Lors de ses voeux à la presse et aux acteurs de l’économie, en début d’année 2023, Bruno Le Maire a annoncé la rédaction d’un projet de loi visant à faire de la France la première nation de l’industrie verte en Europe. Le texte contiendra un ensemble de dispositions visant à accélérer la réalisation de sites industriels sur le territoire français et à inciter à la décarbonation de l’industrie.
Pourquoi ce projet de loi visant à soutenir l’industrie verte ?
Bruno Le Maire : Nous vivons un tournant majeur. La nécessité de décarboner nos économies va redéfinir les rapports de force industriels entre puissances. Si la France veut être une grande puissance industrielle dans les prochaines décennies, c’est maintenant qu’il faut agir. C’est le but de ce projet de loi : faire de l’impératif écologique une force économique. Tout est lié ! Près de la moitié des émissions françaises actuelles sont issues de nos importations, pour consommer des produits fabriqués dans des pays moins respectueux de l’environnement. Le meilleur moyen de ne pas polluer davantage consiste donc à produire chez nous. Et le meilleur moyen de produire chez nous, c’est de continuer à renforcer notre attractivité et notre compétitivité, avec une politique de l’offre verte. Ce projet de loi est cohérent avec notre objectif de plein-emploi, avec la poursuite de notre indépendance et avec la planification écologique portée par la Première ministre.
Vous avez choisi la même méthode de concertation que celle mise en oeuvre pour la loi Pacte, à savoir l’élaboration du texte grâce à des groupes de travail. Comment avez-vous réparti les sujets ?
B. L. M. : Nous voulons reproduire la méthode qui a fait le succès de la loi Pacte en 2019 : écoute, dialogue, concertation. C’est également la méthode que nous suivons pour mieux encadrer et accompagner les influenceurs. Nous avons d’abord défini cinq grands chantiers de l’industrie verte : transformation de la fiscalité ; ouverture et réhabilitation des usines ; production, commande et achat en France ; financement de l’industrie ; formation aux métiers. Nous avons ensuite attribué chaque chantier à un binôme pilote, composé d’un élu et d’un chef d’entreprise, afin de croiser leurs expériences et leurs visions. Nous comptons par exemple Guillaume Kasbarian, député d’Eure-et-Loir et président de la Commission des affaires économiques, et Ilham Kadri, présidente de Solvay, parmi les participants. Ces pilotes ont pour mission de mettre en oeuvre une large consultation. Le but n’est pas d’élaborer ce projet de loi depuis l’administration, à Paris, mais de partir des territoires, en tenant compte des préoccupations des industriels et des collectivités locales. Je présenterai ce projet de la loi au Parlement avant l’été. Vous avez annoncé que tout ce qui contribuera à verdir notre production, décarboner notre industrie et produire des biens verts en France aura le soutien de l’État.
Comment comptez-vous concilier cette politique avec la position, pour le moment assez restrictive, de la Commission européenne sur les aides d’État ?
B. L. M. : Le soutien de l’État est indispensable. La transition vers l’industrie verte n’est pas rentable à court terme, ou très peu. Il faut l’amorcer avec l’aide de la puissance publique, pour en tirer profit ensuite. La France a défendu cette position auprès de l’Union européenne, et je constate que la Commission a fait des propositions qui reprenaient largement celles du président de la République. Sur la base de ces propositions, les 27 États membres se sont mis d’accord lors du Conseil européen des 9 et 10 février sur un plan européen pour l’industrie verte. C’est une avancée décisive ! Elle permettra de simplifier et d’accélérer les procédures mais aussi de favoriser le soutien à la compétitivité. C’est un plan ambitieux qui renforcera la souveraineté européenne, défendue depuis 2017 par Emmanuel Macron. Votre ambition est de faire de la France la première nation de l’industrie verte en Europe.
Est-ce une réponse à l’Inflation reduction act (IRA) américain, visant notamment à favoriser la relocalisation d’usines sur le territoire américain ?
B. L. M. : La réponse à l’IRA doit être avant tout européenne. C’est le message que nous avons transmis avec mon homologue allemand Robert Habeck, en nous rendant ensemble à Washington. Nous devons faire front commun pour rivaliser avec les autres grandes puissances mondiales que sont les États-Unis et la Chine. Bien sûr, ce projet de loi industrie verte est totalement complémentaire de la réponse européenne. Il va dans le même sens : plus d’usines en Europe, plus d’usines en France. Nous voulons devenir un modèle et un moteur au coeur du continent. Le but n’est pas de réussir au détriment des autres pays européens, mais de réussir avec eux.