Fonds de dette, créanciers obligataires ou bancaires sont de moins en moins « compréhensifs » dans les négociations, pressés de tailler dans le vif pour redimensionner la dette et évincer « manu militari » les actionnaires défaillants.
Quelques mois à peine après l’épuration des derniers dossiers de restructuring du cycle 2009-2014, une nouvelle vague de lender-led se prépare. Les sociétés cotées sont, cette fois-ci, en avant-phase par rapport aux entreprises sous LBO. À commencer par les entreprises du secteur parapétrolier acculées à redimensionner des dettes devenues insoutenables au regard de la chute inexorable de leur activité. Après CGG et son equity swap à deux milliards d’euros il y a 18 mois, c’est au tour du spécialiste de services maritimes pour l’industrie pétrolière Bourbon de plancher sur la restructuration de sa dette de 2,5 milliards d’euros. Les négociations avec ses créanciers devraient aboutir cet été avec un schéma de conversion de dette en capital et d’apport de new money pour redimensionner la structure financière à la chute d’activité du groupe marseillais, durement affecté par la baisse des investissements des sociétés pétrolières depuis la dégringolade du prix du baril il y a quatre ans. Son chiffre d’affaires a fondu de 40 % en deux ans, tombant à moins de 900 millions d’euros, et son Ebitda a été divisé par cinq depuis 2014. Pour l’heure, les différentes options à l’étude seraient l’offre du fonds de dette Hayfin, et celle du consortium de hedge funds américains Davidson Kempner, Värde et Centerbridge. Une troisième voie se dessinerait également autour de la prise de contrôle par les créanciers bancaires de l’entreprise, dont BNP Paribas, Société Générale, Natixis et la banque chinoise ICBC, qui seraient prêts à prendre les clés plutôt que de consentir au write-off des deux-tiers du montant de la dette dans le scénario d’une reprise par les fonds.
Fin de la frilosité des banques ? Une attitude qui tranche avec la frilosité habituelle des créanciers bancaires, tétanisés par la crainte de s’exposer à un risque de réputation majeur dans le cas d’une casse sociale et à des problèmes de gouvernance liés à un mélange des genres actionnaire/créancier. À de rares exceptions près, comme pour la restructuration de la Saur, la plupart des banques françaises refusent catégoriquement de passer du côté des actionnaires. Dans le cas du fournisseur d’eau, le « lender-led » s’est conclu en 2013 par l’éviction des actionnaires historiques Ardian, Bpifrance, Séché Environnement et Cube Infrastructure au profit de BNP Paribas, BPCE et la Royal Bank of Scotland. Cinq ans plus tard, le numéro trois français de la gestion de l’eau a été valorisé quelque 1,5 milliard d’euros par le fonds suédois d’infrastructure EQT, signant un épilogue heureux de cette première exposition bancaire au lender-led. Cette « happy-end » fera-t-elle des émules auprès des banques, qui pourraient désormais préférer monter au créneau plutôt que céder en masse leurs positions dans les entreprises en difficulté à des fonds anglo-saxons de dette décotée plus enclins à prendre les clés ? Ces derniers sont d’ailleurs de moins en moins « compréhensifs » dans les négociations, pressés de tailler dans le vif pour redimensionner des dettes sur des scenarios plus réalistes et ne plus faire traîner des restructurations qui s’éternisent. En témoigne le bras de fer qui a opposé les actionnaires et les créanciers de Camaïeu cet automne. Les actionnaires de Modacin, la holding propriétaire de l’enseigne de prêt-à-porter, n’ont pas hésité à placer la société en sauvegarde le 15 octobre auprès du tribunal de commerce de Lille afin de contrer la prise de contrôle par les créanciers. Deux ans après avoir divisé la dette par deux (de près d’un milliard à 462 millions d’euros) lors d’un premier lender-led, la première chaîne française d’habillement féminin n’a pas respecté les clauses de l’accord de 2016, qui obligeait les actionnaires regroupés dans une fiducie à céder l’entreprise aux créanciers dès que la rentabilité d’exploitation passait sous la barre des 75 millions d’euros. Autant dire que la mise en sauvegarde pour échapper à l’application de cet accord a eu du mal à passer, et les actionnaires historiques du LBO de 2007 (Cinven allié aux deux hedge funds Boussard & Gavaudan et Polygon), ainsi que ceux qui ont converti leur dette en capital lors de la restructuration de 2016 (Centerbridge et Barclays) ont accepté finalement en décembre de se faire évincer du capital dans un nouveau debt-to-equity swap qui fait table rase des 459 millions d’euros de dette résiduelle. Les créanciers seniors, sous l’égide de CVC, Farallon et Carval Investors, ont donc pris le contrôle de 100 % du capital et des droits de vote et injecté 35 à 45 millions d’euros de « new money » pour aider l’enseigne à surmonter les difficultés du secteur du textile français qui n’en finit pas d’essuyer les plâtres des LBO mal calibrés.
Les fonds distressed aux aguets. À la même période, IKKS est également passé sous le contrôle de ses créanciers obligataires, évinçant LBO France de son capital dont il détenait la majorité depuis 2015. L’accord d’equiy swap a été signé avec un groupe « ad hoc » composé de trois fonds américains – Avenue Capital, CarVal Investors et Marathon Asset Management –, représentant 42 % des 320 M€ de high yield bonds d’IKKS. Il prévoit aussi l’injection de 70 millions d’euros d’argent frais sous forme de super senior et une clause de retour à meilleure fortune pour les actionnaires rincés. La preuve que les créanciers, quelle que soit leur typologie, sont prêts à s’engouffrer dans la moindre brèche et ne s’embarrassent plus de scrupules pour prendre la place des actionnaires défaillants.
Dans tous les cas, les expériences de ces dernières années tendent à privilégier des mesures plus radicales que les rustines mises en place lors des premiers dossiers de restructuration. Car, d’une part, on a atteint les limites du schéma des « amend-&-extend » qui ne font que repousser la poussière sous le tapis en pariant sur des jours meilleurs, et d’autre part l’afflux de liquidités venues d’Outre-Atlantique a aussi abreuvé le « distressed » et animé le marché de la dette décotée. La complexification des structures de dettes actuelles comportant plusieurs tranches portées par des fonds devrait aussi faciliter la prise de contrôle par des acteurs dont le mandat permet une porosité entre l’equity et la dette. Pour les banques, la présence au tour de table de ces acteurs hybrides offre une alternative intéressante à l’actionnariat historique défaillant. « Notre arrivée dans le tour de table peut débloquer des situations enlisées entre des prêteurs qui souhaitent sortir et un sponsor arrivé en fin de durée de détention et incapable de remettre de la new money, soutient un fonds de dette qui intervient aussi bien en distressed qu’in bonis. Nous sommes prêts à accompagner le management dans un horizon de trois à cinq ans, avec un mode d’intervention flexible et une possibilité de remettre de l’argent le cas échéant pour soutenir la croissance. » Car les fonds alternatifs ont une approche très différente des banquiers historiques de la dette senior qui refilent le bébé aux affaires spéciales et ne pensent qu’à limiter la casse. Le rachat de la dette au rabais leur donne des marges de manœuvre pour financer le retournement, puisqu’avec un remboursement au nominal, ils ont déjà de belles performances. Sans compter qu’ils disposent d’une puissance de feu dont peu d’acteurs français du retournement peuvent se prévaloir, et une flexibilité dans les modes d’intervention.