Sous l’effet de la pression concurrentielle, les durées de détention raccourcissent pour les plus belles pépites sollicitées très en amont des process de vente. Assaillis par des courtisans assidus, les managers et leurs sponsors finissent par céder à des propositions parfois indécentes…
Alors qu’une tendance à l’investissement de plus long terme émerge en private equity avec des véhicules d’une durée plus longue que les dix ans traditionnels, il est paradoxal de constater que le taux de rotation des portefeuilles s’accélère. Et pourtant, du small cap à l’upper mid, on a vu ces derniers mois se multiplier les raids sur des sociétés à peine quelques mois après l’annonce de leur dernier LBO. La palme du LBO express reviendrait sûrement à Naxicap pour son MBI sur la discrète PME bretonne HTL. Un an et demi à peine après avoir goûté au charme de l’actionnariat financier, le fabricant breton d’acide hyaluronique aux 50 millions d’euros de revenus a fait l’objet cet automne d’un deuxième LBO majoritaire orchestré par Bridgepoint qui l’aurait valorisé plus de 250 millions d’euros. L’équipe de Bridgepoint a déposé une offre préemptive et négocié de gré à gré avec Naxicap pour prendre le contrôle de cette pépite aux 50 millions d’euros de chiffre d’affaires, mais qui aurait connu une croissance fulgurante ces derniers mois. Il faut croire que le MBI a eu un effet de boost exceptionnel sur cette entreprise familiale créée dans les années 70 par Michèle Ranson qui l’a cédée à sa fille Sylvie en 2014, laquelle a donc préféré passer la main en 2017 à un actionnariat financier et un manager extérieur. Yvon Bastard, ancien CEO du spécialiste de la chimie fine Axyntis, après avoir passé 18 ans chez 3M Pharmaceuticals, a donc été le manager providentiel pour Naxicap en lui permettant de réaliser une performance de sortie exceptionnelle, bien que confidentielle.
Ainsi, les LBO primaires ont beau être réputés plus complexes et plus longs à porter leurs fruits, plusieurs opérations récentes tendent à démentir ce postulat. Ce fut le cas du LBO secondaire orchestré par TA Associates sur Odealim cet été, à peine deux ans après son rachat par Eurazeo PME. Approché par le fonds américain en dehors de tout process de vente, l’actionnaire français a doublé sa mise en ces 24 mois passés aux manettes du capital du courtier en assurance pour les professionnels de l’immobilier réalisant 130 millions d’euros de volume d’affaires.
Missions express. L’accélération des durées de détention rime aussi avec un rythme de transformation plus intense des participations des fonds. Pour gagner des process de plus en plus concurrentiels, ils planchent sur les pistes de croissance bien en amont et arrivent avec des feuilles de route prêtes à l’emploi dès la signature du closing. C’est ce que décrit Olivier Nemsguern, associé responsable de Bridgepoint Developpement Capital en France pour commenter la cession de la medtech Acteon, deux ans après en avoir orchestré le LBO ter : « Sous la direction de son équipe dirigeante et avec l’appui de Bridgepoint, Acteon a mené un travail intense de redynamisation de son activité, de rationalisation de son outil de production et a réalisé deux opérations de croissance externe à forte croissance. L’entreprise a donc connu un développement rapide, consolidant son leadership dans le domaine de l’équipement dentaire, se positionnant comme un acteur mondial de l’imagerie dentaire et augmentant significativement son activité à l’international. » Mission accomplie donc pour le fonds cédant qui passe le relais à Dentressangle à la tête du capital du spécialiste bordelais de matériel dentaire aux 162 millions d’euros de chiffre d’affaires.
" Sous la direction de son équipe dirigeante et avec l’appui de Bridgepoint, Acteon a mené un travail intense de redynamisation de son activité, de rationalisation de son outil de production et a réalisé deux opérations de croissance externe à forte croissance."
Il faut dire que dans un contexte où la « dry powder » à déployer par les fonds n’a jamais été aussi prolifique, les offres non sollicitées pleuvent et raccourcissent les durées de détention même pour des secteurs improbables. En novembre dernier par exemple, le fabricant de colliers de serrage pour l’industrie automobile Caillau a signé un LBO ter avec Cathay, trois ans après l’opération majoritaire menée par Parquest. Trois ans pour un LBO sur une entreprise de l’industrie automobile, ça peut paraître court… Surtout au regard des neuf années passées par le sponsor précédent ING Belgique, qui avait orchestré le LBO primaire de Caillau en 2006 et l’a accompagné jusqu’à la prise de relais par Parquest en 2015. Ce dernier n’avait pas prémédité une sortie aussi rapide, mais l’approche non sollicitée de Cathay cet été a fini par convaincre les actionnaires financiers et le management de l’intérêt d’une nouvelle opération. En trois ans, Parquest a eu le temps de finaliser la construction d’une nouvelle usine de 25 000 mètres carrés pour laquelle il avait anticipé une période d’investissement de 5 ans, en prenant en compte les éventuels retards dans les délais de livraison et la réalisation des premières synergies. Or, l’usine a été prête dans les temps et l’intérêt de Cathay a permis d’avancer la sortie afin que le management se consacre à l’écriture d’une nouvelle histoire de croissance axée sur le développement mondial de la PME qui réalise déjà 75 % de ses 85 millions d’euros de revenus à l’international.
