Une identité bretonne revendiquée comme un ancrage immuable et un rayonnement international accéléré ces dix dernières années, le groupe Rocher n’est pas à un contraste près en tentant également de concilier ADN familial et stratégie de conquête mondiale avec plus de 70 % de son chiffre d’affaires de 2,5 milliards d’euros hors des frontières hexagonales. Chantre de la naturalité et du respect de l’environnement, il inaugure fin 2019, le statut d’entreprise à mission, le niveau le plus contraignant des possibilités introduites récemment par la loi Pacte pour repenser la place de l’entreprise dans la société. L’inventeur de la cosmétique végétale s’est donc donné pour mission de « reconnecter ses communautés à la nature », gravant dans le marbre juridique son objectif de « conjuguer la performance économique et le bien commun ». Ainsi, le groupe s’engage d’ici 2030 à réduire de 30 % ses consommations de plastique et pour le plastique résiduel, à utiliser 100 % de plastique recyclable et à intégrer 100 % de plastique recyclé. En faisant de son berceau à La Gacilly (Morbihan) un laboratoire d’éco-innovation avec des exploitations de végétaux bio, des sites homologués refuges de biodiversités, et l’objectif affiché d’un territoire zéro carbone, le groupe confirme son attachement à ses racines bretonnes, ce qui ne l’empêche pas de regarder loin à l’horizon.
Virage stratégique
L’entreprise sexagénaire a opéré un virage stratégique sous l’impulsion de son président depuis 2010, Bris Rocher, en enchaînant les acquisitions à l’international pour être aujourd’hui à la tête de dix marques (Yves Rocher, Arbonne, Petit Bateau, Stanhome, Kiotis, Dr Pierre Ricaud, Daniel Jouvance, ID Parfums, Sabon et Flormar), employant plus de 18 000 collaborateurs dans 115 pays dans le monde. Petit-fils du fondateur, Yves Rocher, le jeune quadra s’est nourri du terreau de l’aventure familiale dès son plus jeune âge, rejoignant l’entreprise à 16 ans à peine, avant d’aller faire son apprentissage du monde des affaires chez Arthur Andersen aux États-Unis au début de la décennie 2000. De retour en France au poste de directeur général en 2006, il prendra la tête du groupe au décès du patriarche fondateur en 2010, âgé d’à peine 31 ans et imprimera son empreinte de jeune mondialisé tout en restant fidèle à l’héritage de son grand-père. Son premier fait d’armes en 2012 sera d’ailleurs de racheter la part minoritaire du groupe pharmaceutique Sanofi, renouant avec un actionnariat 100 % familial.
S’il apporte de son séjour outre-Atlantique un style de communication très premier degré et des formules toutes faites à l’anglo-saxonne : « Il ne s’agit pas d’être la meilleure entreprise du monde, mais la meilleure entreprise pour le monde » (sic) qu’il martèle à l’envi, il y apprend aussi l’audace désinhibée des entrepreneurs américains qu’il applique en menant une stratégie de croissance externe ambitieuse, multipliant les acquisitions structurantes. En cela, il ne marche pas vraiment sur les traces de son grand-père échaudé par l’acquisition de la marque Petit Bateau en 1988, dont les pertes abyssales découvertes après-coup feront l’objet d’un contentieux sanglant de dix ans avec la BNP, dont le mélange des genres à l’achat et à la vente a suscité une haine tenace chez le patriarche breton. La marque de petites culottes a été restructurée, assainie et remise sur la voie des profits, mais l’appétit de croissance externe a été freiné durablement… jusqu’à l’arrivée du petit-fils Bris Rocher.
Dès 2012, il rachète 51 % des parts de Flormar, une société turque de produits de beauté. Le montant de l’opération est estimé à 122 millions d’euros. Le groupe français se paie en quelque sorte son pendant turc. Tout comme Yves Rocher, Flormar affiche un positionnement qualité/prix ultra-concurrentiel sur tous les produits de la gamme cosmétique : du maquillage aux soins pour le corps. Surtout, cette acquisition permet de répondre à son objectif d’internationalisation. Flormar développe, en effet, plus de la moitié de son chiffre d’affaires en dehors de la zone euro, notamment dans les marchés à fort potentiel de croissance comme la Turquie et les Proche et Moyen-Orient. En 2016, rebelote ! Le spécialiste de la beauté par les plantes prend le contrôle de Sabon, une marque israélienne connue pour ses savons artisanaux, coupés devant les clients. L’entreprise, qui affiche près de 100 millions d’euros de revenus, possède 165 magasins dans le monde, notamment au Japon et aux États-Unis. En plus de cette opération, Yves Rocher rachète son agent en Roumanie, à la tête de 40 boutiques, qui a fait de la marque phare de l’entreprise « la première chaîne monomarque dans le pays ». Et, début 2017, ce sera son agent à Hong Kong qui rejoindra sa filiale locale, avec 20 points de vente et 90 salariés.
La conquête des États-Unis
Enfin en 2018, le Groupe Rocher met un pied sur le marché américain avec le rachat d’Arbonne International. D’origine suisse, cette société de vente directe de cosmétiques naturels et d’ingrédients alimentaires a son siège social aux États-Unis, où elle est présente depuis près de quarante ans. Elle a réalisé un chiffre d’affaires de 470 millions en 2017, et emploie 800 salariés. De nombreuses similarités existent entre les deux entités : des concepts de marques fortes partageant de vraies valeurs, avec de véritables standards de qualité, d’exigence et d’innovation, offrant des gammes étendues de produits naturels. Arbonne apporte également à l’entreprise de cosmétiques bretonne un réel levier pour accélérer la digitalisation du réseau de vente directe. Comme le déclarait Bris Rocher en commentant l’opération : « cette nouvelle acquisition constitue un réel atout pour renforcer notre positionnement dans le réseau de la vente directe, réseau d’avenir qui connaît un vrai rebond ces dernières années. » Cette acquisition va ainsi aider Yves Rocher à se développer aux États-Unis. Le spécialiste de la beauté par les plantes avait déjà fait des tentatives pour entrer sur le marché américain, mais sans jamais vraiment réussir à s’y implanter puisqu’en 2015, le groupe réalisait à peine 3 % de ses revenus en Amérique du Nord. Avec Arbonne International, Yves Rocher franchit donc un nouveau cap, tout en se renforçant dans les pays anglo-saxons grâce à la forte implantation de sa cible au Canada, en Angleterre, en Australie, en Nouvelle-Zélande et à Taïwan. Pour le géant breton, cette acquisition a permis d’accélérer l’atteinte de l’objectif de réaliser 50 % de son activité en dehors du Vieux Continent, puisqu’en 2019, 55 % des revenus ont été générés en dehors de la zone Euro.
Chiffres-clés
• 1959, Yves Rocher crée la marque qui porte son nom.
• 1991, création de la Fondation Yves Rocher pour la protection de la nature.
• 18 000 salariés dans le monde.
• + 2,5 mds€ de chiffre d’affaires.
Par Houda El Boudrari