Les chiffres de la défaillance en France sont comme ces fausses bonnes nouvelles qui font craindre le pire. Plus le nombre de procédures baisse, plus les spécialistes des entreprises en difficulté redoutent un effet boomerang d’une ampleur inédite. Après une année 2020 sous perfusion, les données communiquées par Altares concernant le premier trimestre 2021 confirment la poursuite de la tendance baissière en termes du nombre d’ouvertures de procédures collectives pour le 1er semestre 2021 estimée à -32 %. Mais la diminution en nombre de procédures peut se révéler trompeuse car l’année 2021 a d’ores et déjà été marquée par des procédures de taille significative à fort impact social – Office Depot (1 750 salariés), Manoir Industries (1 088 salariés), Appart’City (1 084 salariés), etc – suggérant potentiellement une divergence entre le recul du nombre de procédures et le nombre d’emplois menacés en 2021. « L’occurrence de cet effet boomerang dépend de plusieurs facteurs clés : le maintien des aides, l’attitude des créanciers publics, des banques et des compagnies d’assurance, mais aussi des modalités de remboursement des Prêts Garantis par l’Etat. De plus, la possibilité de recourir à des PGE vient d’être prolongée jusqu’à fin 2021. De fait, nous n’anticipons pas l’apparition des premiers symptômes généralisés avant le 4e trimestre 2021, voire le 1er semestre 2022 », commente Jean-Pascal Beauchamp, associé responsable du département restructuring financier chez Deloitte.
Pédagogie des procédures préventives
Pour éviter un raz-de-marée de restructurations dès l’arrêt des aides, l’État s’active et rassemble l’ensemble des partenaires de l’entreprise dans le cadre d’un plan d’action publié début juin. Aux côtés des banquiers, des greffiers de tribunaux de commerce, des administrateurs judiciaires et des experts-comptables, les commissaires aux comptes ont été mobilisés pour offrir plus de visibilité sur la santé des entreprises dans un contexte où les comptes « covidés » sont difficiles à interpréter. Concrètement, les CAC s’engagent à proposer gratuitement à leurs clients ainsi qu’aux chefs d’entreprise qui le souhaitent un entretien de diagnostic de sortie de crise destiné à effectuer un premier état des lieux partagé de la santé financière de l’entreprise et de ses difficultés potentielles. Parallèlement, ils proposent aux entreprises une mission contractuelle « prévention et relation de confiance », reposant sur une analyse de la situation financière de l’entreprise. Dans le cadre de cette mission, le commissaire aux comptes établit un rapport et, en fonction des besoins, des attestations destinées aux partenaires de l’entreprise. En cas d’incertitude sur la continuité d’exploitation, le commissaire aux comptes sensibilise le dirigeant sur les risques associés et l’informe des dispositifs de traitement de ses difficultés. « Nous avons un rôle de pédagogie auprès des dirigeants d’entreprises en difficultés pour décrypter l’arsenal de procédures préventives et désamorcer leur peur d’aller au tribunal de commerce », souligne Jean-Charles Boucher, associé du réseau d’audit, d’expertise-comptable et conseil RSM. Malgré un taux de réussite de 70 à 80 %, les procédures amiables peinent encore à convaincre les dirigeants de PME et ETI. Selon les chiffres de l’étude Altares, les procédures amiables ont encore baissé de 10 % en 2020, tandis que le nombre de salariés concerné a, lui, été multiplié par trois, preuve de l’accaparation de ce dispositif par les grosses structures.
Or, en ces temps exceptionnels où les bilans présentent des résultats dégradés qui ne détourent pas « l’effet Covid-19 », la communication financière revêt une importance-clé pour éclairer les lecteurs des comptes sur la réalité de l’état de santé des entreprises. « Le rôle du CAC dans la certification des comptes porte sur l’image fidèle qu’ils donnent dans le cadre d’une activité en croisière, résume Jean-Charles Boucher. Dans le contexte d’incertitude actuelle, l’analyse est plus affinée en fonction des différents scénarios de reprise et les procédures d’alerte sont également adaptées dans un processus qui monte crescendo d’une nouvelle phase 0 – diagnostic avec les dirigeants et inventaire des dispositifs existants – à la phase 3 lorsque le CAC estime que la continuation d’exploitation est compromise ». Cela permet à l’entreprise de s’organiser et de solliciter, si les conditions le permettent, un PGE, des reports d’échéances, etc.
Des éléments d’assurance pour les tiers
« Il est de notre devoir de commissaires aux comptes d’alerter les entreprises sur l’exigence très forte de leur écosystème en termes de transparence et de qualité de l’information financière, indispensables à la prise de décision dans le contexte Covid », déclarait Yannick Olivier, président de la CNCC (Compagnie Nationale des Commissaires aux Comptes), lors de la parution des propositions de l’association professionnelle pour soutenir le plan de relance en avril dernier. « Nous nous sommes notamment rapprochés de la Banque de France et de réseaux bancaires pour pouvoir sensibiliser au mieux nos clients sur les éléments d’information essentiels à fournir dans le cadre des process de notation des entreprises ». Pour permettre aux entreprises de sécuriser le maintien de leurs financements ou leur accès à de nouveaux financements, pour aider les institutions publiques et les acteurs bancaires et financiers à sécuriser l’allocation des fonds qui porteront la relance tout en limitant le risque qu’ils soient alloués à fonds perdus à des entreprises présentant un risque majeur de défaillance ou dont le projet n’est pas au service d’une croissance durable, la CNCC propose que les commissaires aux comptes puissent fournir des éléments d’assurance sur les données communiquées par les entreprises. Ainsi, la CNCC propose la mobilisation des commissaires aux comptes pour éclairer les parties prenantes sur la santé financière des entreprises autour de deux axes. Primo, un « devoir de prévention » pour celles dont l’activité est compromise au point de nécessiter d’être dirigée vers les dispositifs appropriés. L’objectif est alors d’éviter d’une part une utilisation inutile des fonds publics et, d’autre part, des effets collatéraux sur d’autres entreprises, pouvant notamment entraîner à terme des faillites en cascade. Pour les entreprises dont l’activité est altérée mais pas au point de menacer leur viabilité, l’association des commissaires aux comptes propose une mission « relation de confiance ». L’objectif est de rassurer l’écosystème de l’entité dans le contexte de crise en lui délivrant des attestations (basées sur des informations portant sur la situation financière de l’entreprise ou ses données prévisionnelles) afin de conforter ou restaurer la confiance des partenaires.
Par Houda El Boudrari