France Invest s’est doté d’une commission Climat. Quelle en est la raison d’être ?
Sophie Paturle : Cette commission a été créée il y a dix ans pour fédérer, à l’origine, l’ensemble des investisseurs qui s’intéressaient au financement des cleantechs. Nous en avons étendu le champ d’action pour prendre en compte les enjeux écologiques, tous secteurs confondus : énergies renouvelables, chimie verte, transports et mobilité, économie circulaire, agritech, etc. À l’heure de la prise de conscience générale des enjeux climatiques et de la nécessité d’apporter des solutions durables, nous nous sommes ainsi donné pour mission de créer un écosystème où interagissent grands groupes, PME, start-up, acteurs de la recherche, pouvoirs publics et investisseurs. En effet, nous sommes intimement convaincus que la solution aux enjeux climatiques s’organisera autour des entreprises, et c’est notre rôle d’être à leurs côtés pour les aider à atteindre leur but, chacun dans leur domaine.
Comment fonctionne cette commission ?
S. P. : Les échanges que nous structurons permettent de croiser et de mutualiser nos compétences respectives. Nous organisons des soirées sur des sujets d’intérêt communs : le recyclage plastique et l’hydrogène vert ont été retenus en 2019. Ces événements permettent de partager des expériences et points de vue d’entrepreneurs, d’experts de la recherche académique, de représentants des pouvoirs publics, des grands groupes, des financiers pour agir ensemble. Nous avons aussi pu contribuer au lancement du label Greenfin, premier label d’État dédié à la finance verte, dévoilé fin 2015 au moment de la COP 21. Grâce à celui-ci, les véhicules et capitaux qui investissent massivement dans des entreprises ou des secteurs qui contribuent positivement à l’environnement et la transition écologique peuvent bénéficier d’un label spécifique attestant de leur implication, ce qui permet aux épargnants et investisseurs institutionnels de les identifier.
Au cours de la décennie écoulée, nous avons beaucoup travaillé pour favoriser la prise de conscience tant des investisseurs institutionnels que des citoyens.
Qu’en est-il en termes des financements octroyés par les membres de France Invest dans ce cadre ?
S. P. : Au total, plus de 800 entreprises du secteur des cleantech ont reçu 5,7 milliards d’euros de financement en dix ans, entre 2010 et 2019. Et ce tous profils confondus, car nous avons accompagné tant des entreprises innovantes – au gré de tours d’amorçage et de premiers tours de table – que des TPE-PME en phase de croissance, ou plus occasionnellement des opérations de transmission. Les montants unitaires alloués ont sensiblement progressé. Ainsi, il y a 10 ans, nombre de fonds d’investissement dédiés à l’amorçage et aux premiers tours de table ont vu le jour dans le cadre du déploiement du Grand Emprunt. Avec l’appui de l’État – via Bpifrance –, ces fonds ont pu se structurer en mobilisant chacun au moins 50 % d’argent privé. Ce qui fut extrêmement vertueux dans la construction de l’écosystème général puisque, au-delà de la mobilisation de capitaux, les grands groupes ont manifesté leur intérêt croissant pour l’open innovation. Chacun a pu constater les bénéfices de ce processus sur l’évolution des jeunes entreprises qui ont été soutenues très tôt. Nombre d’entre elles figurent désormais au rang de success stories, devenant des acteurs incontournables dans leur secteur. C’est notamment le cas dans les énergies renouvelables :
• Solaire Direct, créé en 2006 et depuis sa création épaulé par les fonds, continue sa course au sein d’Engie, depuis 2015 ;
• le producteur d’énergie verte Quadran s’est adossé à Direct Energie (lui-même détenu par Total) pour plus de 300 millions d’euros, en 2017 ;
• le groupe de centrales de production hydrauliques NEH-CHCR, épaulé par 25 actionnaires depuis sa création, a été valorisé 250 millions d’euros par Hydrocop, fin 2018 ;
• au même moment, le producteur d’énergie verte Neoen s’est illustré grâce à son introduction en Bourse, où il fut valorisé 1,4 milliard d’euros.
En accompagnant des jeunes pousses des cleantech dans leur croissance, nous avons permis à tout un écosystème d’afficher sa résilience. Même si certaines entreprises ont souffert et n’ont pas connu un essor remarquable – comme il en est l’usage en matière d’innovation technologique –, d’autres ont trouvé leur place dans des secteurs d’activité à la portée grandissante. La preuve : en 2019, il y a eu un nombre important de tours de table avoisinant les 10 millions d’euros, signe de l’augmentation du ticket moyen. Depuis 2018, nous investissons plus d’un milliard d’euros par an – contre 400 à 500 millions, auparavant –, alors que le nombre de cleantech bénéficiaires est passé de 70-80 à une centaine chaque année.
Quels sont les secteurs les plus dynamiques actuellement ?
S. P. : Ils sont nombreux ! Certains, bien que très « jeunes », ont déjà à leur crédit des entreprises au parcours remarquable, comme le parisien Ynsect, spécialiste de l’alimentation animale à base d’insectes qui a bouclé un cinquième tour de table de plus de 100 millions d’euros, au début de 2019. Mais au-delà de quelques cas particuliers, certains domaines deviennent de vrais sujets d’intérêt, après avoir subi des revirements et des trajectoires chaotiques au cours des dix dernières années. En tête de liste, les énergies renouvelables ont concentré plus du tiers des montants investis au cours de la décennie passée – hors financement des infrastructures. Bénéficiant d’une montée en puissance remarquable, elles connaissent aujourd’hui des développements intéressants dans tout ce qui a trait au gaz vert et à l’hydrogène, entre autres. En deuxième position, avec 911 millions d’euros investis, arrivent les transports et la mobilité, thématique qui connaît un très fort développement – dont BlaBlaCar représente l’un des meilleurs exemples. Juste à la suite, figure l’efficacité énergétique, où près de 200 sociétés ont recueilli 842 millions d’euros – par exemple pour la rénovation des bâtiments, les systèmes d’éclairage publics, les objets connectés ou encore l’exploitation de la data dans le bâti pour gérer l’efficacité énergétique. L’économie circulaire (déchets plastiques, déchets alimentaires, déchets de chantier…) continue de prendre de l’importance. Enfin, l’agritech, la chimie verte et le stockage d’énergie font preuve d’un grand dynamisme depuis ces trois dernières années.
Est-ce à dire que la transition écologique trouve sa place dans le paysage économique français ?
S. P. : Absolument. Au-delà de la prise de conscience, il y a eu une vraie révolution en l’espace de dix ans. Les sources d’énergies renouvelables, initialement centrées sur le solaire, sont désormais nombreuses et ont démontré leur efficacité, en particulier grâce à l’usage du numérique. À titre d’exemple, le coût de production du solaire a été divisé par plus de 10 et son coût du stockage par plus de 5. In fine, les gains de productivité ont permis de bâtir des programmes ambitieux et de véritables conditions de marché. L’accélération du financement et de l’émergence d’entreprises viables dédiées à la transition écologique est impressionnante. Si l’offre et la demande continuent d’augmenter en parallèle, cela présage une croissance forte, soutenue et équilibrée. Ainsi, la transition écologique ne subirait pas un stop & go comme ont pu en pâtir les énergies renouvelables, par le passé.
Propos recueillis par Charles Ansabère