Avec des mesures facilitant le rebond des entrepreneurs défaillants, la loi Pacte veut aussi distiller une véritable culture de la deuxième chance pour rompre le cycle infernal des 3 D « dépôt de bilan, divorce, dépression » dans un pays où l’échec reste encore trop souvent tabou.
Neuf ans, c’est le temps que mettra un entrepreneur français qui a connu un échec à rebondir contre trois ans dans les pays du Nord de l’Europe, d’après des statistiques de la Commission Européenne reprises par l’Association Second Souffle, qui accompagne les entrepreneurs en difficultés trop souvent livrés à eux-mêmes et parfois à une spirale infernale qui peut aller jusqu’au suicide. Si les statistiques de la défaillance d’entreprise connaissent une notable éclaircie depuis deux ans, il n’en reste pas moins 55 000 ouvertures de procédures collectives (sauvegardes, redressements judiciaires, liquidations judiciaires) recensées en 2018 par l’étude annuelle d’Altares et Deloitte sur les défaillances d’entreprises. Si on y ajoute les quelques milliers d’entreprises faisant l’objet de procédures amiables (mandat ad hoc, conciliation) qui mettent à rude épreuve les nerfs et le moral des dirigeants, cela fait bien plus de 56 000 hommes et femmes, et bien souvent de familles entières touchées par les affres de la restructuration, l’angoisse de la cessation de paiement et la peur du lendemain. « Depuis la crise de 2008, on a beaucoup parlé des entreprises en difficulté mais rarement des entrepreneurs en souffrance », souligne Marc Binnié, qui a créé en 2013, avec le psychologue Jean-Luc Douillard, l’association Apesa, un dispositif de prise en charge psychologique des chefs d’entreprise en difficultés.
Triple traumatisme. L’hécatombe des années 2009 à 2015 aura pourtant laissé des traces et suscité une véritable prise de conscience des drames humains qui se cachent derrière les statistiques des procédures collectives laissant les entrepreneurs financièrement exsangues et bien trop souvent psychologiquement et moralement anéantis. C’est ce triple traumatisme « personnel, professionnel et financier » qui incitera Philippe Rambaud à créer l’association 60 000 rebonds en 2012. Cette structure créée à Bordeaux, mais devenue nationale, propose un accompagnement sur mesure aux entrepreneurs qui, comme lui, ont connu l’échec. Cet ex-directeur marketing de Danone a créé une start-up en 2 000 liquidée sept ans plus tard. Après sa traversée du désert, il a donc décidé de tendre la main à d’autres entrepreneurs en difficultés et d’agir plus globalement contre la stigmatisation de l’échec dont il a lui-même souffert. L’un des combats qu’il a mené avec succès porte notamment sur le fichage systématique des chefs d’entreprise en faillite, considérant que ce marquage au fer rouge est un des principaux obstacles au rebond. Dès 2013, l’indicateur 040 de la Banque de France, qui recensait tous les chefs d’entreprise ayant déposé le bilan les trois dernières années, a été supprimé. Et en 2019, c’est l’indicateur 050 fichant les entrepreneurs ayant eu deux dépôts de bilan durant les cinq dernières années qui disparaît à son tour. Aussi, la promulgation de la loi Pacte grave dans le marbre l’objectif de faciliter le rebond du chef d’entreprise défaillant en réduisant les délais et les coûts de la procédure de liquidation judiciaire simplifiée et en promouvant une véritable culture de la deuxième chance.
