Moribond il y a trois ans, le numéro un français du graphite synthétique affiche aujourd’hui une santé éclatante, grâce au traitement de choc administré par son repreneur, le spécialise du retournement Alandia Industries.
Réussir en moins de trois ans à passer d’une perte de 30 % à une rentabilité de 10 %, tout en doublant quasiment le chiffre d’affaires et en investissant en force dans le renouvellement de l’outil de production et la R&D, tel est l’exploit d’Alandia Industries, qui a pris les rênes de la destinée de Carbone Savoie en 2016, après des années de déclin dans le giron de Rio Tinto. On a l’habitude des cycles longs, de l’inertie structurelle, et des besoins d’investissement colossaux qui rendent incertaine toute tentative de retournement dans le secteur de l’industrie. Beaucoup de professionnels du restructuring, et non des moindres, s’y sont cassé les dents, plus coutumiers des échecs retentissants, des feuilletons à rebondissements et des dossiers boomerang que des « success stories » à la vitesse de l’éclair. Le prix Ulysse décerné cette année à Carbone Savoie est venu démentir cette fatalité de la désindustrialisation française. Grâce au plan de redressement mis en place, la production du fleuron français de la conception et la fabrication de carbone et de graphite synthétique est passée de 20 000 tonnes en 2016 à 32 000 tonnes en 2018, son chiffre d’affaires a grimpé de 60 millions d’euros en 2016 à 113 millions en 2018 et surtout, sa situation financière s’est radicalement redressée. Alors qu’elle perdait 29 millions en 2015, son Ebidta a été positif de 3 millions en 2017 et devrait s’établir à 7 millions en 2018.
Chiffres-clés
2016. Reprise par Alandia Industries auprès du groupe Rio Tinto, via une opération de spin off.
60 M€. de chiffre d’affaires en 2016.
113 M€. de chiffre d’affaires en 2018 pour un Ebitda de 7 M.
Retrouver l’agilité d’une PME. Quel est donc le secret de cette résurrection presque miraculeuse ? Sur ses 120 ans d’existence, Carbone Savoie a vécu quelque 70 ans dans le giron de grands groupes, ballottée de division de Pechiney-Alcan à filiale non stratégique de Rio Tinto. Quand ce dernier décide enfin de s’en délester en 2015, l’entreprise était en très forte perte. Autant dire que les candidats à la reprise ne se bousculaient pas au portillon. « Nous avions bâti notre conviction sur la base de trois principaux éléments : un savoir-faire de niche reconnu au niveau mondial et avec de fortes barrières à l’entrée, l’absence de concurrents directs dans des pays à bas coûts, et la capacité de l’entreprise, une fois retrouvée son agilité de PME, à diversifier son offre et se positionner sur de nouveaux marchés », énumère Nicolas de Germay, président d’Alandia Industries, qui ne cache pas qu’il a aussi fallu « un petit grain de folie » pour se lancer dans cette aventure. Car le spécialiste du retournement n’a pas été accueilli à bras ouverts par les syndicats de Carbone Savoie, échaudés par leur longue descente aux enfers sous l’ère Rio Tinto et partagés entre le soulagement d’être enfin détenus par un actionnaire impliqué et l’appréhension de quitter les conditions protectrices d’un grand groupe. « Obtenir l’adhésion des salariés a été notre priorité la plus urgente », insiste Nicolas de Germay, qui a déployé « la méthode Alandia Industries » qui peut se résumer en cinq points : « une lucidité partagée sur le diagnostic, un plan de retournement clair et compréhensible par tous, une transparence totale dans la communication en intégrant notamment des représentants du personnel dans le conseil de surveillance de l’entreprise, le partage des efforts avec une réduction de la rémunération du management dont le nouveau président, un associé d’Alandia Industries, qui a pris les manettes opérationnelles avec un salaire abaissé de 40 % par rapport à son prédécesseur, et enfin le partage des fruits du redressement avec la mise en place d’un plan d’intéressement qui s’est concrétisé dès 2017 avec une prime supérieure à 1 200 euros par salarié (qui a atteint 5 500 au titre de 2018), ainsi qu’une ouverture de 5 % du capital souscrite par 92 % des salariés de l’entreprise. »
Investissements d’avenir. Mais avant de cueillir les fruits du retournement et les partager, Alandia Industries a d’abord investi dans la modernisation de l’outil de production. « Il a fallu beaucoup travailler pour restaurer la compétitivité de l’usine qui ne tournait qu’à 60 % de sa capacité à notre arrivée, donc la priorité a été de saturer l’outil de production, en allant à la rencontre des clients pour leur proposer des produits sur-mesure et reconquérir des parts de marché, retrace Nicolas de Germay. Nous avons pris l’exact contre-pied de ce qui avait été fait par les actionnaires antérieurs qui abandonnaient les marchés sur lesquels ils étaient attaqués. » Sur l’enveloppe de 30 millions d’euros d’investissement sur quatre ans allouée initialement par l’actionnaire, 15 millions d’euros ont déjà été déployés dans l’amélioration et l’informatisation des procédés, l’automatisation et la robotisation de la production. Les trois quarts ont été réalisés à Notre-Dame-de-Briançon en Savoie, un quart sur le site de Vénissieux, dans le département du Rhône. Ces investissements ont permis de réduire de 15 % les prix de revient et d’accroître le niveau de production. Devant les résultats probants de cette première phase, Alandia Industries n’a pas décidé de réduire la voilure, bien au contraire : le plan d’investissement initial vient d’être rehaussé de 10 millions d’euros pour augmenter la capacité de production de 20 % et renforcer la diversification de l’entreprise dans le graphite synthétique de spécialité, qui réduit la dépendance de Carbone Savoie aux cycles de l’industrie de l’aluminium en lui donnant accès à des débouchés dans l’industrie automobile, spatiale, aéronautique, ferroviaire. Ses équipes de R&D planchent aujourd’hui sur la prochaine génération de produits en graphite synthétique, notamment des graphites de spécialité et de poudres de graphite pouvant être utilisés notamment dans les batteries électriques en lithium-ion. « 20 % des activités que nous réaliserons en 2019 n’existaient pas en 2016 », s’enorgueillissait Sébastien Gauthier, président de la société savoyarde, et associé d’Alandia, lors de la remise du prix Ulysse. Le temps est venu pour le jeune quadra, qui a mis les mains dans le cambouis pendant trois ans, de prendre du champ de l’opérationnel avec le recrutement d’un nouveau directeur général, venu d’Eramet, Joseph Bertin. Avec le sentiment du devoir accompli, même si la sortie pour Alandia n’est pas encore à l’ordre du jour, histoire de savourer encore un peu les fruits d’un retournement réussi, avant de céder la main à un actionnaire plus classique.