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Entretien avec Denis Terrien

À quelques jours de l’ouverture de la conférence Gouvernance 2023 organisée par NextStep, le 29 novembre prochain à l’Automobile Club de France, Denis Terrien, président de l’IFA, a répondu aux questions de la rédaction sur les grandes tendances observées actuellement au sein des conseils d’administration du SBF 120.

L’IFA vient de publier la septième édition de son baromètre IFA Ethics & boards post AG 2023. Il propose un panorama de huit ans de transformation de la gouvernance d’entreprise au sein du SBF 120. Que faut-il en retenir ?

La gouvernance française était, il y a environ 20 ans, un peu en retard sur les évolutions constatées dans les autres pays. Elle a, depuis, pris de l’avance par rapport à ses voisins sur un certain nombre de points dont il faut se réjouir, notamment sur les fondamentaux d’une gouvernance responsable permettant de créer une valeur durable. D’abord, la démarche RSE s’installe dans les entreprises du SBF 120 dont elles mesurent et contrôlent aujourd’hui les effets. J’en veux pour preuve le nombre de comités en charge de la RSE, qui a été multiplié par trois entre 2015 et 2023, passant de 25 % à 80 % des entreprises. Le taux est aujourd’hui de 54 % en Grande-Bretagne, 53 % aux États-Unis et 31 % en Allemagne. Le nombre d’entreprises françaises ayant un engagement SBTI1 est passé de 27 % en 2021 à 44 % en 2023. La statistique est bien supérieure à celles de l’Allemagne (29 %) et des États-Unis (33 %). Et le nombre de groupes français dans CDP Climate change (A list) a plus que doublé depuis deux ans, passant de 20 % à 43 %. Elle est globalement alignée avec la Grande-Bretagne (42 %), mais surpasse encore l’Allemagne (31 %) et les États-Unis (34 %).

Réjouissons-nous également d’un nouvel équilibre dans la composition des conseils d’administration du SBF 120, avec une plus grande diversité des profils qu’il s’agisse de genre, d’internationalisation, d’âge et de compétences des membres. Grâce à la loi Copé-Zimmermann, la France est le meilleur élève de l’Europe avec un taux de féminisation des conseils qui atteint 46,6 % en 2023. En outre, quelque 32 % des membres des conseils ont un profil extranational. Cette diversité a eu pour conséquence d’apporter de nouveaux savoir-faire aux conseils d’administration, qui étaient historiquement plutôt composés de profils de directeurs généraux ou financiers. Désormais, apparaissent des compétences en marketing, en ressources humaines, en digital… Ce dont il faut se féliciter. Autre reflet positif de cette diversité : le pourcentage des représentants salariés a doublé, passant de 7 % à près de 14 %. La part des indépendants a également augmenté, passant de 56 à 61 % en huit ans, ce qui me semble fondamental pour une gouvernance équilibrée et responsable.

Quels sont les nouveaux sujets débattus par les conseils d’administration du SBF 120 ?

Après une période de réflexions sur la digitalisation, la RSE a concentré l’attention des conseils ces dernières années. Depuis plusieurs mois, émerge aussi le sujet du partage de la valeur. Aujourd’hui, quelque 77 % d’entreprises du CAC 40 communiquent sur certains éléments du partage de la valeur, principalement sous un angle financier : rémunération des dirigeants, versement des dividendes et investissements majeurs. Au sein de l’IFA, nous avons une vision plus large que ce prisme financier, car l’entreprise crée de la valeur en contribuant aux diverses communautés dans lesquelles elle opère. Ainsi, nous recommandons de prendre en compte la valeur humaine, environnementale, sociale et sociétale qu’elle engendre. Dès lors, sept leviers devraient être débattus par les conseils : la rémunération des salariés, des dirigeants, des actionnaires, mais aussi la politique fiscale, l’investissement matériel et immatériel, la politique d’achat et de sous-traitance et, enfin, la contribution à la société.

Quelles conséquences à la montée en puissance des administrateurs salariés dans les conseils d’administration ?

