Une PME d’avant-garde, c’est ainsi que Pocheco est décrite depuis plusieurs années, alors même qu’elle inscrit son action dans un domaine traditionnel : celui de la fabrication d’enveloppe. Depuis vingt ans, l’équipe entreprend sans détruire. De la RSE avant l’heure. Explications par Emmanuel Druon, PDG de l’entreprise.
Créée en 1928, Pocheco a décidé, à votre arrivée en 1997, de se réinventer pour entreprendre sans détruire. Comment ?
Lorsque j’ai repris l’entreprise à l’aube du nouveau millénaire, Pocheco était confrontée à un effondrement de son marché, à cause notamment du développement du numérique. L’entreprise était à la dérive et risquait le dépôt de bilan. Nous avons cherché à nous réinventer en nous penchant, d’abord, sur le circuit de fabrication du papier. Nous avons regardé avec attention les méthodes de travail d’une usine finlandaise de bois qui entretient et replante sur chaque parcelle de forêt qu’elle exploite, ou fait de la reforestation progressive par la pollinisation et la dispersion de graines d’arbres. Nous avons rapidement fait le choix d’acheter ce papier pour fabriquer nos enveloppes. Il était, certes, un peu plus cher, mais nous avons gagné un savoir-faire essentiel et pérenne. Et depuis vingt ans, nous avons utilisé les copeaux de 200 000 arbres coupés, pour ensuite en replanter deux millions. C’est dans les dix premières années de sa croissance qu’un arbre absorbe le plus de CO2, donc aujourd’hui Pocheco est négative en CO2 de 36 000 tonnes par an. Observant qu’en amont de notre activité, ce travail était fait de manière attentive et précise, l’équipe a souhaité reproduire cette méthode dans tous ses actes, ses gestes du quotidien industriel. L’ensemble de nos produits, comme la colle, l’encre ou la fenêtre de nos enveloppes est formé à partir d’eau et de produits naturels, des formulations végétales pour l’essentiel. Aujourd’hui, Pocheco produit chaque année quasiment un milliard d’enveloppes papier, avec zéro déchet, zéro plastique, zéro énergie fossile, tout en étant autosuffisante en ressources d’énergie puisqu’elle produit 60 % de sa consommation électrique et récupère l’eau sur sa toiture qui est couverte de végétaux.
C’est ce que vous appelez l’écolonomie « entreprendre sans détruire »…
Absolument. C’est un engagement collectif qui est venu progressivement et qui est le fruit d’échanges entre salariés partageant les mêmes préoccupations. Comprenez bien, nous ne sommes pas des Khmers verts, nous n’étions pas particulièrement engagés dès l’origine. Mais nous n’avons pas envie, pour gagner notre vie, de détruire l’environnement. Entreprendre sans détruire, c’est se mettre en position de pouvoir produire sans laisser de traces. Et c’est possible, dans tous les métiers. Nous avons fait appel au CNRS de Grenoble, il y a une dizaine d’années, en leur demandant ce qui était le plus impactant pour l’environnement entre un courrier qui part de Lille et qui arrive à Caen par la Poste ou par l’Internet. Le résultat s’est révélé parfaitement contre-intuitif puisqu’il est entre 6 à 13 fois plus polluant de passer par Internet. Nous avons donc conclu qu’il était plus économique de travailler de façon écologique et avons mis en place un mode de gestion vertueux que nous avons appelé l’écolonomie. Il a pour objectif de limiter la dangerosité des postes, diminuer au maximum l’impact de l’activité sur l’environnement et permettre à l’entreprise de gagner en productivité. Cette gestion s’est accompagnée d’une production très appliquée, dans laquelle tout compte. Nous avons été leader français pendant de nombreuses années de l’enveloppe transactionnelle et avons fabriqué jusqu’à 1,4 milliard d’enveloppes par an pour les banques, les compagnies d’assurances, les groupes de téléphonie mobile qui distribuent des relevés de compte, des factures, des relevés de situation. Nous avons traité jusqu’à 70 % des parts de marché en France sur ce secteur.
