Pendant le confinement, on en a déroulé des pâtes à pizza, sablées, brisées et feuilletées pour nourrir des familles entières privées de cantine avec du quasi-fait maison…Selon le cabinet d’études spécialisé IRI, la consommation de pâtes ménagères a fait un bond de plus de 38 % sur cette période. De quoi donner du grain à moudre au leader européen Cérélia qui table sur un chiffre d’affaires 2020 de 500 millions d’euros en croissance de 9 % par rapport à 2019. Si sa marque phare Croustipate jouit d’une grande notoriété auprès du public français, disputant la vedette dans les rayons traiteur au numéro un du marché de pâte à dérouler Herta, elle ne représente que la partie émergée de l’Iceberg, 80 % de l’activité de Cérélia étant réalisé en MDD sans compter la diversification de sa gamme de produits au fil des rachats de ces dernières années : crêpes, biscuits, pâtes à cookies, viennoiseries, produits bio et produits sans gluten… La discrète ETI basée à Liévin, dans le Pas-de-Calais, s’est hissée en quelques années au rang de numéro un européen du secteur, passant de 185 millions d’euros de revenus en 2012 à quelque 500 millions aujourd’hui. Elle incarne en quelque sorte aussi le savoir-faire artisanal du LBO tricolore qui l’a ciselée de toutes pièces avec un LBO primaire mené par Sagard en 2012 pour une valorisation d’environ 160 millions d’euros, un secondaire préempté en 2015 par IK Investment Partners pour un prix de près de 300 millions et enfin un tertiaire orchestré par Ardian fin 2019 pour un montant dépassant les 800 millions d’euros.
Pétrir une identité commune. Si les origines du groupe remontent à la fusion d’Alsacienne de Pâtes Ménagères et d’Eurodough, ancienne division Boulangerie Internationale de Sara Lee, en 2012, le projet a germé depuis plus longtemps dans l’esprit de son dirigeant Guillaume Réveilhac. Formé chez Sara Lee où il était notamment en charge de Sara Lee International Food Service pour l’Europe du Sud, le cadre dirigeant avait contacté des fonds dès 2009 pour réaliser le détourage de l’activité Eurodough, délaissée par le conglomérat américain qui l’avait rachetée en 2001. Sauf qu’il était trop tôt et le manager dépité a reporté ses velléités entrepreneuriales vers la PME concurrente, Alsacienne des Pâtes Ménagères, que la famille fondatrice Roposte cherchait justement à céder en 2010. Guillaume Réveilhac s’est donc allié à Cerea Partenaires et Capzanine pour orchestrer un MBI sur la PME aux 46 millions d’euros de chiffre d’affaires, dernier indépendant français du secteur, pour une valorisation de quelque 36 millions d’euros. Un an plus tard, Sagard met la main sur Eurodough dont Sara Lee a finalement décidé de se délester, confirmant l’intuition de son ancien manager, pour une valorisation de 115 millions d’euros sur un périmètre de 135 millions d’euros de revenus. Le fonds sponsorisé par la famille canadienne Desmarais a tout de suite saisi l’opportunité de fusionner son carve-out avec le concurrent APM, tablant sur la capacité de Guillaume Réveilhac à pétrir une identité commune aux deux sociétés culturellement très éloignées : d’un côté, une entreprise familiale peu structurée mais dotée d’un fort appétit de croissance, de l’autre, une belle endormie par plusieurs passages consécutifs dans le giron de grands groupes américains, d’abord en 1982 lors de son rachat par le distributeur américain de bières Anheuser Busch puis, quatorze ans plus tard, à son acquisition par le producteur de pain de mie Earthgrains, lui-même avalé par Sara Lee en juillet 2001.
