Par Sébastien Gressier
Face à une conjoncture économique et sociale moins porteuse, l’activité en matière de restructuration reste intense. Dans ce contexte, l’entrée en vigueur prochaine de nouvelles dispositions législatives relatives au droit des entreprises en difficulté est accueillie favorablement par les experts en restructuring d’Accuracy.
Au cours des dernières semaines, l’actualité a été marquée par plusieurs dossiers emblématiques d’entreprises en difficulté. Faut-il y voir une dégradation de la situation générale ?
Depuis la fin de l’année dernière, nous assistons, il est vrai, à une détérioration plus rapide de l’environnement économique. En affectant la consommation, et par ricochet les entreprises évoluant dans le secteur de la distribution notamment, le mouvement des « Gilets jaunes » n’est pas étranger à ce phénomène. Pour autant, il n’explique pas tout. Le commerce mondial et les investissements sont en baisse et les conditions financières se durcissent. Sous l’effet du ralentissement de l’activité observé au cours des derniers mois et en particulier en Europe, certaines sociétés ont perdu des relais de croissance et vu leurs performances financières se dégrader. La volatilité récente et la hausse des prix des matières premières ont également pesé, sans parler de certaines évolutions structurelles (transformation digitale, changements des modes de consommation…) qui n’ont pas toujours été bien anticipées par les dirigeants.
Si notre propre activité de conseil ne faiblit pas, nous ne constatons pas à ce jour, en dépit de la conjoncture moins porteuse, d’envolée du nombre de dossiers d’entreprises en difficulté à traiter.
Comment l’expliquez-vous ?
Des facteurs externes aux entreprises peuvent être avancés, parmi lesquels l’abondance de liquidités dans le marché favorisée par le contexte de taux bas. À cela s’ajoute l’action des pouvoirs publics. Ces derniers se sont en effet fortement mobilisés, en pleine crise des Gilets jaunes, pour tenter de contenir les difficultés de trésorerie des entreprises à travers, par exemple, la mise en place de mesures temporaires d’étalement des échéances sociales et fiscales. De quoi offrir une bouffée d’oxygène aux sociétés fragilisées.
En outre, les chefs d’entreprise et/ou les actionnaires ont tendance, dès l’apparition des premières difficultés financières, à se saisir du sujet de plus en plus tôt, soit en se rapprochant directement des créanciers, soit en sollicitant un conseil spécialisé. Ce bon réflexe permet de sauver de nombreuses sociétés, et ainsi d’éviter que nous nous retrouvions confrontés à une vague de restructurations. À ce titre, il convient de saluer les efforts de pédagogie réalisés par les autorités et les acteurs de la Place depuis plusieurs années, et de se féliciter de l’existence, en France, d’un arsenal juridique complet en matière de prévention (conciliation, mandat ad hoc…) et dont l’efficacité a été maintes fois éprouvée. Même si la pierre angulaire d’une restructuration réussie demeure le rétablissement de la confiance entre les parties, la mise à disposition d’une palette d’outils performants n’en reste pas moins un facilitateur de succès.
Justement, ce cadre réglementaire est en passe d’évoluer. D’abord, au niveau européen, une directive relative à l’insolvabilité des entreprises entrera en vigueur dans un délai de deux ans suivant l’adoption imminente du texte par les organes communautaires. Sa transposition en droit interne se traduira-t-elle par des avancées ?
Dans la mesure où la France est l’un des pays le mieux équipé en termes de procédures collectives, cette directive ne bouleversera pas le cadre hexagonal existant, le texte s’en inspirant même en partie. Néanmoins, plusieurs dispositions envisagées s’annoncent vertueuses. En mettant l’accent sur la seconde chance du dirigeant, elle pourrait avoir pour bienfait de rendre la restructuration moins traumatisante pour ce dernier. De bon augure, tant la mentalité française demeure dans ce domaine « conservatrice », surtout si on la compare à celle observée outre-Manche et outre-Atlantique. Ensuite, les créanciers verront leurs droits renforcés. Via la création de nouvelles classes de créanciers, une remise à niveau du rôle de chacun sera effectuée, et les créanciers auront un rôle plus important à jouer. Dans ce contexte, le diagnostic de la situation de l’entreprise concernée pourra être opéré plus rapidement. Si la société peut être sauvée, le plan d’action adéquat pourra alors être mis en œuvre dans un délai relativement bref. Si ce n’est pas le cas, le principe d’une restructuration judiciaire sera arrêté promptement. Cette accélération du calendrier profitera à l’ensemble des parties. Sur le papier, le texte semble donc positif. Il faudra cependant être attentif à la manière dont il sera transposé en France.
Ces changements futurs devront s’articuler avec ceux issus de la loi Pacte. Encore en phase d’examen au Parlement, celle-ci recèle une dizaine d’articles comportant des mesures relatives au droit des entreprises en difficulté. Parmi les objectifs visés figurent la simplification du droit des sûretés, la volonté d’accélérer le calendrier des opérations de liquidation…
Sur ces deux points, il s’agit effectivement d’améliorations appréciables. Mais ce qu’il est surtout important de souligner, c’est que la loi Pacte converge vers le même objectif que la directive relative à l’insolvabilité des entreprises : celui du rebond des dirigeants, que les députés et sénateurs comptent notamment favoriser en automatisant la suppression de la mention d’un plan de sauvegarde et de redressement au K-bis de l’entreprise dans un délai de deux ans suivant l’arrêt du plan par le tribunal. Pour autant, on peut regretter que le texte n’aille pas plus loin, certaines difficultés auxquelles nous pouvons faire face dans le cadre d’une opération de restructuration ne faisant l’objet d’aucune disposition.
À quelles difficultés faites-vous référence ?
L’une de nos principales préoccupations, et elle va croissant, a trait à l’action des assureurs-crédit. Dans les restructurations, leur rôle est généralement crucial puisqu’en décidant d’arrêter de couvrir les partenaires commerciaux de l’entreprise en difficulté, celle-ci peut voir son encours fournisseurs rapidement se dégrader, ne faisant ainsi qu’accroître les difficultés de trésorerie de l’entreprise. Or le problème réside dans le fait qu’il n’existe aujourd’hui aucune obligation réglementaire invitant les assureurs-crédit à s’asseoir à la table des négociations, ceux-ci n’ayant aucun lien contractuel avec ladite entreprise. Pour ne rien arranger, nous ne disposons, en tant que conseils, d’aucune visibilité sur leur niveau exposition vis-à-vis de la société en difficulté, compliquant de fait l’évaluation du risque supporté par cette dernière en cas de retrait de ces acteurs.
Comment pourrait-on y remédier ?
Il serait utile d’encadrer dans la loi le rôle et les obligations des assureurs-crédit dans ce type de procédures. À défaut, il serait nécessaire de prévoir une alternative en cas de retrait (un fonds de garantie ?) afin de limiter les dommages collatéraux. En la matière, tout reste à faire.