Le groupe Siaci Saint Honoré s’est construit grâce à une succession d’opérations structurantes. Pourquoi avoir fait entrer Ardian au capital en 2015 ?
Pierre Donnersberg : J’ai créé en 1988, au sein de la Compagnie Financière Edmond de Rothschild, une entité de courtage d’assurance dédiée à la clientèle privée de la banque. De fil en aiguille, nous avons constitué un courtier spécialisé sur l’assurance de la personne, appelé Assurances Saint Honoré, qui s’est développé essentiellement par croissance interne. En 2007, nous nous sommes rapprochés de Siaci, spécialisé en risques industriels, qui appartenait à l’autre branche de la famille Rothschild, pour donner naissance à Siaci Saint Honoré dont j’ai pris la présidence. Si, jusqu’alors, le groupe de Benjamin de Rothschild était actionnaire unique, l’actionnariat a changé lors de ce rapprochement. Ce dernier est alors passé à 50 %, Paris Orléans — représentant les intérêts de l’autre branche Rothschild — détenait 20 % du capital, un courtier d’assurance britannique dénommé Jardine Lloyd Thompson (JLT) en disposait de 20 %, tandis que les salariés en ont reçu 10 %. Le cabinet s’est alors imposé auprès d’une clientèle de grands groupes, notamment d’entreprises du CAC 40, en répondant à leurs besoins en prévoyance santé et en risques industriels.
En 2015, les deux branches des Rothschild ont souhaité se recentrer sur leur cœur de métier bancaire. JLT a alors tenté de prendre le contrôle du groupe. Je m’y suis fermement opposé pour préserver notre indépendance. J’ai d’ailleurs bien fait puisque JLT, en tant que tel, n’existe plus aujourd’hui après avoir été racheté par Marsh, un groupe américain. C’est dans ce contexte que j’ai rencontré Lionel Scotto qui m’a épaulé pour nous aider à conserver le contrôle de notre groupe. Plusieurs fonds se sont présentés pour nous accompagner et nous avons choisi de faire confiance à Ardian. Un nouveau tour de table a été organisé dans lequel les salariés montaient de 10 % à 20 % dans le capital de Siaci Saint Honoré, le groupe de Benjamin de Rothschild était ramené à 20 % et le reste passait entre les mains d’Ardian. Il a permis à Siaci Saint Honoré de poursuivre sereinement sa stratégie de développement et notamment à l’international : en Chine, à Dubaï, Abu Dhabi, en Suisse, au Canada… Aujourd’hui le groupe est implanté en propre dans 42 pays.
Lionel Scotto : En 2015, lorsque nous avons présenté le projet de LBO aux cadres du groupe, ils ont tous saisi l’opportunité de devenir actionnaires pour récupérer une partie de la création de valeur à terme. Mais surtout, après la bataille menée par Pierre face à JLT dans laquelle il s’était mis lui-même en danger, s’est créée une forme d’adhésion des salariés à son courage et à son projet d’entreprise. Entre des offres de prix supérieures à celle d’Ardian et un projet assurant l’indépendance et l’autonomie du groupe, Pierre n’a jamais hésité. Ce sont donc 300 cadres qui ont investi en cassant leur tirelire pour entrer dans le LBO. On leur avait d’ailleurs déjà parlé de l’opportunité, un jour, de devenir majoritaires de l’entreprise grâce au levier du private equity. L’objectif a finalement été atteint en trois ans.
En 2018, le management a repris la majorité du capital. Comment avez-vous réussi à convaincre le vendeur que votre offre de reprise était meilleure que celles des autres compétiteurs ?
Pierre Donnersberg : Très simplement ! Nous avons proposé à Ardian de sortir pour permettre au management de monter au capital. J’ai toujours été transparent sur le sujet en disant à mon actionnaire que l’indépendance du groupe est sa valeur cardinale. Ardian a toujours su respecter ce principe et a été un actionnaire loyal et protecteur. Il a donc accepté de céder sa participation majoritaire tout en continuant de nous accompagner de façon minoritaire. Sa compréhension de l’importance de la dimension managériale a été primordiale dans la réussite de l’opération et par conséquent dans le fort développement du groupe qui s’en est suivi. Impliquer et engager les cadres dans un projet d’entreprise motivant est la véritable clé du succès, en particulier dans un métier de conseil.
