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Privatisation : une équation à plusieurs inconnues

Par Houda El Boudrari

Si le principe de la cession des participations de l’État dans le capital d’ADP, FDJ et Engie est quasiment acté, les modalités de mise en œuvre restent encore floues, notamment en matière de gouvernance et de profils d’investisseurs éligibles.


Le 4 octobre dernier, Bruno Le Maire se confondait en remerciements à l’Assemblée pour avoir voté les articles 44 à 52 du projet de loi Pacte, relatifs aux cessions de participations publiques. Concrètement, ces textes autorisent le gouvernement à privatiser ADP et FDJ, ainsi qu’à lui donner de la flexibilité sur son niveau de participation au capital d’Engie. Pour autant, certaines questions épineuses sont loin d’être réglées et promettent de longs mois d’expectatives et de spéculations plus ou moins étayées. Pour l’heure, c’est la privatisation d’Aéroports de Paris qui occupe le devant de la scène et semble la plus avancée, même si le président de l’Agence des participations de l’État, Martin Vial, a rappelé, dans une interview mi-novembre, que celle-ci était toujours prévue au « printemps prochain ». La loi Pacte, qui rend possible la privatisation, doit encore passer au Sénat, puis faire la navette parlementaire avant d’être promulguée « au mieux à la fin de l’hiver ». Le P.-D.G. du groupe, Augustin de Romanet, a confirmé de son côté que le processus de privatisation pourrait se dérouler vers « la fin du premier semestre » avec un bouclage fin 2019. Car le gouvernement a tout intérêt à prendre son temps dans la sélection des investisseurs idoines, pour éviter de reproduire les erreurs de privatisations passées.


Tirer les leçons du passé. En effet, dans un rapport rendu public le 13 novembre, la Cour des comptes épingle la « privatisation inaboutie », en 2015, de l’aéroport de Toulouse Blagnac (ATB), cédé à 49,9 % au consortium chinois Symbiose. « Les cessions aéroportuaires doivent être précédées d’une réflexion de l’État quant à la stratégie à adopter face à certains investisseurs étatiques étrangers », prévient la Cour. Le rapport de la Cour des comptes a surtout pour vocation de tirer les enseignements des processus de privatisation, afin d’éviter la répétition de certaines erreurs. « Le processus choisi a révélé de graves insuffisances », estiment les rapporteurs, qui pointent du doigt l’absence d’expérience aéroportuaire et le manque de transparence financière du consortium Symbiose, constitué par le groupe public chinois Shandong Hi-Speed Group (51 %) et le fonds d’investissement hongkongais Friedmann Pacific. Aujourd’hui, le bilan qui en est dressé est donc négatif, à tel point qu’un « échec de la privatisation » lié à « de graves insuffisances » ainsi qu’à un « cahier des charges pas assez exigeant » est mentionné dans le rapport. L’acquéreur chinois inquiète du fait de « son manque d’expérience en matière de gestion aéroportuaire » et de son « manque de transparence financière », juge la Cour. À l’époque, l’appel d’offres de l’Agence des participations de l’État avait omis de mentionner, parmi les critères de recevabilité des candidatures, une expérience significative dans la gestion d’un grand aéroport. Ce faisant, l’Agence étatique voulait ratisser large pour tirer le meilleur prix de sa participation.



"Si une puissance étrangère voulait prendre le contrôle d’Aéroports de Paris, la réponse sera non", a assuré Bruno Le Maire, ministre de l’Économie.


Mais pour la privatisation d’ADP, Bruno Le Maire a d’ores et déjà voulu couper court à la polémique en excluant la cession à « une puissance étrangère ». « On peut parfaitement avoir un fonds étranger qui monte au capital d’ADP et qui investit 2 %, 3 %, 5 %, ça ne pose pas de difficultés », a estimé le ministre de l’Économie dans l’émission « Le Grand Rendez-vous », sur Europe 1, le 7 octobre. Mais « si une puissance étrangère voulait prendre le contrôle d’Aéroports de Paris, la réponse sera non », a-t-il assuré.


Relancer l’actionnariat populaire. D’autant que le gouvernement compte profiter de cette vague de privatisation pour relancer « l’actionnariat populaire ». Cet objectif est décrit comme prioritaire pour Bercy dans le cadre de la loi Pacte : « En complément de la politique d’incitation des épargnants à investir dans les entreprises, engagée depuis 2017, le gouvernement souhaite relancer l’actionnariat populaire à l’occasion des opérations de privatisations. C’est pourquoi une partie du capital cédé par l’État sera réservée aux Français souhaitant investir dans les entreprises concernées. Celles-ci profiteront de nouvelles opportunités de développement et pourront renforcer l’ancrage national de leur capital. » Une intention louable, mais qui n’est pas sans compliquer le process et induire une décote du prix de cession en cas de morcellement des blocs vendus. Les grands investisseurs sur les rangs ont d’ailleurs clairement émis un avertissement de se retirer du process si l’État ne cède qu’un bloc minoritaire.


Enfin, se pose la question de l’indemnisation des actionnaires actuels d’ADP pour les dédommager de la transformation du droit d’exploitation sans limite de temps des infrastructures aéroportuaires à une quasi-concession de 70 ans. Les estimations du préjudice, calculées sur la base du manque à gagner entre la fin de la concession et l’éternité, vont d’un à deux milliards d’euros. En effet, la loi de 2005, qui a créé la société anonyme ADP, a transféré la propriété de l’ensemble des actifs aéroportuaires à ADP, dont 49,4 % appartiennent à des acteurs privés, et lui a confié une mission d’exploitation sans aucune limitation de durée. Cette loi est une exception dans le système français de gestion des plateformes aéroportuaires, qui prévoit que l’État conserve la propriété des infrastructures dont il délègue l’exploitation à un tiers. « Demain, avec la privatisation, les actifs aéroportuaires franciliens reviendront à terme à l’État », se réjouit Bercy pour damer le pion à ceux qui l’accusent de vendre les bijoux de famille. La privatisation d’ADP permet d’assurer la reprise du contrôle des actifs aéroportuaires franciliens par l’État, à l’issue d’une durée d’exploitation de 70 ans après la privatisation. L’ensemble des biens (terminaux, pistes etc.) réintégreront alors le patrimoine de l’État qui sera libre d’en confier la gestion en concession à un nouvel exploitant. Pendant cette période de 70 ans, les actifs seront incessibles, sauf autorisation expresse de l’État. Mais pour les actionnaires actuels d’ADP, ce changement de statut revient à les priver d’une propriété sans limite de temps pour une quasi-concession de 70 ans. D’où le versement d’une compensation financière à ADP, qui serait ensuite redistribuée aux actionnaires. Ce qui augure de discussions tendues sur la valorisation de cette « perte d’éternité ».

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