En juin dernier, la Cour d’appel de Paris a donné raison au magazine « Challenges », condamné en 2018 pour avoir révélé que Conforama était en mandat ad hoc. Un électrochoc dans le microcosme du restructuring, d’autant que la jurisprudence antérieure semblait privilégier la confidentialité des procédures amiables à la liberté d’expression avec notamment la condamnation par la Cour de Cassation du site Mergermarket pour la divulgation du mandat ad hoc de Consolis. Dans ce cas précis, la cour a relevé que l’obligation de confidentialité « se justifie par la nécessaire protection due aux entreprises engagées dans un processus de négociation avec leurs créanciers, une telle divulgation étant de nature à compromettre le succès du processus en cours, voire la pérennité de l’entreprise ». L’affaire Conforama n’a vraisemblablement pas bénéficié de la même interprétation, notamment du fait que les déboires de Steinhoff, la maison mère de l’enseigne d’ameublement française, étaient déjà largement connus. Ainsi, pour la Cour d’appel de Paris, il n’était en rien évident que la divulgation par Challenge de la rumeur que l’enseigne était sous procédure amiable « ait pu compromettre les chances de succès de la procédure de mandat ad hoc, tant il est vrai que pour les professionnels en relation d’affaires avec le groupe Conforama, elle n’ajoute pas vraiment aux renseignements déjà largement diffusés sur les difficultés financières traversées par le groupe ». Autrement dit, la remise en cause de la confidentialité des procédures préventives reste liée à des conditions exceptionnelles et sera jugée au cas par cas en fonction du tort qu’elle pourrait causer aux entreprises qui en sont victimes. Et c’est tant mieux pour la plupart des praticiens du secteur. « L’introduction de la confidentialité dans le cadre des procédures amiables a permis de sauver des milliers d’entreprises », plaide Thierry Grimaux, associé du cabinet de managers de transition Valtus, qui rappelle qu’avant ce dispositif préventif assez unique en Europe, les entreprises en difficultés étaient presque inéluctablement destinées à la faillite. Car ces procédures préventives ont prouvé leur efficacité dans le sauvetage pérenne des entreprises : 70 % des mandats ad hoc aboutissent à un « happy end » tandis que 90 % des RJ s’achèvent en liquidations. Et selon une étude Deloitte/Altares sur l’entreprise en difficulté publiée en avril 2019 (donc un an avant la crise sanitaire), le nombre de procédures amiables ouvertes en 2018 est au plus haut niveau de ces cinq dernières années à 1 190 procédures ouvertes. Cette hausse concerne en premier lieu les mandats ad hoc (+22 % vs 2017) et dans une moindre mesure les procédures de conciliation (+8 % vs 2017). Or, le succès de ces procédures amiables tient essentiellement à leur caractère confidentiel qui incite les dirigeants à mettre en place des mesures préventives sans la menace que leurs difficultés soient étalées sur la place publique. Car si certains détracteurs de la règle absolue du secret lui imputent l’instauration d’un climat de défiance entre l’entreprise et ses propres investisseurs et une forme d’impunité pour les managers qui masquent la réalité de leurs difficultés financières, la plupart des praticiens jugent que la confidentialité est une condition sine qua non à la réussite de l’arsenal préventif.
"La confidentialité n’est pas incompatible avec la transparence. " Thierry Grimaux, associé du cabinet de managers de transition Valtus.
Gagner du temps
« En permettant au débiteur de poursuivre son activité opérationnelle dans des conditions normales, tout en négociant parallèlement avec ses créanciers financiers la restructuration de sa dette, la règle de confidentialité lui évite un arrêt brutal du financement de ses activités et le déclenchement d’une prophétie autoréalisatrice à l’annonce des premières difficultés », juge une avocate spécialisée. La règle de confidentialité permet ainsi de gagner du temps en dissimulant la vérité sur la gravité de la situation aux fournisseurs, aux clients ainsi qu’aux assureurs crédits qui n’hésitent pas à « black-lister » les entreprises au moindre soupçon de défaut. « Dans certains secteurs, la rumeur et la crainte des difficultés tuent instantanément », rappelle Thierry Grimaux, qui loue l’exemplarité des professionnels du restructuring veillant scrupuleusement à sauvegarder le secret de leurs dossiers. Car la tentation de divulguer des informations confidentielles est humaine, surtout quand il s’agit de dossiers grand public où l’on serait enclin à déconseiller à son beau-père de réserver sur tel tour operator dont les difficultés ne sont pas encore connues, ou même dans le cadre professionnel où des précautions insuffisantes pourraient faire filtrer des informations sensibles auprès des collaborateurs d’autres départements. Ce n’est donc pas un hasard si les affaires spéciales des banques sont logées dans des sites isolés ou que les conseils en restrucuring adoptent des ruses de sioux pour que leurs clients restent anonymes, même auprès de leurs proches collaborateurs qui ont droit à des noms de codes pour désigner les différents dossiers sur lesquels ils travaillent.
Transparence et confidentialité ne sont pas incompatibles
« Quand je contacte un manager de transition pressenti pour un dossier, je lui fais d’abord signer un NDA (accord de non-divulgation) avant de commencer toute discussion », précise Thierry Grimaux. Un culte de la confidentialité qui peut parfois déboucher sur des comportements schizophréniques, comme ces dirigeants qui réclament de mettre en place des mesures radicales sans que ça se sache… Or, les salariés ne sont pas dupes, quand les choses vont mal, ils sont en général les premiers à le savoir, donc il est inutile de se cacher derrière son petit doigt. « La confidentialité n’est pas incompatible avec la transparence », soutient Thierry Grimaux. Il y a un temps pour tout : celui où l’on doit maintenir des tractations secrètes pour négocier sereinement avec ses créanciers, et celui où l’on doit affronter ses salariés et ses différentes parties prenantes avec un discours de vérité. C’est pour cela que les durées des mandats ad hoc et conciliations sont limitées dans le temps : quelques semaines ou quelques mois pour trouver un nouvel équilibre avec ses créanciers mais il faut jouer cartes sur table pour conserver la confiance de ses interlocuteurs. Le secret n’est donc pas la dissimulation, loin de là. Surtout quand les mesures de prévention n’auront pas été suffisantes pour éviter le passage à une étape de restructuration dans le dur. Là, il ne faut surtout pas jouer le déni et reporter la confrontation. Dans ces cas-là, les experts préconisent de prévenir d’abord l’État pour lui demander le report des créances sociales et fiscales (et en général les fonctionnaires savent se montrer discrets), puis les fournisseurs critiques même si ça peut paraître dangereux, (mais en général ils s’en sont déjà aperçus), puis préparer les salariés et enfin le plus tard possible les clients. « Il faut appeler un chat un chat et prévenir les IRP de la gravité de la situation, prévient Thierry Grimaux. Les salariés comprennent d’autant mieux qu’on leur aura tenu un discours de vérité et de transparence en amont. » Dans les grosses entreprises, les syndicats sont d’ailleurs parfaitement conscients qu’une fuite peut mettre en danger leurs emplois de manière prématurée, et savent tenir les informations secrètes pendant les moments de crise, sauf quand la politique s’en mêle et qu’ils jouent la surenchère…
Par Houda El Boudrari