C’est la fin de la traversée du désert pour Novasep. Après avoir été en 2012 la première entreprise française sous LBO à passer sous le contrôle de ses créanciers high yield, le sous-traitant pharmaceutique lyonnais s’apprête à rembourser intégralement sa dette de 250 M€ largement couverte par la cession en début d’année de son activité chromatographie à l’allemand Sartorius et surtout de sa filiale belge de production de vecteurs viraux. Cette dernière, qui a remporté le contrat de production pour l’Europe du vaccin anti-covid d’AstraZeneca, a été valorisée 725 M€, soit près de 10 fois son chiffre d’affaires de 80 M€, par l’américain Thermo Fisher. « C’est l’aboutissement de négociations entamées avec Thermo Fisher avant la crise sanitaire tout début 2020 et le résultat d’un repositionnement volontariste sur les vecteurs viraux », commente Michel Spagnol, président de Novasep, qui ne peut que se féliciter d’avoir résisté à la pression de vendre cette filiale à son arrivée en 2013, mandaté par les actionnaires de l’ETI surendettée pour mener sa restructuration. Plutôt que de démembrer le groupe, comme c’était probablement attendu des financiers ayant racheté la dette décotée pour empocher la plus-value en quelques mois, Michel Spagnol a réussi à convaincre ses actionnaires de transformer sa feuille de route en redéploiement et développement de marchés de niches. Aujourd’hui, l’ETI lyonnaise affiche tous les voyants au vert avec un chiffre d’affaires 2020 en hausse de 46 % à près de 400 M€ et un Ebitda qui explose à + 174 % pour atteindre 63 M€. Neuf ans après son lender-led, Novasep peut donc enfin récompenser la patience de ses actionnaires atypiques qui se sont révélés bien plus avisés que leurs prédécesseurs, dont le LBO mal calibré a failli signer l’arrêt de mort de cette pépite française.
La descente aux enfers
Début 2007, le fonds néerlandais Gilde Buy Out organise le carve-out de Novasep du spécialiste de chimie américain Rockwood pour une valorisation de 425 M€ (8 fois l’Ebitda 2006) et invite à ses côtés Azulis et BNP Paribas. Le montage financier comporte une dette senior de 310 M€ qui fera l’objet d’un refinancement deux ans plus tard sur le marché obligataire. En décembre 2009, Novasep a donc placé l’équivalent de 370 M€ à sept ans en deux tranches. Une démarche peu orthodoxe en France où les sociétés de cette taille font rarement appel au high-yield, financement périlleux qui permet à l’émetteur de se libérer de « covenants » contraignants mais non sans quelques revers à la médaille : multiplicité des porteurs de titres, liquidité de titres eux-mêmes "tradés" de manière quotidienne à la bourse de Luxembourg, documentation de droit US et enfin publicité de l’information financière propre à toute structure ayant émis des titres cotés… Autant dire qu’au moindre faux pas, la souplesse se transforme en épée de Damoclès. Et c’est ce qui arrive dès fin 2010 quand des clients Big Pharma de Novasep renégocient leurs contrats à la baisse, mettant leurs fournisseurs sous pression et provoquant chez l’industriel une chute de l’Ebitda de plus de 25 %. Mi-juin 2011, Novasep est contraint de décaler une échéance de paiement de son emprunt obligataire et ouvre une procédure de mandat ad hoc, subissant par conséquent la dégradation de sa note par Standard & Poor’s. Saisi du dossier, le Ciri le transmet à l’ancêtre de Bpifrance, le FSI, qui endosse le rôle de chevalier blanc pour sauver l’ETI française en injectant 30 M€ dans la reconfiguration du tour de table, évinçant les sponsors historiques et donnant le contrôle du capital au consortium de créanciers obligataires menés par Tennenbaum (racheté depuis par BlackRock) et Silverpoint. Et voici comment Novasep défraie la chronique en inaugurant au printemps 2012 la première conversion de dette high yield en capital.
La remontée en deux temps
La restructuration financière a, sans surprise, coûté sa tête au patron de l’époque Roger-Marc Nicoud, d’abord au profit d’un cadre en interne, Patrick Glaser, nommé président en 2012 puis remplacé un an plus tard par le dirigeant actuel Michel Spagnol, ancien cadre de Rhodia, où il a passé vingt ans dont les dernières années à la tête de l’activité façonnage, Rhodia Pharma Solution. Cet ingénieur chimiste, au profil à la fois scientifique et industriel, opte tout d’abord pour une stratégie de recentrage baptisée « back to basics », qui permet au spécialiste de principes actifs et de technologies de purification pour la pharmacie de renouer avec la croissance du chiffre d’affaires dès 2015 et redresser sa marge d’Ebitda. La logique aurait voulu que les actionnaires en profitent pour tirer leur révérence lors du refinancement réalisé fin 2016 qui desserre l’étau financier autour de l’ETI lyonnaise. Mais l’ironie de l’histoire est que Bpifrance s’éclipsera discrètement de l’actionnariat bien avant ses coactionnaires anglo-saxons. Après avoir donné un mandat de cession à Lazard en 2018, les fonds distressed menés par BlackRock et SilverPoint ont finalement décidé de rester à bord, convaincus que les fruits de la stratégie menée par Michel Spagnol n’étaient pas encore arrivés à maturité.
Et la suite de l’histoire leur donnera raison. Le plan stratégique Rise 2, déployé en 2016 visait à doubler l’Ebitda du groupe à 60 millions en 2022 et poursuivre le « deleveraging » de la dette. Pour ce faire, Novasep a investi plus de 50 M€ dans son unité belge de production de vecteurs viraux et repositionné son activité de CDMO de petites molécules sur le développement de projets en phase 2 et phase 3. « Une stratégie exigeante qui a augmenté dans un premier temps nos coûts de structures et bridé notre rentabilité avant de porter largement ses fruits avec deux ans d’avance », se félicite Michel Spagnol. Les résultats 2020 affichent effectivement un Ebitda de 63 M€ et les plus-values de cession permettent un désendettement total du groupe, sans pour autant compromettre le cœur de son activité, puisque Novasep dispose encore d’un périmètre de 350 M€ de revenus. La stratégie de recentrage sur l’activité CDMO de petites molécules basée sur le site de Chasse-sur-Rhône a été couronnée de succès avec l’approbation d’une dizaine de molécules sous-traitées chez Novasep dans les années 2018/2019, et conduit le groupe lyonnais à se délester sans remord de ses autres activités : la chromatographie pour un périmètre de 37 M€ de revenus à Sartorius et la production de vecteurs viraux qui rejoint donc le groupe américain Thermo Fisher, avec ses 25 Mds$ de revenus annuels. « Nous avons cédé les activités dans lesquelles nous étions en concurrence avec des géants mondiaux pour donner un nouvel élan à notre métier de production de petites molécules qui a connu de son côté une forte croissance organique de 37 % en 2020, croissance que nous comptons consolider via une stratégie d’acquisitions ciblées lors du prochain cycle de développement », conclut le président de Novasep, prêt à écrire un nouveau chapitre moins tourmenté de cette histoire industrielle.
Par Houda El Boudrari