Le mariage fut célébré en juin 2012, pour une valeur d’entreprise d’APM d’environ 50 millions d’euros, que les actionnaires de la PME alsacienne ont tous préféré réinvestir dans le nouveau tour de table. Auprès de Sagard, resté majoritaire avec 51 % du capital de Cérélia, se sont donc invités Cerea Partenaire et Capzanine, devenus actionnaires minoritaires de référence avec 30 % des parts, le reste étant détenu par le management dont une centaine de cadres ont pu accéder à l’actionnariat aux côtés de Guillaume Réveilhac. Le groupe employant 650 salariés dans cinq usines en France est désormais en ordre de marche pour la croissance. Il peut notamment compter sur le soutien de son sponsor qui ne lésine pas sur les moyens, investissant 30 millions d’euros dans l’outil industriel, encourageant la spécialisation des productions par site afin de favoriser les synergies et d’améliorer la productivité. Cérélia mise également sur l’innovation, en surfant sur les nouveaux modes de consommation de produits naturels, et des régimes spécifiques comme le sans gluten. En trois ans, l’Ebitda double pour atteindre 34 millions d’euros en 2015, actant la réussite de la greffe et préparant le prochain cycle de croissance externe. Qui se fera en changeant d’actionnaires financiers lors d’un LBO bis en 2015, remporté par IK Investment Partners à l’issue d’une offre préemptive valorisant l’entreprise 300 millions d’euros.
Boulimie d’acquisitions. Mission accomplie pour Antoine Ernoult-Dairaine, associé chez Sagard, qui déclare à cette occasion : « Nous sommes fiers d’avoir été à l’origine de ce beau projet industriel, la constitution de Cérélia, une ETI française en croissance et leader européen dans son secteur. Ce succès doit beaucoup à son chef d’orchestre, Guillaume Réveilhac, CEO de Cérélia, et l’ensemble de ses équipes : tous ont donné le meilleur d’eux-mêmes pour faire du rapprochement d’Eurodough et APM une grande réussite ». Et comme juste récompense pour sa surperformance, le management de l’ETI renforce son actionnariat en détenant le tiers du capital auprès d’IK. Guillaume Réveilhac est donc prêt à entamer un nouveau cycle avec un actionnaire majoritaire réputé pour son accompagnement à l’international, comme il l’indique dans le communiqué officiel de l’opération : « L’arrivée d’IK Investment Partners à nos côtés marque une nouvelle étape de développement pour le groupe et ses salariés, qui se renforcent une nouvelle fois au capital. Dans la continuité du rapprochement réussi entre Eurodough et APM et de l’accélération de notre expansion à l’international, nous allons poursuivre nos projets de croissance sur nos catégories phares, en partenariat avec nos clients, mais aussi pouvoir envisager des opportunités de diversification ». Aussitôt dit, aussitôt fait : juste après la signature du deal, Cérélia concrétise son premier build-up d’envergure avec l’acquisition du spécialiste hollandais de pancakes De Bioderij aux 55 millions d’euros de chiffre d’affaires, lui permettant d’une part, d’ajouter à son portefeuille des produits tels que crêpes et pancakes, et d’autre part de s’étendre sur les marchés nord-américain et asiatique. Avec cette opération, la part de son activité réalisée à l’export passe de 40 % à plus de 50 %. La boulimie d’acquisitions se poursuit en 2016 avec le rachat du britannique Bakeaway en 2016 puis du spécialiste canadien de cookies English Bay Batter en 2017 renforçant sa présence au Royaume-Uni et en Amérique du Nord tout en diversifiant davantage son portefeuille de produits. Pour IK, il est temps de passer la main après quatre ans d’accompagnement où l’entreprise a doublé ses revenus et son Ebitda. Avec plus de 1 600 salariés répartis sur 12 sites en Europe et en Amérique du Nord, l’ETI qui a réalisé 459 millions d’euros de chiffre d’affaires en 2019, aiguise les appétits de plusieurs fonds. Plutôt que de faire jouer les enchères « plain vanilla », Guillaume Réveilhac préfère tirer les ficelles en coulisse et suscite une offre préemptive de la part d’Ardian pour une valorisation supérieure à 800 millions d’euros. Réputée pour son tropisme ESG et son approche « management friendly », la gloire nationale du private equity mondial semble en effet le meilleur candidat pour accompagner Cérélia dans un nouveau doublement de taille tout en veillant à un généreux partage de la valeur avec ses dirigeants, qui sont désormais quelques 250 à détenir le tiers du capital de l’entreprise.
Chiffres-clés
+800 M€ la valorisation du groupe lors de son 3è LBO signé avec Ardian en 2019.
500 M€ de chiffre d’affaires en 2020, en croissance de 9% par rapport à 2019.
1 600 salariés répartis sur 12 sites en Europe et en Amérique du Nord.
Par Houda El Boudrari