Depuis la loi dite Rebsamen de 2015, la part des administrateurs représentant les salariés a doublé, passant de 7,1 % à 13,8 %. Elle tend à se stabiliser depuis deux ans. En revanche, leur présence dans les différents comités spécialisés progresse de façon continue : 84,1 % d’entre eux figurent aujourd’hui dans au moins l’un des comités sur les 88 sociétés du SBF 120 éligibles à la loi Pacte. Ce pourcentage n’était que de 66,3 % en 2019. Ils sont à 26 % représentés dans les comités d’audit, à 51 % dans les comités de nomination, 52 % dans les comités RSE et 81 % dans les comités de rémunération (vs. 55 % en 2019).

Là encore, l’IFA a été précurseur en prenant position, dès 2013, en faveur du renforcement de la présence des administrateurs représentant les salariés et des administrateurs représentant les salariés actionnaires. Ils ont une appréhension différente de l’implémentation des décisions, ainsi qu’une compréhension distincte de la façon dont les mesures prises seront communiquées et perçues. Ils ont également une autre approche du partage de la valeur. C’est la diversité des conseils qui encourage le dialogue et améliore la qualité des décisions.

La place de Paris est plutôt divisée sur le say on climate. Quelle est la position de l’IFA ?

Le phénomène de « say on » s’est accéléré depuis 2022. On a beaucoup parlé du say on pay, on débat désormais du say on climate… Je rappelle que l’assemblée générale élit un conseil d’administration, chargé de prendre des décisions dans l’intérêt social. C’est l’organe unique qui peut décider avec cohérence sur des sujets stratégiques. Or, définir la politique RSE de l’entreprise, ou ses objectifs en termes de climat, constitue une partie d’un ensemble d’éléments à analyser comme le budget, la profitabilité, les compétences humaines dont le groupe dispose… Je ne pense pas que tout porteur de parts ait la connaissance suffisante de l’ensemble de ces éléments pour évaluer la bonne décision à prendre. Chaque organe doit tenir sa place dans la gouvernance de l’entreprise. Je suis donc contre le développement des « say on ». Laissons au conseil d’administration la responsabilité de décider de la politique du groupe, tout en informant bien sûr les actionnaires, lors de l’assemblée générale annuelle, du plan d’action élaboré et de son avancée. C’est par cette transparence que se construit la confiance.

Quelles sont vos propositions pour encadrer et fluidifier le dialogue actionnarial, notamment les échanges avec les fonds activistes ?

Les entreprises doivent veiller à maintenir un bon dialogue actionnarial, notamment face à la menace d’une campagne activiste. Les administrateurs et leurs conseils doivent être préparés sur les éléments à communiquer, ou pas. Il est important d’éviter la multiplicité des canaux de communication et de nommer un administrateur référent pour discuter, de façon régulière, avec les principaux actionnaires pour identifier, éventuellement, les angles d’attaque ou en tout cas les sujets d’interrogation. Le conseil d’administration décidera de la personne idoine pour communiquer, qui ne sera pas forcément le président. Il convient de rester à l’écoute de toutes les parties prenantes, mais sans tomber dans l’extrême où le porteur d’une action se croit légitime à redéfinir la stratégie globale de l’entreprise.

En quoi l’IA peut-elle révolutionner la gouvernance des entreprises de demain ?

L’IFA a récemment créé un groupe de travail sur les défis et les dilemmes posés par le développement des systèmes d’intelligence artificielle à la gouvernance. Il publiera son rapport au cours du premier trimestre 2024. L’IA soulève des questions multiples : l’analyse des données, leur utilisation dans les orientations stratégiques majeures, les enjeux d’audit, de mesure des risques et de conformité. Je préfère parler d’« intelligence augmentée » plutôt qu’« artificielle », car la force de l’IA est d’enrichir la réflexion et de renvoyer au conseil certains éléments pour mieux décider. In fine, une entreprise est composée d’hommes et de femmes qui se réunissent pour un projet, avec une culture commune.

Si l’on voit apparaître en Chine certaines initiatives avec des robots prenant la place d’administrateurs, il me semble peu probable que de telles expériences émergent en Europe où le dialogue entre parties prenantes demeure essentiel. L’IA pourra aider, demain, mais il me semble peu probable – et souhaitable – que le robot remplace l’humain à la table du conseil.

 

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