Fondée en 2018 lors de la fusion de trois grandes cliniques de l’Est lyonnais à l’initiative du docteur Reza Etessami, Imapôle est à l’origine du groupe d’imagerie médicale ImaOne. En septembre dernier, le groupe a ouvert son capital au fonds Nov Santé géré par Eurazeo et à Bpifrance, pour un investissement minoritaire de plus de 50 M€ aux côtés des radiologues associés fondateurs.
ENTRETIEN CROISÉ avec Reza Etessami, médecin radiologue et président d’Imapôle, Julie Vern Cesano-Gouffrant et Gilles Bigot, avocats associés du cabinet Winston & Strawn.
Quelle est l’histoire d’Imapôle ?
Reza Etessami : L’histoire commence par mon propre parcours puisque je suis un médecin formé en France, en Suisse et au Canada. J’ai démarré ma carrière en tant que médecin libéral dans une petite structure qui misait sur la qualité de l’imagerie rendue. Rapidement, le marché français a évolué sous l’effet de la pression tarifaire, de la mise en place de nouvelles normes d’exercice, notamment environnementales, mais aussi d’une redéfinition de la pyramide des âges des praticiens. Ce changement de paradigme a conduit les différentes structures de radiologie à se rapprocher pour créer des synergies, à l’image de la consolidation du secteur dont j’avais été témoin en Suisse plusieurs années auparavant. La création de l’établissement Médipôle Lyon-Villeurbanne visant à mutualiser l’offre de soins pour devenir le plus grand établissement privé de France, voire d’Europe, a été un déclencheur. Nous avons conçu notre société d’imagerie médicale comme une start-up : en réfléchissant à un nouveau parcours patient en le digitalisant et en intégrant, dès le début, toutes les technologiques les plus innovantes du marché. Nous avons également apporté l’ingénierie de télémédecine pour permettre à chaque patient de bénéficier de la super-compétence du médecin spécialiste en s’affranchissant du dogme de sa présence physique. Enfin, nous avons codéveloppé des solutions d’intelligence artificielle pour analyser les images et interpréter les examens. L’activité a été augmentée de 200 %, bien sûr grâce à la qualité des radiologues, mais aussi grâce à la logistique et l’ingénierie mises en place pour les accompagner dans leur exercice. L’aventure a si bien débuté que nous avons été rapidement approchés par des intermédiaires financiers. Leur discours montrait qu’ils étaient plus motivés par l’appât du gain que par notre projet de création d’un véritable modèle de consolidation visant à fédérer nos confrères autour de nos innovations médicales, avec pour but de devenir des radiologues 2.0. Par chance, nous avons rencontré Gilles Bigot et Julie Vern Cesano-Gouffrant, qui nous ont accompagnés pendant presqu’un an dans nos réflexions sur l’avenir de notre projet. Nous avons eu les meilleurs professeurs du monde ! Leur expérience dans d’autres domaines médicaux nous a permis d’avoir une vision complète des méthodes de consolidation de notre secteur. Nous avons mûri notre réflexion sans pression, en planifiant les étapes nécessaires au déploiement de notre projet. Nous avons procédé, avec eux, à une refonte juridique de la société d’exercice pour la transformer en entreprise médicale, et à une restructuration capitalistique de manière à faire émerger les jeunes talents et à sécuriser l’indépendance et la pratique des médecins.
Est-il classique dans le milieu médical de restructurer les entreprises avant l’entrée d’investisseurs financiers ?
Julie Vern Cesano-Gouffrant : Ce n’est pas classique, mais nous le conseillons à tous les clients du secteur médical que nous accompagnons car c’est, selon nous, la meilleure façon de structurer l’offre de soins. Pour déployer un groupe et chercher des partenaires financiers, l’entreprise doit être assise sur un projet médical solide, raisonné, ambitieux. Dans le cadre du projet ImaOne, il a été clairement défini que les médecins resteraient majoritaires non seulement en termes de gouvernance mais également de droits financiers. Il était important pour eux d’avoir la maitrise de l’ensemble des décisions pour être en mesure de déployer leur projet médical. C’est un axe de développement clé d’ImaOne et qui être d’ailleurs attractif aujourd’hui pour développer le groupe en régions.
Gilles Bigot : D’un point de vue réglementaire, exprimé en termes généraux, le dirigeant légal au sein d’une société de médecins, celui qui a la majorité des droits de vote, sera toujours un praticien qui y exerce. Mais rien n’empêche qu’il existe des organes – dits stratégiques, ou de consultation, ou encore d’orientation – dans lesquels l’investisseur a un siège et donne son accord pour des investissements dépassant un certain seuil. Il est légitime que l’investisseur puisse disposer d’un droit de regard sur le bon usage qui est fait des moyens financiers qu’il met à disposition de l’entreprise médicale. Il est assez fréquemment prévu une répartition des dividendes différente de celle des droits de vote, en créant des actions de préférence donnant accès à une partie des profits distinctes de la proportion de détention du capital et des droits de vote.
