Par Ondine Delaunay
La rédaction des contrats d’acquisition ou de partenariat est au cœur d’une divergence d’approche entre les acteurs des mondes anglo-saxon et romano-germanique.
Quels éléments des contrats donnent plus lieu à contentieux ?
Frédéric Peltier : En matière de contentieux financier ou d’actionnaires, le contrat qui est pourtant l’élément central de la « bible » et qui retrace la longue négociation n’a pas forcément un rôle primordial. Les contrats ne prévoient pas toujours ce qu’il va se passer dans une relation économique. Ce qui est écrit est souvent mis en échec par la réalité de la situation, quelques années plus tard. Cet écart entre ce qui est rédigé et la réalité est l’une des sources principales du contentieux.
Pourtant les contrats semblent de plus en plus précis…
Frédéric Peltier : Ce n’est pas en multipliant les mots dans un contrat qu’il sera doté de qualités divinatoires pour régler toutes les difficultés qui se produiront. Je revendique ma filiation au droit romain qui se satisfait de contrats courts, qui n’ont pas besoin de préciser, par exemple, ci-après le « Contrat » pour savoir de quoi il est question entre les parties, qui n’ont pas non plus besoin d’une majuscule pour les identifier. Un contrat doit poser des principes clairs en évitant d’être tâtillon. Écrire succinctement est plus compliqué que de multiplier des phrases interminables, tout comme rédiger des clauses plus descriptives que fondatrices de droits et d’obligations réciproques. L’empilement des clauses contractuelles nuit à la cohérence et ouvre le champ de l’interprétation, donc de la contestation. Écrire de façon courte et simple invite à la rigueur. La concision doit être synonyme de précision en matière contractuelle.
Constatez-vous une standardisation des techniques contractuelles dans le domaine financier ?
Frédéric Peltier : Ce que je reproche le plus à la technique de rédaction contractuelle à l’anglo-saxonne, c’est qu’elle se standardise. Or dans mon expérience d’avocat qui tout à la fois rédige des contrats et s’occupe de service après-vente de l’exécution, notamment devant les tribunaux, c’est qu’il ne se passe jamais vraiment ce que l’on a tenté de prévoir pendant la négociation. On peut standardiser une rédaction, on ne peut pas standardiser des situations d’exécution contractuelle qui sont toujours uniques, atypiques et singulières. La standardisation éloigne de la réalité et tenter de faire rentrer la réalité dans un standard, rend le contrat inopérant dans la plupart des cas.
Mais un contrat doit prévoir des situations pour encadrer les actes des parties…
Frédéric Peltier : C’est une autre difficulté à laquelle est confronté le rédacteur d’acte, à savoir la réflexion rigoureuse qu’il doit avoir sur l’exécution de l’accord qu’il est en train de négocier. Il doit se poser systématiquement la question de l’efficacité de la voie d’exécution qui permet à son client d’exercer ses droits ou de s’opposer à une extension de ses obligations au-delà de ce qu’il a accepté en signant. C’est là le cœur de l’enjeu de la rédaction du contrat. J’attache beaucoup d’importance à l’exécution des clauses contractuelles qui n’est pas forcément contenue dans la rédaction. Il faut se projeter en s’interrogeant systématiquement sur la meilleure façon pour que le droit soit respecté s’il vient à être contesté.
Les contrats encadrent de plus en plus l’exécution, notamment en prévoyant des notifications, n’est-ce pas là une solution ?
Frédéric Peltier : Une notification est une formalité d’exécution qui n’est pas forcément nécessaire. En revanche elle est toujours le prétexte d’une contestation, elle ouvre une voie de droit pour qui veut aller au procès. Encore une fois, tenter de tout prévoir pour l’encadrer dans le contrat n’est pas forcément la bonne approche.
Alors qu’est-ce que doit prévoir le rédacteur du contrat ?
Frédéric Peltier : À mon sens le cœur de la mission du rédacteur est de s’interroger de façon très concrète sur les modalités de son exécution, c’est là que se jouent les contentieux car le diable aime se loger dans ce type de détails. Donc le rédacteur doit prévoir que le contrat peut ne pas être respecté, c’est là que sa réflexion doit se concentrer sur ce qui n’est pas écrit mais qui sera essentiel dans la vie du contrat.