Il s’agit finalement d’une démarche RSE mise en œuvre vingt-cinq ans avant la loi Pacte…
Nous respectons en effet depuis plus de vingt ans les critères RSE prévus par la loi Pacte, nous allons même au-delà. L’entreprise n’a de sens que par les projets qu’elle porte et les enjeux sociaux et environnementaux doivent être au cœur de ses préoccupations. L’inscrire dans les statuts me semble être du bon sens. Mais la RSE ne doit pas être perçue comme une contrainte pour l’entreprise, elle ne doit pas être vue comme une réglementation de plus à mettre en œuvre. Je crois que la question doit être abordée par le biais de l’écolonomie. Le dirigeant doit se préoccuper en premier lieu, et c’est bien naturel, de la santé au travail. Si l’entreprise utilise des produits toxiques, comment peut-elle protéger ses salariés ? Réfléchir à la possibilité de simplifier les processus en arrêtant de recourir aux produits toxiques… Réfléchir à utiliser des formules à l’eau plutôt que des solvants pour protéger la santé humaine de ses salariés… Finalement, en veillant à la santé humaine, on protège aussi très souvent l’écologie.
La RSE fait peur, notamment aux PME qui la considèrent comme un frein au développement. Que leur répondez-vous ?
La RSE a été un accélérateur de notre développement à partir du moment où nous l’avons intégrée dans notre ADN. Elle nous a sauvés, notamment dans des étapes difficiles de notre construction (ndlr : l’entreprise a dû licencier la moitié de ses effectifs il y a 18 mois). Comment serait-ce un frein au développement de tenir compte de la réalité du monde vivant ? Dans l’environnement, tous les systèmes coopèrent entre eux : les systèmes micellaires, racinaires, la canopée, les mammifères. Un équilibre se produit du fait de cette évolution, il y a de la compétition et de la coopération. Nous devons nous en inspirer. En appliquant des règles de rapport à la bienveillance dans le travail, en mettant en place des systèmes d’organisation interne, nous sommes beaucoup moins malades, en tension, en souffrance et l’entreprise devient capable d’être résiliente et de surmonter des difficultés majeures. Nous avons créé un bureau d’études avec nos collègues, baptisé Ouvert, pour nous permettre d’accompagner des entreprises du monde entier dans leurs démarches RSE. Nous avons déjà assisté plus d’une centaine de groupes, répartis dans le monde entier : Argentine, Chine, Pologne, Espagne… Nous accompagnons les équipes par une méthode de bottom-up. Je suis convaincu que les salariés ne perdent pas leur citoyenneté en franchissant les portes de l’entreprise le matin. Je les crois très engagés par l’idée de changer de l’intérieur notre système. Ce sont d’ailleurs régulièrement des salariés qui téléphonent à notre bureau d’études pour nous demander d’intervenir dans leur entreprise.
Mais l’écolonomie se prête-t-elle également aux grandes entreprises ?
Les dirigeants de multinationales expliquent parfois que comme ils ne sont pas majoritaires dans leur entreprise, ils n’ont pas la possibilité de s’engager dans le changement. Ils ajoutent aussi qu’il est plus aisé de changer les pratiques de 60 salariés que celles de 10 000. Or le problème n’est pas le nombre, mais la gestion en silo. La RSE ne supporte pas la gestion en silo, elle appelle l’autonomie individuelle. Certaines techniques de management à l’anglo-saxonne sont devenues des systèmes coercitifs. À force de vouloir tout maîtriser, contrôler, on se retrouve dans des situations où l’on n’a plus accès à soi. La plus grande richesse d’une entreprise, ce n’est pas la rémunération de son capital, mais c’est de faire travailler des gens ensemble. Il faut appuyer les recrutements sur une certaine forme de savoir-être qui correspond à l’état d’esprit que l’on a voulu créer. Le partage devient ensuite parfaitement naturel. La transition n’est possible qu’avec un projet fort. Et je crois que la RSE nous donne des piliers pour porter ce projet.
Les chiffres clés
• 1928. Année de création de Pocheco
• 1997. Reprise de l’entreprise par Emmanuel Druon
• 10 M€. Le chiffre d’affaires 2018
• 60. Salariés
• 0. Plastique
• 0. Déchet
• 0. Énergie fossile consommée