Lionel Scotto : C’est la force des managers fondateurs d’un groupe de donner le LA sur le timing de l’opération. À partir du moment où il n’y avait pas de problème sur le prix de revente par le fonds et que le management manifestait sa volonté de devenir majoritaire de la société, l’opération pouvait se dérouler sans difficultés majeures. Rappelons également que, grâce à l’effet de concentration mondial du marché du courtage, il y a eu un effet de multiple sur le groupe Siaci Saint Honoré. Il a d’ailleurs ensuite prouvé sa résilience face à la crise sanitaire. En 2018, tous les voyants étaient au vert pour que le management devienne majoritaire d’un groupe qui pesait alors un peu plus d’1 Md€. Je précise en outre qu’Ardian n’a pas souhaité se désengager totalement du capital. Tout comme le management qui a laissé l’intégralité de sa plus-value investie – c’est d’ailleurs assez unique car souvent certains cadres peuvent avoir envie de se désendetter, voire de se « dérisquer ». L’aventure a alors continué avec un nouvel actionnaire, Charterhouse, qui a accepté de venir en minoritaire, certes avec des droits de gouvernance renforcés, aux côtés d’Ardian.
Impliquer et engager les cadres dans un projet d’entreprise motivant est la véritable clé du succès, en particulier dans un métier de conseil. » Pierre Donnersberg
Comment avez-vous structuré l’opération pour s’assurer de l’alignement des intérêts entre le management et le nouvel actionnaire financier ?
Lionel Scotto : L’opération a dû être structurée soigneusement car les 51 % qui constituent la majorité du capital de la holding de Siaci Saint Honoré sont détenus par 300 investisseurs salariés. Nous avons donc organisé la holding détentrice en une holding de gouvernance managériale. En termes de structuration, il s’agissait de créer différents cercles dans des véhicules investissant dans la holding majoritaire. C’était pour moi une première car le capital était très partagé. En outre Charterhouse, qui devenait actionnaire de référence, demandait, légitimement, un certain nombre de droits de veto pour rééquilibrer la gouvernance et assurer sa liquidité à terme. Un second management package a été créé pour l’ensemble des salariés. À la demande de Pierre, nous avons même mis en place un FCPE pour que davantage de salariés puissent bénéficier de l’effet de création de valeur. C’est le symbole même du LBO comme il doit être : 300 cadres réinvestissent et un FCPE est structuré pour permettre à plus de cercles d’être intéressés. À leurs côtés, Ardian détient aujourd’hui 10 % du capital et Charterhouse environ 40 %.
Ce montage tend à rappeler celui de Webhelp lors de l’entrée au capital de KKR, également minoritaire, puis de GBL. Pensez-vous que de telles opérations vont se développer dans le private equity ?
Lionel Scotto : Je le pense, oui. Cette tendance va très certainement s’accélérer. Les opérations de private equity ont conduit des managers fondateurs – comme ceux de Webhelp, de Five, de Babilou ou de Siaci Saint Honoré – à devenir majoritaires de leur groupe grâce à l’effet de levier du LBO. Leur logique est d’être le gardien des équilibres de leur groupe. Si le private equity était auparavant destiné plus souvent aux spin-off de grands groupes, nous constatons que les fondateurs voient désormais le private equity comme un accélérateur de leur croissance externe, tout en étant soucieux de toujours rester en contrôle.
Quel est l’avenir de Siaci Saint Honoré ?
Pierre Donnersberg : Nous sommes en train de négocier une nouvelle opération transformante avec le soutien de notre partenaire Charterhouse : un rapprochement avec un grand courtier français, dans lequel une famille deviendrait l’actionnaire de référence de l’ensemble du groupe avec 35 % du capital. L’objectif serait ensuite de continuer à faire croitre le groupe en fonction des opportunités et de cibler une IPO, d’ici trois ou quatre ans.
Lionel Scotto : Avec cette nouvelle opération, le management des deux groupes consolidés resterait majoritaire. L’indépendance, chère à Pierre et aux cadres de Siaci Saint Honoré, serait assurée dans la durée. Il s’agit de construire le premier champion européen du courtage d’assurance. Cette très belle aventure se poursuit.
Propos recueillis par Ondine Delaunay