Pour ses quarante ans cette année, Mondial Tissus s’offre une nouvelle jeunesse. Surfant sur la mode du « do it yourself », l’enseigne a connu une croissance fulgurante ces derniers mois, dopée par la crise sanitaire et l’afflux massif de couturiers en herbe sur la confection de masques, sans parler des vocations de décorateur d’intérieur et de stylistes maison nées pendant le confinement. En 2020, le numéro un français de la vente de tissus au mètre a ainsi vu son activité progresser de 25 % pour atteindre 140 M€ de volume d’affaires, portée par l’ouverture d’une quinzaine de magasins, dont la moitié en franchise. Le groupe implanté historiquement dans les centres commerciaux périurbains, a inauguré cette année son premier magasin et centième du réseau, à Paris, rue du Commerce, dans le quinzième arrondissement, et s’est même lancé à la conquête des voisins européens en mettant la main en juin dernier sur la chaîne belge Mondial Textile et ses huit magasins en Wallonie réalisant 10 M€ de chiffre d’affaires.
La ringardisation des années 2000. Une sacrée « remontada » pour une enseigne dont le déclin semblait irréversible dans les années 2010 au moment de sa reprise par un entrepreneur de la grande distribution, Denis Lévy, ex-master-franchisé de Franprix et Leader Price, qui en a confié les manettes opérationnelles à Bernard Cherqui, ancien DGA ressources humaines des deux chaines filiales de Casino. À l’époque, l’enseigne créée par la famille lyonnaise Jacquard dans les années 80 végétait dans le portefeuille d’Apax qui l’avait rachetée en 2005 aux fonds Partenaires de la galaxie Lazard, dans le même panier que la chaîne de confection de rideaux sur mesure Heytens. Or, les années 2000 avaient sonné le glas du modèle qui avait fait la prospérité de Mondial Tissus pendant ses deux premières décennies : acheter aux industriels des fins de tissus au kilo pour les revendre au mètre en magasin. L’entreprise était confrontée à la fois au vieillissement de sa clientèle historique de couturières et à la crise de l’industrie textile qui décimait ses fournisseurs. Le pari était donc risqué pour le duo de repreneurs à un moment où les évolutions sociétales étaient encore loin d’annoncer le retour du « fait maison » et la « glamourisation » du cousu main.
« Nous avons eu l’intuition que nous pouvions renouveler le concept », confie Bernard Cherqui, qui avoue tout de même que les efforts de restructuration ont mis du temps à porter leurs fruits. « Pendant trois ans, ça ne marchait pas. Quand on ouvrait un nouveau magasin, il ne se passait rien », reconnaît-il. Pourtant, le réseau de magasins a été repensé de A à Z, les stocks colossaux ont subi une cure d’amaigrissement, une supply chain de 10 000 mètres carrés d’entrepôts est venue en renfort, les achats recentrés sur un portefeuille réduit de fournisseurs et enfin une véritable direction marketing a vu le jour pour conquérir une nouvelle clientèle. « Nous étions le leader du marché par défaut, nous avons décidé de devenir actif et de recréer notre marché en lançant une véritable plateforme de marque », raconte le président de Mondial Tissus. Et voici donc l’ancienne marque ringarde qui modernise sa communication, sponsorise l’émission « Cousu Main » sur M6 animée par la populaire Cristina Cordula, lance des cahiers de tendance, et peaufine un marketing affinitaire en fédérant des communautés sur les réseaux sociaux autour du nouvel engouement pour la couture et la décoration d’intérieur.
Le retour en grâce des machines à coudre. En 2015, l’entreprise renoue enfin avec la rentabilité et le frémissement de la croissance se fait sentir à partir de 2016, année à laquelle la chaîne s’est ouverte à la franchise avec un premier magasin à Évreux, suivi d’une quinzaine d’autres ouvertures de franchisés. Entre 2015 et 2019, le chiffre d’affaires passe de 85 à 104 M€, au fur et à mesure que le parc de magasins grossit et que le modèle se stabilise. Et la première incursion à l’étranger se fait en Allemagne, avec l’ouverture d’une boutique à Stuttgart en 2019, avant le rachat du réseau wallon Mondial Textiles au printemps 2021. « Le projet est de dupliquer la réussite du modèle Mondial Tissus dans d’autres pays européens où le marché est encore très atomisé avec de petites enseignes de quelques magasins », affirme Bernard Cherqui, qui continue également à tisser sa toile en France avec un objectif de 150 magasins en 2025, contre 111 aujourd’hui.
Si l’enseigne pouvait craindre la retombée de la « folie des masques » et des achats frénétiques de machines à coudre pendant la crise sanitaire, ses perspectives d’activité sur l’année 2021 se maintiennent à un étiage élevé. Il faut croire qu’après les avoir reléguées au grenier dans les années 70, les Français ont progressivement renoué avec leurs Singer tombées en désuétude, à la faveur du développement des loisirs créatifs et des émissions de déco à la télévision à partir des années 2014/2015. Un retour en grâce qui a connu son apogée pendant la crise du covid : Mondial Tissus en a vendu 7 fois plus en mai 2020 par rapport à 2019 ! Et une fois qu’on a acheté sa machine à coudre pour fabriquer des masques ou tromper l’ennui pendant le confinement, qu’on a réussi à dompter la bête à coups de tutos en ligne ou d’atelier couture qui foisonnent dans les villes et les campagnes, autant s’en servir pour habiller son intérieur, voire sa progéniture pour les plus téméraires… Le pli semble donc être pris d’un mode de consommation à cheval entre deux tendances de fonds : le « do it yourself » et l’écologie avec des produits plus durables, personnalisables, réparables et recyclables. « Ce sont de profondes mutations sociétales qui permettent de s’adresser, en plus de notre clientèle historique de couturières expertes, à une nouvelle génération de consommatrices en quête d’une consommation écoresponsable », confirme Bernard Cherqui. Après avoir lancé son propre concept d’ateliers couture, qui a formé plus de 15 000 personnes en 2020, Mondial Tissus expérimente la mise à disposition gratuite des machines en libre-service quand celles-ci ne servent pas à un atelier. L’enseigne se verrait presque comme une espèce de tiers-lieu organisant des café-philos autour de la couture. On est loin des hangars à tissus low-cost des débuts… Mondial Tissus ne veut pas non plus passer à côté du marché de la « seconde main » et planche sur la viabilisation d’un modèle d’up-cycling avec une offre de troc au kilo. Les clients apportent du tissu dont ils n’ont plus l’usage, qui sera revendu à des couturiers cherchant des chutes, en échange de bons d’achats. De quoi resserrer les liens avec les 1,5 million de clients membres de son programme de fidélité et qui viennent en moyenne quatre fois par an.
Par Houda El Boudrari