Reportage photographique : Mark Davies
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Le producteur d’électricité renouvelable Neoen s’est introduit en bourse en octobre dernier avec succès. Son dirigeant, Xavier Barbaro, mène une stratégie de croissance à contre-courant du secteur qui tend à se consolider. Indépendance, agilité, humilité et professionnalisme sont au cœur du projet d’entreprise.
Sa formation à Polytechnique et aux Ponts et Chaussées, Xavier Barbaro l’a affichée au début de l’aventure de Neoen.
En 2008, quand l’entreprise n’était encore qu’une start-up et au moment où il fallait lui donner un vernis crédible. « Au début, nous cherchions à prouver notre professionnalisme et à donner confiance à nos interlocuteurs. On n’a jamais surjoué le côté baby-foot des start-up », se rappelle le président. Aujourd’hui, l’ambiance semble plus détendue. Le siège social est installé dans le deuxième arrondissement de la capitale, et partage un immeuble avec l’américain Facebook, notamment. De grandes verrières, une succession d’open space, une cafète à l’entrée avec des jeunes installés à des tables hautes. « Nous veillons à ne pas trop nous embourgeoiser, poursuit le président, qui ouvre bien volontiers toutes les portes de son entreprise avec simplicité et spontanéité. On est sans doute un peu plus cool aujourd’hui que ce que l’on était à nos débuts. Et je crois d’ailleurs que nous devons conserver cette fraîcheur. » La cravate a disparu et il n’existe pas de grand bureau de président. Xavier Barbaro travaille au cœur de l’open space, au milieu de ses équipes. « L’avenir nous dira si la cotation en bourse nous permettra de garder cet esprit entrepreneurial, mais une chose est sûre : nous devons être plus professionnels que les petits et plus agiles que les grands », annonce-t-il.
Il est comme ça…
Une fierté ?
« Le jour où l’on a reçu le visa de l’AMF. Un document de 550 pages, avec Neoen inscrit en première page, qui nous a fait mesurer le chemin parcouru depuis septembre 2008. »
Un regret ?
« Dans notre secteur, environ 60 % de nos projets partent à la poubelle au bout de deux ou trois ans. Problème de permis, renoncement au développement dans un pays, sol plus compliqué que prévu, ou opposition des riverains… C’est dommage, les choses pourraient être simplifiées. »
Un projet ?
« Permettre à Neoen d’atteindre au moins 5 GW de puissance installée en 2021. À ce jour, 3 GW, soit deux tiers de cet objectif, sont déjà sécurisés. À ce niveau-là, nous serons capables de nous autofinancer pour 10 % de croissance par an, sans avoir à faire appel au marché. »
Une IPO parfaitement menée. Alors qu’elle vient de fêter ses dix ans, Neoen, qui se présente comme le premier producteur indépendant français d’énergie exclusivement renouvelable, s’est introduite en bourse avec succès au mois d’octobre dernier. Les road show avaient débuté le 4 octobre, au moment où les cours s’effondraient. Sept jours de baisse consécutive sur les marchés. La semaine de l’enfer. Le groupe pétrolier Cepsa en Espagne, le loueur de voitures LeasePlan aux Pays-Bas et le fabricant de béton Consolis en France renoncent d’ailleurs tour à tour à leur IPO. Neoen persiste mais décide d’épouser le contexte mouvementé en resserrant sa fourchette d’introduction, fixée initialement entre 16 et 19 €. « Nous étions déjà sursouscrits, mais en affinant notre fourchette entre 16 et 17 €, nous démontrions notre volonté d’avoir les bons actionnaires, ceux qui étaient prêts à nous accompagner sur le long terme », révèle Xavier Barbaro. Et d’ajouter : « Nous avons toujours estimé que la fenêtre de prix fixée était adéquate, même dans la fourchette basse. Nous étions de fait assez hermétiques au stress des marchés. » Le résultat est sans appel : introduite à un prix de 16,50 € par action, la société parvient à lever 697 M€, portant sa valeur de marché à 1,4 Md€. L’opération est qualifiée de plus grosse IPO d’une société française depuis 16 mois. Mais ce n’est pas un simple coup de chance, car le cours s’est depuis bien apprécié.