Comment les radiologues ont-ils appréhendé cette ouverture du capital ?
Reza Etessami : Les radiologues ont fait une comparaison avec la consolidation du marché de la biologie qui a un temps d’avance sur le nôtre. Or dans ce secteur, nous avons pu constater qu’au fur et à mesure des rotations de portefeuilles de fonds majoritaires ont émergé des problématiques d’intégration des jeunes médecins qui se sont retrouvés démunis au niveau capitalistique pour entrer dans les structures. Certains biologistes nous ont également témoigné de leur sentiment de perte d’autonomie et d’indépendance. Les radiologues sont très attentifs à ce ressenti, car nous sommes de petits entrepreneurs mais de bons gestionnaires. Il nous a semblé fondamental qu’il n’y ait aucune dichotomie entre les droits sociaux et les droits financiers, pour assurer toute l’indépendance de notre activité. Durant notre parcours de réorganisation, Gilles et Julie nous ont mis en relation avec des investisseurs, pour nous permettre de connaître la mentalité, la culture des fonds d’investissement et de comprendre leurs susceptibilités. Nous avons participé à un vrai process pour comprendre, de l’intérieur, comment un fonds d’investissement évalue une entreprise. C’était une excellente expérience qui nous a conduit à ouvrir notre capital de façon minoritaire. Mais pas à n’importe qui.
Nov Santé et Bpifrance ont donc intégré le groupe ImaOne en 2022. Pourquoi eux ?
Reza Etessami : Le profil des partenaires financiers était essentiel pour les radiologues. Nous avons organisé un appel d’offres et opté pour un tandem d’investisseurs tous deux financés par la Caisse des dépôts et qui ont un tropisme affirmé pour le médical : Nov Santé (géré par Eurazeo) et Bpifrance. Ce sont deux investisseurs solides, capables de nous accompagner dans les différentes étapes de notre croissance externe. Bpifrance était très intéressé par cette consolidation nationale du secteur avec cette approche high-tech. Leur volonté était d’abord de soutenir notre projet médical, dans une optique d’assainissement du marché qui avait pâti de l’agressivité de certains fonds d’investissement.
Julie Vern Cesano-Gouffrant : Il était important pour les radiologues d’être accompagnés par des partenaires financiers français ayant une dimension institutionnelle et une vision long-terme, pour pouvoir montrer que leur projet médical fédère et correspond aux besoins de santé publique nationale. Ce partenariat n’a pas une logique uniquement financière, mais il a vocation à permettre le développement du groupe et de son projet médical dans la durée. Bpifrance et Nov Santé sont acculturés au secteur de la santé. Ils ont le profil idéal pour Imapôle. Cette financiarisation du secteur de la radiologie a-t-elle tendance à inquiéter les médecins ?
Gilles Bigot : Ce qu’on appelle, de façon inutilement péjorative, la « financiarisation » du secteur médical doit être comprise schématiquement comme de l’apport de liquidités en vue d’une croissance organique et/ ou externe, d’une pérennité et d’une consolidation visant à répondre à la demande de soins de la population. Les fonds d’investissement qui sont entrés au capital sont soigneusement sélectionnés et démontrent une éthique et des moyens financiers qui permettent de répondre à des problématiques de déserts médicaux, de pénurie de médecins ou de besoins de moyens technologiques performants voire à la pointe des évolutions en la matière. À titre d’exemple, la consolidation de secteurs comme celui de la biologie médicale ou de l’ophtalmologie a eu comme effet bénéfique de permettre un accès à l’offre de soins, y compris dans des périodes extrêmement critiques comme lors de la dernière pandémie. Cela a également eu pour conséquence de désengorger les carnets de rendez-vous des praticiens et permis par là même un chemin plus rapide des patients qui en avaient grand besoin vers des praticiens de spécialités en tension. Ces derniers ont accès à des équipements innovants mais coûteux, au bénéfice de la patientèle. Le tout, en bénéficiant de moyens administratifs et structurels plus adaptés, sans oublier un traçage et une visibilité améliorés. Cette consolidation du secteur médical grâce à l’intervention de fonds d’investissement s’est également révélée être un moyen défensif efficace face à l’appétit de grands réseaux d’établissements de soins cherchant à s’emparer – entre autres – des plateaux et moyens technologiques, et même des praticiens qui les exploitent, dans une tentative d’améliorer la profitabilité des capitaux colossaux qu’ils ont investis.
Quelles sont les prochaines étapes pour ImaOne ?
Reza Etessami : Depuis notre ouverture de capital annoncée en septembre dernier, ImaOne a eu de nombreux contacts avec de nouvelles entités radiologiques. Nous sommes sur le point de finaliser deux alliances stratégiques avec l’ambition d’atteindre 100 M€ d’ici fin 2024. Fort de notre partenariat, nous sommes les mieux disant du secteur, mais nous avons surtout la prétention d’être les mieux faisant !