proposer des administrateurs ou encore de voter en direct les résolutions soumises à l’assemblée générale ».
Des émetteurs toujours réticents
Conscients des attentes de certains de leurs actionnaires dans ce domaine, un nombre croissant d’émetteurs cotés étrangers ont sauté le pas ces dernières années. « Cette pratique est aujourd’hui très répandue dans plusieurs pays, à l’instar de la Belgique, du Royaume-Uni, des Pays-Bas ou encore des États-Unis et du Canada », constate Richard Roger. À l’échelle mondiale, elle concernait 35 % des AG tenues lors du premier semestre 2023, selon la société spécialisée Lumi. En France, en revanche, le format ne décolle pas, même si Amundi avait entrouvert la porte en 2021 (voir encadré), suivi par Wavestone, donc. Pour justifier leur réticence, les entreprises, par la voie notamment de l’Afep, mettent le plus souvent en avant les difficultés à pouvoir identifier et authentifier en temps réel les actionnaires souhaitant voter à distance d’une part, et la crainte qu’un incident technique ne puisse entraîner la nullité de l’AG d’autre part. Deux écueils plus ou moins fondés, à en croire les professionnels. « Technologiquement, nous sommes prêts en France », assure Richard Roger. S’agissant du risque de problèmes de connexion pour la participation et le vote à distance, le droit français pourrait, du reste, être facilement amélioré en s’inspirant d’exemples voisins. « En Allemagne, la réglementation dispose clairement qu’un bug technique ne constitue pas un motif d’annulation de l’AG, ce qui tend à rassurer les émetteurs », ajoute Richard Roger.
Un enjeu de communication
En tout cas, l’expérience de Wavestone a tout pour faire bouger les lignes. « L’adoption du format hybride a certes été quelque peu fastidieuse la première année dans la mesure où il a fallu comprendre les différents mécanismes et s’assurer de la fiabilité de la plateforme, reconnaît Justine Brosset, chargée de communication financière chez Wavestone, dont le flottant avoisine 40 % (soit quelques milliers d’investisseurs individuels, petits porteurs et salariés). Mais nous n’avons rencontré aucune difficulté lors nos deux précédentes AG, y compris sur un plan technique ». Au contraire, le cabinet de conseil dresse un bilan très positif. « Avant de proposer la retransmission de notre AG en ligne, nous avions généralement une cinquantaine d’actionnaires qui y assistaient physiquement, poursuit Justine Brosset. La conversion au format hybride s’est révélée vertueuse puisque la fréquentation en présentiel n’a pas baissé, tandis qu’une vingtaine d’actionnaires supplémentaires se sont connectés sur la plateforme dédiée afin de participer à l’événement en 2022 et 2023 ». Seul léger bémol, le coût lié au prestataire à qui incombent la gestion des boîtiers électroniques pour l’AG en présentiel et l’organisation du volet digital de l’AG a doublé.
Forts de ce bilan, d’aucuns parmi les spécialistes de la gouvernance espèrent le décollage du modèle hybride lors de la prochaine saison des AG. Dans l’attente, Wavestone a déjà pris date. Que ce soit pour son assemblée générale exceptionnelle prévue en fin d’année (relative au projet de rapprochement avec Q_PERIOR, l’un des leaders du conseil sur le marché germanophone) ou pour ses futures AG ordinaires, la société entend bel et bien pérenniser ce format.