« Le projet d’IPO était inscrit dans le pacte d’actionnaires de la société depuis l’entrée de Jacques Veyrat, à travers le groupe Louis Dreyfus, et d’Omnes Capital à l’été 2009, se souvient le dirigeant. Alors que Neoen n’était qu’une TPE, on se disait que, le jour où elle atteindrait la taille idoine, l’IPO serait le scénario préféré pour assurer la liquidité des minoritaires et donner à la société les moyens de se financer en direct. » Ce projet a d’ailleurs été réaffirmé lors de l’entrée au capital de Bpifrance, en 2014. Le pacte d’actionnaires prévoyait un calendrier précis : décider, en décembre 2017, de l’opportunité de lancer le projet, choisir les banques au premier trimestre 2018, pour une IPO prévue en fin d’année. Et ce calendrier s’est déroulé, dans les faits, comme du papier à musique.
Quant aux inquiétudes des investisseurs sur un potentiel dual track, Xavier Barbaro les a tout de suite écartées. « Nous avons été très clairs et transparents dès le début : ni dual track pour faire entrer des minoritaires, ni pour vendre la société. Nous revendiquons notre statut de futur grand acteur indépendant. »
Données clés :
139 M€ : Le chiffre d’affaires de Neoen pour 2017, pour 9 M€ de résultat net.
20% : Le niveau de financement en fonds propres de chaque projet.
170 : Le nombre de salariés répartis dans les 11 pays où l’entreprise est présente.
Une stratégie à contre-courant du secteur. Il poursuit : « Les investisseurs qui sont entrés à notre capital – dont des fonds de pension, des fonds souverains ou des assureurs – se sont reconnus dans notre manière de travailler, qui est calée sur des horizons de long terme. » Neoen se positionne ainsi à contre-courant de ses concurrents. Quand ceux-ci vendent leurs projets par morceaux, voire leur société en cédant à la tentation d’un gros chèque, Neoen cherche avant tout à s’organiser et à se discipliner pour se développer et être capable de saisir de belles opportunités. En 2014, elle a créé à Cestas, la plus grande centrale solaire d’Europe (300 MW). En Australie, elle s’est alliée à Tesla pour développer la plus grande batterie lithium-ion au monde. Elle a récemment signé avec Google un partenariat pour alimenter son data center en Finlande. Et elle livrera, fin 2019, au Mexique, la centrale solaire la plus compétitive de l’histoire du photovoltaïque qui permettra de proposer le mégawattheure à moins de 19 $, soit huit fois moins cher que la centrale nucléaire d’Hinkley Point aujourd’hui en construction au Royaume-Uni.
Si l’entreprise commercialisait historiquement son électricité à travers des appels d’offres gouvernementaux, elle s’est mise à la vendre aussi à des utilities, comme à Engie en Australie, pour finalement approcher les grandes entreprises directement. Vendra-t-elle un jour directement au client final ? « Nous avons eu cette discussion pendant l’IPO et ce n’est pas un projet à court terme. Mais peut être à moyen ou à long terme », reconnaît le P.-D.G.
Bien sûr, rien n’aurait été possible sans le soutien de Jacques Veyrat, actionnaire majoritaire de l’entreprise, avec qui des liens forts ont été créés au fur et à mesure des années. « Il a toujours laissé beaucoup d’indépendance à Neoen, tout en étant un actionnaire attentif », explique Xavier Barbaro, qui le connaît depuis 2001, au moment où il exerçait comme project manager chez Neuf Telecom. La société de l’homme d’affaires, Impala, a d’ailleurs réinvesti 169 M€ lors de l’IPO pour conserver le contrôle de l’entreprise. Le reste du capital est désormais partagé entre les salariés et les dirigeants (5,2 %), les fonds historiques de capital investissement (8,4 %), le fonds stratégique de participation (7,5 %) et le flottant (28,8 %). Les nouveaux entrants tiennent également à s’approprier la société. Certains d’entre eux viennent d’ailleurs visiter les locaux régulièrement. Et même s’il n’y a pas de baby-foot, l’accueil est assurément convivial. Xavier Barbaro y tient : « Cet esprit, c’est LA clé pour la suite. »