C’est bien d’un changement de paradigme de l’État dont il est là question, comme le martèle Olivia Grégoire, députée LREM et présidente de la Commission Spéciale Loi Pacte, qui veut généraliser le dispositif Signaux Faibles visant à repérer de manière précoce les indices de fragilité des entreprises et leur fournir une aide et un accompagnement le plus en amont possible. Car il est encore malheureusement trop courant que les chefs d’entreprise tirent trop tard la sonnette d’alarme, se réfugiant dans une posture de déni pour ne pas affronter la réalité de la situation. « Le dirigeant d’une entreprise en difficulté est souvent condamné au silence pour ne pas compromettre la réputation de l’entreprise auprès de ses fournisseurs et de ses clients ni susciter la convoitise des concurrents, rappelle Marc Binnié. Mais ce déni vient aussi du fait qu’une entreprise défaillante provoque la colère de ses créanciers. » L’entrepreneur qui se sent soumis à une forme d’opprobre moral ne se sent pas légitime à demander de l’aide ou à exprimer ses émotions. « Celles et ceux qui s’effondrent parfois à l’audience, en pleurs car ils sont ruinés, ajoutent généralement, « Excusez-moi ! » », témoigne le président de l’Apesa, également greffier associé au tribunal de commerce de Saintes en Charente-Maritime.
Du tabou du retournement à la Palme du Rebond !
De fait, le tabou culturel qui entoure les situations de restructuring a la dent dure. Certes, ces dernières années, les professionnels du secteur ont gagné leurs lettres de noblesse grâce au succès croissant de l’arsenal des procédures préventives. La médiatisation aussi de belles opérations de retournement a contribué à une forme de dédramatisation du passage par la case restructuration, considéré depuis des décennies comme infâmant. Mais le changement des mentalités est encore assez lent et l’on retrouve notamment chez certains acteurs du retournement une vraie difficulté à assumer leur métier et une tendance à se draper derrière des euphémismes comme « les situations spéciales » ou de « sous-performance ». Pour l’entrepreneur, c’est encore pire puisque son mutisme est quasi-consubstantiel à son statut. Dans les entreprises familiales en particulier, l’attachement des dirigeants à un patrimoine qui s’est transmis de génération en génération va bien au-delà de l’investissement classique d’un manager extérieur et peut parfois mener à des situations dramatiques à l’idée d’un dépôt de bilan. « Quand l’entreprise porte le nom de la famille et emploie des salariés sur trois ou quatre générations, la responsabilité du dirigeant est encore plus écrasante », poursuit le fondateur de l’Apesa qui s’est assigné pour rôle « d’empêcher les idées noires de rencontrer les idées fausses » en formant des sentinelles pour détecter les signaux d’alerte d’une crise suicidaire et orienter les entrepreneurs en détresse vers des psychologues qualifiés. Car le syndrome des 3D (pour dépression, dépôt de bilan, divorce) est loin d’être une vue de l’esprit et touche bon nombre de chefs d’entreprise en difficulté, comme l’illustrent des dizaines de témoignages sur les sites des associations d’accompagnement d’entrepreneurs en difficultés : 60 000 rebonds, SOS Entrepreneurs, Second Souffle, Le Rebondisseurs français… Ces structures qui ont fleuri cette dernière décennie participent à un véritable changement culturel pour « déstigmatiser » l’échec et promouvoir une vision positive à l’anglo-saxonne des flops connus par tout startupeur qui se respecte avant la consécration de la réussite. À coups de citations de Mandela, Churchill et autres figures inspirantes des siècles derniers, ce mouvement finit par porter ses fruits et briser peu à peu les tabous. Non sans humour, l’association Second Souffle a ainsi créé des soirées « Afterfail », et un ancien entrepreneur ruiné de la chaudronnerie, Jean Lecourieux-Bory, a réussi à transformer sa banqueroute en happening artistique en multipliant les expositions photos mettant en scène ses différentes épreuves, de la création d’entreprise au dépôt de bilan. Enfin, après le très sérieux et utile prix Ulysse du retournement d’entreprise décerné par l’ARE depuis 2011, un nouveau prix est né l’année dernière « célébrant la ténacité et l’audace de ces entrepreneurs qui, malgré un échec, ont relevé un nouveau défi entrepreneurial pour finalement rebondir et réussir ». Organisé par le Columbia Business Club de France, Roland Berger et Bpifrance, il est très justement baptisé la Palme du Rebond !