Atterrissage périlleux. Trois ans, ce fut aussi la durée de l’épisode d’actionnariat d’Initiative & Finance au capital de Moustache Bikes. Le fabricant de vélos à assistance électrique a été valorisé fin février plus de 150 millions d’euros par LBO France, soit 13 fois l’Ebitda 2018 de l’entreprise aux 50 millions d’euros de chiffre d’affaires. L’entreprise créée dans la banlieue d’Épinal en 2011 par Emmanuel Anthonot et Grégory Sand signe la sortie d’Initiative & Finance qui détenait 55 % de son capital depuis un OBO fin 2015. Entre-temps, le fabricant de vélos électriques haut de gamme a quasiment quadruplé son chiffre d’affaires et boosté son Ebitda qui a dépassé les 11 millions d’euros en 2018. D’où l’appétit suscité par le process entamé par Lazard au printemps dernier, car à la différence des exemples précédents, Initiative & Finance était bien pressé de sortir pour réaliser sa plus-value. Pour l’emporter LBO France a donc dû aligner quelque 13 fois l’Ebitda de la cible. Une valorisation qui retrouve le multiple de marché si l’entreprise tient ses promesses en 2019 avec un Ebitda à 15 millions d’euros. Car de plus en plus dans ces process ultra-disputés, c’est l’avenir qu’on extrapole avec un atterrissage qui peut se révéler périlleux si les signes de ralentissement économique se confirment. D’autant que les acquéreurs stratégiques redoublent d’agressivité pour devancer les offres des fonds d’investissement. Le dernier index de valorisation Argos Midmarket atteint un record historique au 4e trimestre à 10,1 x l’Ebitda, porté par les valorisations offertes par les acquéreurs stratégiques qui ont atteint les 10,7 x l’Ebitda au 4e trimestre, distançant les fonds de capital-transmission à 9,8 x l’Ebitda. D’autant que pour des managers lassés par le rythme frénétique des LBO, intégrer le giron d’un industriel peut se révéler une solution à la fois lucrative et durable.
Propositions de réformes pour assurer la liquidité des startups européennes
1. Assouplir les règles de Bale III et Solvency II concernant les investissements dans des startups cotées,
2. Créer des unités de comptes
et fonds « technologiques » avec une fiscalité allégée voire nulle sur les gains générés,
3. Allouer une infime partie des cotisations
retraites à un « fonds de retraite Numérique »,
4. Fédérer une Bourse paneuropéenne de la tech ou un partenariat avec le Nasdaq,
5. Tester la titrisation des participations des fonds de capital-risque,
6. Amortir les acquisitions de startups sur 3 à 5 ans,
7. Exonérer d’IS les 3 premières années de profitabilité des startups acquises,
8. Instaurer une agence de rating indépendante dédiée au digital.
Les États-Unis restent la terre majeure d’IPO. L’introduction en bourse devrait être l’Eldorado des capitaux-risqueurs car elle résout l’équation à deux inconnues de notre métier : la libre fluctuation de la valorisation et la liquidité. L’offre et la demande peuvent enfin se rencontrer en temps réel et non de manière périodique. Mais la réalité est tout autre, du moins sur le Vieux Continent et nos fers de lance tech traversent quasiment tous l’Atlantique pour atteindre la terre promise du Nasdaq séduits par la :
> Profondeur des institutionnels augmentant la probabilité de réussite des roadshow sur la fourchette de prix prédéfinie,
> Quantité de fonds à investir par les institutionnels facilitant la levée de montants importants,
> Volumétrie d’échanges quotidiens accroissant la liquidité des titres,
> Qualité des intermédiaires et des analystes sur la compréhension et restitution des informations clés de la société.
À titre indicatif, le Nasdaq a accueilli en 2016 près de 278 IPO pour plus de 10 Mds de dollars de fonds levés. Et contrairement aux idées reçues, la croissance moyenne des cours est de 24 % à 12 mois et surtout, 70 % des courbes sont au-dessus du prix d’introduction sur ce même intervalle. Mais surtout la valorisation médiane d’introduction est de 2,1 Mds, offrant des multiples et TRI juteux pour bon nombre de nos confrères US.
Malheureusement, l’Europe ne peut compter sur le marché public pour permettre aux VC de liquider dans de bonnes conditions leurs portefeuilles.
Comment transformer le désert européen en oasis ? Il devient clair que les 3 à 4 prochaines années vont constituer un véritable tournant dans la vie de notre écosystème.
Soit, nous aurons tous prouvé que le renouveau du capital-risque français a conduit à une troisième vague de success stories encore plus riche permettant aux fonds d’enregistrer des performances exceptionnelles. La France sera alors placée parmi les terres les plus propices à l’explosion des startups, et donc à la rentabilité de leurs financeurs que nous sommes. Soit, les limites exposées ci-avant posent de sérieux problèmes de performance sur les valeurs liquidatives de bon nombre de fonds. Ce tassement voire cette décroissance des gains pourraient, dès lors, remettre en cause les levées de la prochaine génération de fonds, et donc le financement de la 4e ou 5e vague de champions français.
Nous sommes donc, au mieux, à quelques années d’une recomposition complète de notre chaîne de financement, dont elle a peut-être besoin, et au pire, à l’orée d’une chute inexorable des capitaux à investir et donc des futurs succès financés.
Nous devons engager une profonde refonte de notre politique européenne en matière de M&A et d’IPO afin d’assurer le leadership mondial de nos futurs champions et la performance de notre industrie qui est indispensable à leur succès.]